L'organisation défensive allemande
de la Cote 108 - Janvier 1915


Voici un document d'une grande richesse : il s'agit du compte rendu des interrogatoires des prisonniers allemands faits lors des combats des 20-23 janvier 1915 à Berry-au-Bac.

Ce document a été trouvé dans les archives de la 6e Division d'infanterie (Cote 24N100) du Service historique de la Défense (SHD).

Attention, il s'agit d'une transcription. J'ai peut-être fait des erreurs de transcription et de copie.
N'hésitez-pas alors à me faire part de vos remarques, par mail.




3e Corps d’Armée
6e Division d’infanterie
ETAT MAJOR

Au QG, le 25 janvier 1915



Renseignements obtenus par l’interrogatoire de prisonniers
faits à la Cimenterie et sur la digue entre le canal et l’Aisne
Affaires des 21 et 23 janvier 1915



I. Répartition des troupes

La 20e Division d’infanterie occupe le secteur compris entre l’Aisne et le chemin d’Aguilcourt au Godat. Trois de ses régiments sont en première ligne : le 92e au mamelon 108 (Kakberg), le 79e au mamelon 91, le 164e au mamelon 100.

Le 4e Régiment de la Division, le 77e n’a pas de place fixe. C’est un régiment qu’on emploie, suivant les besoins, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre. C’est ainsi qu’un de ses bataillons a été détaché à Ypres, un autre à Soissons. Parfois aussi, un bataillon passe sur le front, pour relever momentanément une unité qui a besoin de repos.

A. Secteur de la cote 108
Le 92e est chargé de l’occupation et de la défense du secteur de la cote 108, entre l’Aisne et le mamelon 91.
La répartition des unités est la suivante :
a) - 1 bataillon tient le mamelon 108 :
. 1 compagnie dans les tranchées de 1re ligne.
. 1 ou 2 sections (züge) dans les tranchées de 2e ligne.
. Le reste du bataillon dans la grande carrière ouverte dans le flanc nord du mamelon à l’est de la cimenterie, détachant un élément (1 ou 2 sections) dans la Cimenterie.
b) - Un deuxième bataillon, réparti ainsi qu’il suit :
. 1 compagnie dans la tranchée qui relie la grande carrière à la cote 91.
. 1 compagnie entre l’Aisne et le canal.
. 2 compagnies dans les abris situés le long d’une digue perpendiculaire au canal, à 600 mètres environ au S.O. de Condé-sur-Suippes 1 .
c) - Le troisième bataillon est au repos au sud et près de Guignicourt dans les conditions ci-après :
. 1 compagnie dans une péniche aménagée pour le logement des hommes, et amarrée sous le pont du chemin de fer de Laon à Reims.
. 3 compagnies dans les abris qui viennent d’être établis au Nord et au sud du pont du chemin de fer, le long du remblai de la voie ferrée.
Nota : Le village de Condé-sur-Suippes a été évacué à la suite des bombardements. Il semble en être de même au village voisin d’Aguilcourt autrefois occupé par les unités au repos du sous-secteur voisin cote 91.

B. Secteur de la cote 91
Est occupé par le 79e qui aurait 6 compagnies dans les tranchées qui entourent le bois, le reste au cantonnement de repos (vraisembablement à Variscourt). Peut-être aussi y a-t-il 2 compagnies dans les abris situés le long du remblai de la voie ferrée, au sud et près du passage à niveau du chemin Condé-sur-Suippes - Variscourt.

C. Secteur de la cote 100
Le secteur est tenu par le 164e.
Aucun renseignement particulier sur la répartition des unités de ce régiment.


