3e
Corps d’Armée
6e Division d’infanterie
ETAT MAJOR
Au QG, le 25 janvier 1915
Renseignements obtenus par
l’interrogatoire de prisonniers
faits à la Cimenterie et sur la digue entre le canal et
l’Aisne
Affaires des 21 et 23 janvier 1915
I.
Répartition des troupes
La 20e Division
d’infanterie occupe le secteur compris entre l’Aisne et le
chemin d’Aguilcourt au Godat. Trois de ses régiments sont
en première ligne : le 92e au mamelon 108 (Kakberg), le 79e au
mamelon 91, le 164e au mamelon 100.
Le 4e Régiment de la
Division, le 77e n’a pas de place fixe. C’est un
régiment qu’on emploie, suivant les besoins, tantôt
d’un côté, tantôt d’un autre.
C’est ainsi qu’un de ses bataillons a été
détaché à Ypres, un autre à Soissons.
Parfois aussi, un bataillon passe sur le front, pour relever
momentanément une unité qui a besoin de repos.
A. Secteur de la cote 108
Le 92e est chargé de
l’occupation et de la défense du secteur de la cote 108,
entre l’Aisne et le mamelon 91.
La répartition des
unités est la suivante :
a) - 1 bataillon tient le
mamelon 108 :
. 1 compagnie dans les
tranchées de 1re ligne.
. 1 ou 2 sections (züge)
dans les tranchées de 2e ligne.
. Le reste du bataillon dans
la grande carrière ouverte dans le flanc nord du mamelon
à l’est de la cimenterie, détachant un
élément (1 ou 2 sections) dans la Cimenterie.
b) - Un deuxième
bataillon, réparti ainsi qu’il suit :
. 1 compagnie dans la
tranchée qui relie la grande carrière à la cote 91.
. 1 compagnie entre
l’Aisne et le canal.
. 2 compagnies dans les abris
situés le long d’une digue perpendiculaire au canal,
à 600 mètres environ au S.O. de Condé-sur-Suippes
1 .
c) - Le troisième
bataillon est au repos au sud et près de Guignicourt dans les
conditions ci-après :
. 1 compagnie dans une
péniche aménagée pour le logement des hommes, et
amarrée sous le pont du chemin de fer de Laon à Reims.
. 3 compagnies dans les abris
qui viennent d’être établis au Nord et au sud du
pont du chemin de fer, le long du remblai de la voie ferrée.
Nota : Le village de
Condé-sur-Suippes a été évacué
à la suite des bombardements. Il semble en être de
même au village voisin d’Aguilcourt autrefois occupé
par les unités au repos du sous-secteur voisin cote 91.
B. Secteur de la cote 91
Est occupé par le 79e
qui aurait 6 compagnies dans les tranchées qui entourent le
bois, le reste au cantonnement de repos (vraisembablement à
Variscourt). Peut-être aussi y a-t-il 2 compagnies dans les abris
situés le long du remblai de la voie ferrée, au sud et
près du passage à niveau du chemin
Condé-sur-Suippes - Variscourt.
C. Secteur de la cote 100
Le secteur est tenu par le
164e.
Aucun renseignement
particulier sur la répartition des unités de ce
régiment.
II.
Organisation défensive et occupation du secteur 108
a. Mamelon 108
L’organisation
défensive du mamelon 108 est connue de façon
précise grâce à une note et à un croquis
trouvés sur le corps d’un officier allemand tué
dans l’affaire du 23 Janvier (note et croquis ci-joint).
En première ligne
: - Une tranchée de tir ABC se prolongeant par un boyau CD
descendant vers l’écluse du Moulin de Sapigneul.
A 100 mètres en
arrière de la tranchée de première ligne un boyau
de communication EF (laufgraben) assez profond, non
aménagé pour le tir. Entre le boyau et la tranchée
de tir ABC, des boyaux de jonction b, b’, b’’.
Plus en arrière,
à 300 mètres environ de la tranchée de tir ABC, se
trouve une tranchée GF qui offre cette particularité que
dans sa partie médiane, sur une longueur de 30 mètres
environ, la tranchée est obstruée à sa partie
supérieure par un réseau de fil de fer (croquis
ci-contre), de sorte que pour communiquer d’un bout à
l’autre de la tranchée, il faut se baisser et marcher
accroupi sous une voûte de fil de fer ; une installation analogue
existe dans le boyau b.
