Petit jour,
aube du matin. Il va faire beau. Bombardement au milieu d’un
froid sommeil (1).
Le
ciel se nettoie et le soleil se lève…
Devant nous dans la terre bouleversée, (vingt charrues
affolées, cent et cent tombereaux !) un Allemand mort ;
à
côté de nous des Allemands enterrés
dans leurs
gourbis et qui y pourriront sous les poutres ; et
l’inoubliable
odeur du cadavre. Par le créneau, un peu au sud de Lens invisible, des villages rouges, des plaines vertes sillonnées de blanc par les tranchées, cinq échafaudages de mines, les cheminées fumantes, tout le travail à défendre ou à reconquérir ; un peu au nord de Lens, l’immense plaine marine, avec ses routes d’arbres égaux, ses étendues, et la terre au soleil gris toute couleur de perle. Au ciel, aéros, nuages, bombes, obus, balles : le combat des vipères et des tonnerres… Cartes, lettres… Pendant que j’écrivais celles-ci au créneau, faisant faction, le bombardement des 77 et des 55 redoubla, et de notre côté le caporal L… (2) fut tué d’un éclat dans la tête ; et du côté injuste, trois hommes tout entiers jaillirent en l’air, projetés horizontalement à plus de vingt mètres, noirs et plats, et pareils à des mannequins de tôle, à des bonshommes de pain d’épice… Enfin c’était plutôt comique et bizarre, ce n’était affreux qu’à la réflexion… Cartes. Lu les Psaumes… Bombardement formidable le soir : la lyre à cordes quadrillées, et à chaque intersection le tonnerre ! Et la nuit, les fusées, les grenades, les bombes, les balles. |
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