II. Organisation défensive et occupation du secteur 108

a. Mamelon 108
L’organisation défensive du mamelon 108 est connue de façon précise grâce à une note et à un croquis trouvés sur le corps d’un officier allemand tué dans l’affaire du 23 Janvier (note et croquis ci-joint).
En première ligne :  - Une tranchée de tir ABC se prolongeant par un boyau CD descendant vers l’écluse du Moulin de Sapigneul.
A 100 mètres en arrière de la tranchée de première ligne un boyau de communication EF (laufgraben) assez profond, non aménagé pour le tir. Entre le boyau et la tranchée de tir ABC, des boyaux de jonction b, b’, b’’.
Plus en arrière, à 300 mètres environ de la tranchée de tir ABC, se trouve une tranchée GF qui offre cette particularité que dans sa partie médiane, sur une longueur de 30 mètres environ, la tranchée est obstruée à sa partie supérieure par un réseau de fil de fer (croquis ci-contre), de sorte que pour communiquer d’un bout à l’autre de la tranchée, il faut se baisser et marcher accroupi sous une voûte de fil de fer ; une installation analogue existe dans le boyau b.
Le but en est, d’interdire de progresser à l’ennemi qui y aurait pris pied.
En arrière encore et près de la carrière, des tranchées ou plutôt des boyaux de communication IJ, KL parallèles aux précédentes tranchées, en partie éboulée, et non entretenus.
Trois boyaux, CM, CN, AH relient la tranchée de tir à la carrière. Des abris a, a’ sont creusés dans le boyau CN pour deux sections de soutien.
Les tranchées de première ligne sont peu occupées le jour. Un ou deux hommes par groupe (escouade) surveillent, les autres sont au repos dans des abris creusés les uns dans la tranchée de tir elle-même, les autres dans les boyaux de communication en arrière. La nuit, la moitié des hommes veillent dans la tranchée, le reste est au repos, prêt à intervenir.
En avant de la tranchée de première ligne, dans le boyau franco-allemand est un poste d’écoute de 8 à 10 hommes pour surveiller les directions de la tranchée française et de Berry-au-Bac.
Au point A du croquis se trouve un poste d’observation d’artillerie.

b. Tranchée reliant la grande carrière à la cote 91
Occupée jour et nuit. Service analogue à celui de la tranchée de tir du mamelon 108.

c. Cimenterie
Deux barricades à 250 mètres environ l’une de l’autre reliées par un boyau de communication établi le long du chemin de halage (côté opposé au canal). La première barricade est à quelques mètres seulement du bâtiment de la cimenterie, la deuxième forme l’entrée de la grande carrière.

d. Entre le canal et l’Aisne
La maison dite du passeur n’est pas occupée. Il existe des abris (constructions légères) à quelques mètres seulement en arrière, occupés par une section qui détache en avant d’elle à 50 mètres une escouade.

e. Grande carrière
La grande carrière est plus profonde que ne l’indique la carte au 1/10 000° (200 mètres environ). Le côté Est (Condé-sur-Suippes) est un à-pic ; le côté Ouest (Berry-au-Bac) présente un gradin.
Les logements de la troupe et les cuisines sont creusés sans la paroi inférieure du gradin et vers le fond de la carrière. Il existe là une quinzaine d’abris peuvent loger 20 à 25 hommes. Ces abris sont éclairés la nuit à l’électricité.


III. Positions d’artillerie. Pièces en caponnières
Mitrailleuses. Minenwerfer. Flammenwerfer

a. Artillerie
Les positions d’artillerie signalées sont les suivantes :
1. Une batterie de 77 à 400 mètres environ du bois de la cote 91. L’emplacement exact paraît être d’après les renseignements fournis, (carte au 1 /10.000°) la poche formée par la courbe de niveau 80, à 150 mètres environ S.O. du point coté 74.8
Coordonnées : x=88.540 ; y=79.270.

2. Une batterie de quatre pièces de 77 dans la grande boucle de l’Aisne à 30 ou 40 mètres du canal légèrement en deçà de la passerelle sur le canal à mi-distance environ entre Berry-au-Bac et Condé-sur-Suippes.
Coordonnées : x=88.310 ; y =80.400.
Cette batterie n’aurait pas changé d’emplacement depuis 3 mois.

3. Une batterie de quatre pièces de 77 entre Aisne et canal dans la partie voisine de Condé-sur-Suippes et au N.O. de cette localité.
Coordonnées : x=89.080 ; y=81.380.

4. Deux pièces de 150 à 200 mètres environ en arrière de la précédente.
Coordonnées : x=89.270 ; y=81.560.

5. Deux pièces de 105 sur la rive N.E. de la Suippe, à 700 mètres environ de la fourche des chemins Condé-sur-Suippes – Gignicourt et Condé-sur-Suippes – Variscourt et à 10 mètres de la lisière des bois.
Coordonnées : x=90.260 ; y=80.750.

b. Pièces en caponnières
Un canon de 77 placé dans la carrière à l’angle S.O., bat la direction du S.O.
Un canon de 77 dans le boyau descendant de 91 (côté O.) vers le Moulin de l’écluse N. de Sapigneul bat la direction de l’écluse.

