…
Énormité du bombardement. Au boyau de
l’après-midi, le désordre, la
bousculade, les
contre-ordres, (1)
la chaleur, l’ennui, la tumultueuse et
invisible
proximité du combat. Ce bombardement, de huit heures du
matin
(2) jusque
vers deux
heures, phénoménal ! Le coup du
départ, les sifflements, les éclats se
confondaient
presque sans interruption. Un fracas continu qui ébranlait
les
fibres et la poitrine, éblouissait les oreilles et semblait
un
orage double ou triple, et insensé justement par la
démesure des mesures… Au loin la fumée
sur
l’horizon des bois, des collines et des mines, une
écume
argentée, ou verdâtre, ou fauve, aux rebords de la
Gohelle
! Et l’après-midi, dans ce boyau carrossable, nous avançons, reculons, partons en ligne, la quittons (sans y parvenir, tu penses bien !) nous nous bousculons avec le premier bataillon, avec du … ° (3), avec des Algériens (4). Et une chaleur, et une crampe dans les épaules, et une inaction d’hommes dormants dans cette longue fosse, prêts à combattre et ne combattant pas ; tandis que dans le ciel tournoient de beaux aéros blancs, et que le ciel inférieur rage le canon… Puis (après avoir lu quelques Psaumes), nous avançons presque jusqu’au bout : ce boyau qui est la route d’Aix-Noulette ; un autre, une espèce de rempart avec une banquette de paille, un radier au milieu, d’innombrables bandes empilées pour les mitrailleuses, et parmi un peuple bleu plein de bariolage, les premiers blessés du matin livides sur leurs brancards, et passé un carrefour de quatre ou cinq tranchées vêtues d’herbe, avec quatre ou cinq poteaux indicateurs, nous allons, retournons, repartons vers la première ligne, nous confondant avec du … °, avec du troisième bataillon, avec des blessés encore, deux au front, la figure pleine de sang, plusieurs au bras, bien tranquilles (te voilà sauvé, dit l’infirmier), plusieurs aux jambes, boitant ; tout prêts enfin à prendre notre part du risque… jusqu’au contrordre définitif de repartir et de rejoindre le boyau du matin (5). En route, au rempart des mitrailleuses St… ! (6) nous nous embrassons de joie. Enfin nous rejoignons cette longue fosse tortueuse (7) ; les épaules coupées par la bretelle des musettes ! et fait un petit dîner de pain, d’eau et de sardines, nous nous couchons au fond, moi sur la couverture roulée ; et nous dormons à ces belles étoiles. |
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