Le but en est,
d’interdire de progresser à l’ennemi qui y aurait
pris pied.
En arrière encore et
près de la carrière, des tranchées ou plutôt
des boyaux de communication IJ, KL parallèles aux
précédentes tranchées, en partie
éboulée, et non entretenus.
Trois boyaux, CM, CN, AH
relient la tranchée de tir à la carrière. Des
abris a, a’ sont creusés dans le boyau CN pour deux
sections de soutien.
Les tranchées de
première ligne sont peu occupées le jour. Un ou deux
hommes par groupe (escouade) surveillent, les autres sont au repos dans
des abris creusés les uns dans la tranchée de tir
elle-même, les autres dans les boyaux de communication en
arrière. La nuit, la moitié des hommes veillent dans la
tranchée, le reste est au repos, prêt à intervenir.
En avant de la tranchée
de première ligne, dans le boyau franco-allemand est un poste
d’écoute de 8 à 10 hommes pour surveiller les
directions de la tranchée française et de Berry-au-Bac.
Au point A du croquis se
trouve un poste d’observation d’artillerie.
b. Tranchée reliant la
grande carrière à la cote 91
Occupée jour et nuit.
Service analogue à celui de la tranchée de tir du mamelon
108.
c. Cimenterie
Deux barricades à 250
mètres environ l’une de l’autre reliées par
un boyau de communication établi le long du chemin de halage
(côté opposé au canal). La première
barricade est à quelques mètres seulement du
bâtiment de la cimenterie, la deuxième forme
l’entrée de la grande carrière.
d. Entre le canal et l’Aisne
La maison dite du passeur
n’est pas occupée. Il existe des abris (constructions
légères) à quelques mètres seulement en
arrière, occupés par une section qui détache en
avant d’elle à 50 mètres une escouade.
e. Grande carrière
La grande carrière est
plus profonde que ne l’indique la carte au 1/10 000° (200
mètres environ). Le côté Est
(Condé-sur-Suippes) est un à-pic ; le côté
Ouest (Berry-au-Bac) présente un gradin.
Les logements de la troupe et
les cuisines sont creusés sans la paroi inférieure du
gradin et vers le fond de la carrière. Il existe là une
quinzaine d’abris peuvent loger 20 à 25 hommes. Ces abris
sont éclairés la nuit à
l’électricité.
III. Positions
d’artillerie. Pièces en caponnières
Mitrailleuses.
Minenwerfer. Flammenwerfer
a. Artillerie
Les positions
d’artillerie signalées sont les suivantes :
1. Une batterie de 77 à
400 mètres environ du bois de la cote 91. L’emplacement
exact paraît être d’après les renseignements
fournis, (carte au 1 /10.000°) la poche formée par la courbe
de niveau 80, à 150 mètres environ S.O. du point
coté 74.8
Coordonnées : x=88.540
; y=79.270.
2. Une batterie de quatre
pièces de 77 dans la grande boucle de l’Aisne à 30
ou 40 mètres du canal légèrement en
deçà de la passerelle sur le canal à mi-distance
environ entre Berry-au-Bac et Condé-sur-Suippes.
Coordonnées : x=88.310
; y =80.400.
Cette batterie n’aurait
pas changé d’emplacement depuis 3 mois.
3. Une batterie de quatre
pièces de 77 entre Aisne et canal dans la partie voisine de
Condé-sur-Suippes et au N.O. de cette localité.
Coordonnées : x=89.080
; y=81.380.
4. Deux pièces de 150
à 200 mètres environ en arrière de la
précédente.
Coordonnées : x=89.270
; y=81.560.
5. Deux pièces de 105
sur la rive N.E. de la Suippe, à 700 mètres environ de la
fourche des chemins Condé-sur-Suippes – Gignicourt et
Condé-sur-Suippes – Variscourt et à 10
mètres de la lisière des bois.
Coordonnées : x=90.260
; y=80.750.
b. Pièces en
caponnières
Un canon de 77 placé
dans la carrière à l’angle S.O., bat la direction
du S.O.