c. Mitrailleuses
Le régiment dispose de sept mitrailleuses, dont deux sont en réserve à Guignicourt ( ?) et cinq en première ligne, aux emplacements m du croquis ci-joint, dans des abris casematés.

d. Minenwerfer
Deux minenwerfer ont été placés il y a trois semaines sur le palier du gradin de la face ouest de la grande carrière. Ils auraient été retirés du secteur, le 21 janvier.

e. Flammenwerfer
Il existerait deux flammenwerfer servis par la compagnie de pionniers affectés au régiment n°92. Le flammenwerfer qui se transporte sur le dos d’un homme ressemblerait d’après le dire d’un prisonnier, à un appareil de sulfatage des vignes. L’emplacement  des flammenwerfer pour la nuit est porté sur le croquis en f ; le jour ils sont renvoyés à Guignicourt.

f. Travaux de mines
Des puits profonds de 7 à 8 mètres ont été forés aux points T du croquis.


IV. Relèves. Vie journalière

L’occupation des différentes positions est assurée par roulement entre les bataillons, tous les quatre jours en principe.
Dans le bataillon du mamelon 108, un roulement est établi entre les quatre compagnies, chacune d’elles prenant le service de tranchée de première ligne pendant 24 heures consécutives. La relève se fait généralement le matin entre 4 et 5 heures (heure française).
Les aliments pour le repas du soir sont préparés par les cuisines roulantes, installées le jour à Guignicourt, et qui se portent le soir entre 17 et 18 heures à hauteur de la digue située à 600 mètres S.O. de Condé-sur-Suippes où se font les distributions. Chacune des compagnies de première ligne dispose d’une voiture à un cheval pour transporter jusqu’à la compagnie des aliments ainsi préparés.
Le repas du matin, et le café sont préparés dans les cuisines situées dans la grande carrière, dans le voisinage du logement des hommes.
Eau de boisson
Les hommes boivent de l’eau du canal, bouillie et filtrée. Les filtres et les marmites pour faire bouillir l’eau se trouvant tout près de la passerelle à mi-distance entre Condé-sur-Suippes et Berry-au-Bac.


V. Renseignements divers

1.Cantonnements
Guignicourt
Serait occupé par :
a. la compagnie de pionniers attachés au régiment n°92.
b. Un bataillon du régiment Saxon (n°100) du secteur Berry-au-Bac au Nord de l’Aisne.
c. Des éléments d’artillerie (officiers et chevaux) logés au château en deça de la voie ferrée. Ces éléments appartiennent vraisemblablement aux batteries du camp de César.

Menneville
A Menneville se trouvent des échelons d’artillerie (30 à 40 voitures) et deux bataillons d’infanterie (164° et du 74° ( ?) probablement).

Variscourt
Un bataillon du 79° ( ?)

Neufchatel
Les Généraux sont logés à Neufchatel. Le général Von Emmich occupe le château. Il y a en ce point un canon disposé pour le tir contre les avions.

2. Ponts de chevalets et pilotis sur l’Aisne et sur la Suippe
Les Allemands ont construit des ponts de chevalets, d’une part sur l’Aisne et le canal latéral entre Guignicourt et Menneville, d’autre part sur la Suippe et le marais entre Condé-sur-Suippes et Aguilcourt (celui-ci pas encore tout à fait terminé). Ce dernier a 300 mètres environ de longueur.
Ces ponts sont reliés par un chemin en ligne droite créé par les Allemands.
Coordonnées approximative des ponts :
a. Pour l’Aisne et le canal : x=91.950 , y=81.540
b. Sur la Suippe : x=90.520 ; y=80.380

3. Trains de ravitaillement
Le train de ravitaillement journalier se ferme sur voie de garage au Nord et à 2 ou 300 mètres de la station de Guignicourt. Il arrive généralement une fois la nuit tombée. Les voitures régimentaires se chargent entre 18 et 19 heures (heure française).

