Nuit agitée
par la
canonnade, la fusillade, les mitrailleuses ; courants d’air
par
les fenêtres cassées où tremble un air
violet, puis
gris. Corvée du matin (1). Ordre de se déséquiper. Repos. Canonnade. Nous repartons pour Bouvigny. Comme dit S…, nous tournons autour du pot. On dit qu’il reste deux fortins dans le bois de Notre-Dame-de-Lorette, que je vois d’ici à gauche, pleins d’Allemands avec des mitrailleuses et qui ne veulent pas se rendre. Ils seront vaincus et cependant deshonorés. Canonnade continue et mitrailleuses. En l’air un ballon long, un sphérique, des aéros que nous entendons sans les voir et qui sont bombardés. Temps admirable, le ciel bleu et blanc de Munich… Déménagement. Une ferme à présent, une petite écurie que nous partageons avec une escouade et quatre chevaux. Puis on expulse les chevaux et on loge quatre escouades. Mauvaise odeur : il paraît que c’est celle des hirondelles. Bombardement d’aéroplanes dans ce beau ciel bavarois. C’est pourtant vrai que le ciel n’a pas de patrie ! Rumeurs sur l’attaque d’hier soir : bombardement infernal ; les Allemands pulvérisent la tranchée qu’ils ont perdue : beaucoup de blessés, mains ou pieds ! quelques morts… Il passe des blessés. La couleur farouche du sang (2). Arrive le lieutenant, sac au dos. Branle-bas ! Psaumes. Il faudrait distinguer une inspiration religieuse et lyrique, une inspiration religieuse et sacerdotale, une inspiration guerrière, une inspiration prophétique (ainsi l’admirable psaume 22, Souffrance du Messie) ; toutes marquant la diastole ou la systole… Ce n’est pas si monotone ! Le branle-bas cesse, puis recommence. Coups de canon, plus fréquents que tout le jour ; les Allemands répondent ; les mitrailleuses parlent. On dit que par d’énormes renforts injustes l’offensive est barrée. Acrobaties et tours de force de M… et de T… sur le fumier. M… a été clown ; T… est seulement blanchisseur. Les enfants s’amusent prodigieusement. Surtout cette blondinette à ruban bleu, quatre ans ? qui si gentiment jouait avec moi sur le seuil de l’étable : Coucou ! Coups de fusil, mitrailleuses. On rentre. On s’attend à partir. Mais on ne part pas. Étendu dans cette paille puante, j’écoute le proche et le lointain avenir : la parole obscure du canon (oui ou non ?) Tristesse ; sommeil rompu, disputes ignobles pour les distributions, vacarme continu des mitrailleuses et du canon. |
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