Un canon de 77 dans le boyau
descendant de 91 (côté O.) vers le Moulin de
l’écluse N. de Sapigneul bat la direction de
l’écluse.
c. Mitrailleuses
Le régiment dispose de
sept mitrailleuses, dont deux sont en réserve à
Guignicourt ( ?) et cinq en première ligne, aux emplacements m
du croquis ci-joint, dans des abris casematés.
d. Minenwerfer
Deux minenwerfer ont
été placés il y a trois semaines sur le palier du
gradin de la face ouest de la grande carrière. Ils auraient
été retirés du secteur, le 21 janvier.
e. Flammenwerfer
Il existerait deux
flammenwerfer servis par la compagnie de pionniers affectés au
régiment n°92. Le flammenwerfer qui se transporte sur le dos
d’un homme ressemblerait d’après le dire d’un
prisonnier, à un appareil de sulfatage des vignes.
L’emplacement des flammenwerfer pour la nuit est
porté sur le croquis en f ; le jour ils sont renvoyés
à Guignicourt.
f. Travaux de mines
Des puits profonds de 7
à 8 mètres ont été forés aux points
T du croquis.
IV.
Relèves. Vie journalière
L’occupation des
différentes positions est assurée par roulement entre les
bataillons, tous les quatre jours en principe.
Dans le bataillon du mamelon
108, un roulement est établi entre les quatre compagnies,
chacune d’elles prenant le service de tranchée de
première ligne pendant 24 heures consécutives. La
relève se fait généralement le matin entre 4 et 5
heures (heure française).
Les aliments pour le repas du
soir sont préparés par les cuisines roulantes,
installées le jour à Guignicourt, et qui se portent le
soir entre 17 et 18 heures à hauteur de la digue située
à 600 mètres S.O. de Condé-sur-Suippes où
se font les distributions. Chacune des compagnies de première
ligne dispose d’une voiture à un cheval pour transporter
jusqu’à la compagnie des aliments ainsi
préparés.
Le repas du matin, et le
café sont préparés dans les cuisines
situées dans la grande carrière, dans le voisinage du
logement des hommes.
Eau de boisson
Les hommes boivent de
l’eau du canal, bouillie et filtrée. Les filtres et les
marmites pour faire bouillir l’eau se trouvant tout près
de la passerelle à mi-distance entre Condé-sur-Suippes et
Berry-au-Bac.
V.
Renseignements divers
1.Cantonnements
Guignicourt
Serait occupé par :
a. la compagnie de pionniers
attachés au régiment n°92.
b. Un bataillon du
régiment Saxon (n°100) du secteur Berry-au-Bac au Nord de
l’Aisne.
c. Des éléments
d’artillerie (officiers et chevaux) logés au château
en deça de la voie ferrée. Ces éléments
appartiennent vraisemblablement aux batteries du camp de César.
Menneville
A Menneville se trouvent des
échelons d’artillerie (30 à 40 voitures) et deux
bataillons d’infanterie (164° et du 74° ( ?)
probablement).
Variscourt
Un bataillon du 79° ( ?)
Neufchatel
Les Généraux
sont logés à Neufchatel. Le général Von
Emmich occupe le château. Il y a en ce point un canon
disposé pour le tir contre les avions.
2. Ponts de chevalets et pilotis
sur l’Aisne et sur la Suippe
Les
Allemands ont construit des ponts de chevalets, d’une part sur
l’Aisne et le canal latéral entre Guignicourt et
Menneville, d’autre part sur la Suippe et le marais entre
Condé-sur-Suippes et Aguilcourt (celui-ci pas encore tout
à fait terminé). Ce dernier a 300 mètres environ
de longueur.
Ces ponts sont reliés
par un chemin en ligne droite créé par les Allemands.
Coordonnées
approximative des ponts :
a. Pour l’Aisne et le
canal : x=91.950 , y=81.540
b. Sur la Suippe : x=90.520 ;
y=80.380
3. Trains de ravitaillement
Le train de ravitaillement
journalier se ferme sur voie de garage au Nord et à 2 ou 300
mètres de la station de Guignicourt. Il arrive
généralement une fois la nuit tombée. Les voitures
régimentaires se chargent entre 18 et 19 heures (heure
française).
4. Effectif des unités.
Etat moral
L’effectif des
unités ne paraît pas dépasser de 120 à 140
hommes. Vers la fin de décembre, 20 hommes parmi les soldats
aguerris ont été remplacés le 2 Janvier par des
renforts venus d’Allemagne, composés de jeunes soldats
incorporés en septembre et de Landwehriens. Des renforts sont
actuellement attendus vers le 28 Janvier.
Les hommes se plaignent
d’être employés à des travaux pénibles
lorsqu’ils vont au cantonnement de repos. C’est ainsi
qu’ils ont été occupés au doublement de la
voie ferrée de Guignicourt à Neufchâtel remplissant
l’office de pionniers dont les unités ont beaucoup
souffert pendant la retraite de la Marne.