4. Effectif des unités. Etat moral
L’effectif des unités ne paraît pas dépasser de 120 à 140 hommes. Vers la fin de décembre, 20 hommes parmi les soldats aguerris ont été remplacés le 2 Janvier par des renforts venus d’Allemagne, composés de jeunes soldats incorporés en septembre et de Landwehriens. Des renforts sont actuellement attendus vers le 28 Janvier.
Les hommes se plaignent d’être employés à des travaux pénibles lorsqu’ils vont au cantonnement de repos. C’est ainsi qu’ils ont été occupés au doublement de la voie ferrée de Guignicourt à Neufchâtel remplissant l’office de pionniers dont les unités ont beaucoup souffert pendant la retraite de la Marne.
Ils n’ont plus le feu sacré, et se rendent compte qu’on les trompe. A chaque affaire projetée on leur annonce que c’est la dernière, que la paix va être signée, et la guerre ne prend pourtant pas fin.
Ils disent que si l’Armée Allemande était obligée de battre en retraite, la moitié serait faite prisonnière et l’Empereur serait pendu.
Ils paraissent heureux d’être prisonniers, mais redoutent d’être envoyés au Maroc, car on leur fait entrevoir un traitement analogue à celui que subissaient les légionnaires – marches forcées, privations, supplice de la soif, sales…etc., toute la gamme des tortures inventées lors de la campagne contre la Légion).
Il convient d’ajouter que le moral des sous-officiers et de certains hommes de troupe demeure élevé (ou du moins paraît l’être peut-être par amour propre national).

5. But de l’attaque de la Cimenterie par  les Allemands dans la soirée du 20
Le but de l’action était de faire la défense de la cote 108, en la tournant par la cimenterie. De la cimenterie, l’attaque devait gagner la carrière du côté français. Une compagnie devait attaquer par la cimenterie. Une compagnie entre Aisne et les canaux pour couvrir le mouvement de la première. Deux compagnies en réserve dans la carrière étaient prêtes à intervenir pour exploiter le succès ou pour recueillir la troupe d’attaque en cas d’échec. L’attaque parvint à occuper la première tranchée française soumise au préalable à un bombardement intensif, mais ne put s’avance plus loin, étant prise d’enfilade sur son flanc gauche par des feux d’infanterie partant de la carrière.
Ce sont donc nos feux de flanc qui enrayèrent l’attaque.

6. Emploi des fusées
L’infanterie emploie des fusées rouges pour demander le tir de l’artillerie. La cessation du ti est demandée par téléphone.


VI. Conclusion

Les points intéressants à battre pour l’artillerie sont :
a. les tranchées de première ligne du mamelon 108 et les abris a, a’,
b. la carrière (où nos obus causent des pertes)
Les heures à choisir de préférence pour ces tirs sont :
Sur les tranchées, le matin entre 4 et 5 heures (heure française), au moment des relèves ou la nuit sur les emplacements des mitrailleuses et flammenwerfer ; dans la carrière entre 11 heures et midi, un mouvement se produisant toujours après le repas.
c. la maison dite du passeur (abris en arrière)
d. le poste d’observation de l’officier d’artillerie
e. les emplacements de batteries, celui en particulier de la pièce en caponnière qui se trouve dans le boyau descendant de 91 vers le Moulin de l’écluse de Sapigneul. L’emplacement précis reste à déterminer au moyen d’observations au périscope, faites de Sapigneul.
f. la passerelle sur le canal entre Condé-sur-Suippes et Berry-au-Bac (filtres pour l’eau potable).
g. la digue 500 mètres S.O. de Condé-sur-Suippes.
h. le chemin du canal au point où aboutit cette digue entre 17 et 18 heures (moment des distributions).
i. le pont du chemin de fer sur le canal à 800 mètres sud de Guignicourt, ainsi que les abris établis le long du remblai au Nord et au Sud de ce pont.
j. les villages de Guignicourt, Variscourt, Menneville. Ces tirs de préférence le 27, anniversaire de l’Empereur. On fera bombance ce jour-là aux tables d’officiers.
k. les voies de garage au Nord et à 300 mètres de la station de Guignicourt, à l’heure du ravitaillement (entre 18 et 19h).
l. le château de Neufchatel (bombes d’aviateur).

Munitions nécessaires
a. en ce qui concerne le 75 :
Une cinquantaine de coups par jour pendant une dizaine de jours ; obus explosifs (4/5 et obus à balles 1/5) pour les tirs sur le mamelon 108, la maison du passeur et la pièce en caponnière.

b. en ce qui concerne l’artillerie lourde :
La fixation du nombre de coups à tirer et des conditions des tirs paraît devoir être faite par le Corps d’Armée.


Pour le Chef d’Etat Major

Planck ?


Plan qui accompagne ce rapport (refait par mes soins) :


Plan de la cote 108



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