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Voyage
toute la journée,
depuis Fismes (1).
Marne, une heure du matin jusqu’à
Couturelle, vraisemblablement Pas-de-Calais, neuf heures du soir.
Impressions innombrables ; mais debout dans le wagon et presque sans
dormir, fatigue excessive ! En chemin de fer depuis Fismes jusqu’à Corbie : installation dans un désordre pénible. Etoiles dans la nuit bleue, Oulchy-Brény et le petit jour, les arbres portant à leur cime l’aurore ; la Ferté-Milon, ce poème de Madame de Noailles ; le paysage admirablement vert et frais, la jeune moisson du seigle déjà grande, l’Avoine, le Blé, Lizy-sur-Ourcq. Nous traversons ainsi en flèche la bataille de la Marne, et nous n’en voyons rien, que deux ponts détruits et raccommodés déjà, l’un par des traverses en bois, l’autre en ciment armé ; Meaux, avec la belle figure de la cathédrale… les femmes et les petites filles commencent à nous acclamer. Vous avez raison, fleurs chéries. Noisy-le-Sec (2) ; Italiam ! Italiam ! Mais on ne s’arrête pas. Pantin, Saint-Denis ; de l’un à l’autre on voit Paris, les fortifications, la porte de Flandres, les trams, le Sacré-Cœur, la tour Eiffel, comme une chemise grise ; enfin Paris ! la rue Saussure (3), la rue Tahère (4) ! émotion contenue puisque rien n’est possible encore ! Silence de mes camarades qui chantaient, tristesse… ![]() La rue Tahère de Saint-Cloud est la rue où habitait le premier directeur de l'École normale supérieure de Sain-Cloud : Édouard Jacoulet. S'agit-il du père de Suzanne Jacoulet, la fiancée d'Albert Thierry ? Photo : V. Le Calvez ![]() La rue Saussure dans le 17e arrondissement de Paris où habitent probablement les sœurs et la mère d'Albert Thierry. Photo : V. Le Calvez Les deux B… font appeler leurs parents par une boelle (Petite fille. Patois du Gâtinais) à Aubervilliers : le père arrive temps pour les embrasser, la mère ne peut arriver hors d’haleine à la barrière… La Courneuve et Stains, Gonesse, de belles gares à glycines ! Louvres, Survilliers ; un admirable Précipice blond et laiteux, avec des châteaux enveloppés de vert comme d’immenses fleurs-ardoises. Chantilly, une
forêt claire…
![]() Afin de visualiser le
trajet d'A.
Thierry, voici une proposition de carte montrant
les différentes étapes des 10 et 11 mai 1915. Plan : V. Le Calvez (2006) Au-delà, deux paysages : un Vexin, moisson d’avoine et de blés ras encore, de seigle déjà haut, moiré par une merveilleuse onde, par le venta caressant et profond comme une flamme grise, et de beaux villages neufs, que la guerre n’a pas touchés, et des églises ou chapelles enveloppés de forêts, bouleaux, hêtres, peupliers dorés (maisons de lumière) : enfin une symphonie admirable en gris perle et or. Et une Picardie, moins de moissons, mais d’immenses eaux éparpillées, pleines de roseaux, tantôt jaunes et tantôt violets, jamais verts ; partout des peupliers dorés, et un pays moins ondulé, plutôt raboteux, avec des villages de briques, des églises rouges et pointues, la flèche d’Amiens, peut être ? visible sur la gauche ; et l’ensemble enfin violet, ocreux et or… C’est trop vite, mon Dieu ! le temps me manque … Et il y avait de si beaux noms de pays, Saint-Rémy-en-l’Eau, Saint-Just-en-Chaussée… Corbie, une demi-heure de repos, une cathédrale avec deux tours sans flèches. Voyage en automobile, au crépuscule et dans la nuit, jusqu’à Couturelle, par Doullens. |
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