Ils n’ont plus le feu
sacré, et se rendent compte qu’on les trompe. A chaque
affaire projetée on leur annonce que c’est la
dernière, que la paix va être signée, et la guerre
ne prend pourtant pas fin.
Ils disent que si
l’Armée Allemande était obligée de battre en
retraite, la moitié serait faite prisonnière et
l’Empereur serait pendu.
Ils paraissent heureux
d’être prisonniers, mais redoutent d’être
envoyés au Maroc, car on leur fait entrevoir un traitement
analogue à celui que subissaient les légionnaires –
marches forcées, privations, supplice de la soif,
sales…etc., toute la gamme des tortures inventées lors de
la campagne contre la Légion).
Il convient d’ajouter
que le moral des sous-officiers et de certains hommes de troupe demeure
élevé (ou du moins paraît l’être
peut-être par amour propre national).
5. But de l’attaque de la
Cimenterie par les Allemands dans la soirée du 20
Le but de l’action
était de faire la défense de la cote 108, en la tournant
par la cimenterie. De la cimenterie, l’attaque devait gagner la
carrière du côté français. Une compagnie
devait attaquer par la cimenterie. Une compagnie entre Aisne et les
canaux pour couvrir le mouvement de la première. Deux compagnies
en réserve dans la carrière étaient prêtes
à intervenir pour exploiter le succès ou pour recueillir
la troupe d’attaque en cas d’échec. L’attaque
parvint à occuper la première tranchée
française soumise au préalable à un bombardement
intensif, mais ne put s’avance plus loin, étant prise
d’enfilade sur son flanc gauche par des feux d’infanterie
partant de la carrière.
Ce sont donc nos feux de flanc
qui enrayèrent l’attaque.
6. Emploi des fusées
L’infanterie emploie des
fusées rouges pour demander le tir de l’artillerie. La
cessation du ti est demandée par téléphone.
VI. Conclusion
Les points intéressants
à battre pour l’artillerie sont :
a. les tranchées de
première ligne du mamelon 108 et les abris a, a’,
b. la carrière
(où nos obus causent des pertes)
Les heures à choisir de
préférence pour ces tirs sont :
Sur les tranchées, le
matin entre 4 et 5 heures (heure française), au moment des
relèves ou la nuit sur les emplacements des mitrailleuses et
flammenwerfer ; dans la carrière entre 11 heures et midi, un
mouvement se produisant toujours après le repas.
c. la maison dite du passeur
(abris en arrière)
d. le poste
d’observation de l’officier d’artillerie
e. les emplacements de
batteries, celui en particulier de la pièce en caponnière
qui se trouve dans le boyau descendant de 91 vers le Moulin de
l’écluse de Sapigneul. L’emplacement précis
reste à déterminer au moyen d’observations au
périscope, faites de Sapigneul.
f. la passerelle sur le canal
entre Condé-sur-Suippes et Berry-au-Bac (filtres pour
l’eau potable).
g. la digue 500 mètres
S.O. de Condé-sur-Suippes.
h. le chemin du canal au point
où aboutit cette digue entre 17 et 18 heures (moment des
distributions).
i. le pont du chemin de fer
sur le canal à 800 mètres sud de Guignicourt, ainsi que
les abris établis le long du remblai au Nord et au Sud de ce
pont.
j. les villages de
Guignicourt, Variscourt, Menneville. Ces tirs de
préférence le 27, anniversaire de l’Empereur. On
fera bombance ce jour-là aux tables d’officiers.
k. les voies de garage au Nord
et à 300 mètres de la station de Guignicourt, à
l’heure du ravitaillement (entre 18 et 19h).
l. le château de
Neufchatel (bombes d’aviateur).
Munitions nécessaires
a. en ce qui concerne le 75 :
Une cinquantaine de coups par
jour pendant une dizaine de jours ; obus explosifs (4/5 et obus
à balles 1/5) pour les tirs sur le mamelon 108, la maison du
passeur et la pièce en caponnière.
b. en ce qui concerne
l’artillerie lourde :
La fixation du nombre de coups
à tirer et des conditions des tirs paraît devoir
être faite par le Corps d’Armée.
Pour le Chef d’Etat Major
Planck ?
Plan qui accompagne ce rapport
(refait par mes soins) :

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