Histoires
de ma petite enfance
Par Andrée Damsin
(fille d'Adolphe Orange)
10 avril 1982
Andrée dans les bras de son père et de sa
mère en 1911.
Gournay-en-Bray
J’ai quelques
très vagues souvenirs de mon père. J’avais 4 ans
quand il est parti à la guerre. Je le revois brassant les pommes
dans la petite cour de notre demeure, pour faire le cidre de
l’année, ou, jouant aux cartes avec des amis, ou
s’occupant de notre jardin. La plus vive de ces images,
peut-être la dernière, mon père se penchant vers
moi, couchée dans le grand lit de mes parents, après un
petit accident.
Ce jour-là, mon cousin
Charles qui avait toujours des idées un peu originales, me
dit : viens, on va bien s’amuser. Nous nous mettons de
chaque côté de la porte vitrée ouvrant sur la
petite cour. La vitre était cassée à
moitié, il jette par-dessus une grosse corde et voilà que
nous tirons chacun de notre côté à la
manière du va-et-vient d’une scie. Bien entendu, la vitre
s’est cassée à nouveau et quelques morceaux me sont
tombés sur les doigts, coupures, sang, hurlements. Je ne me
souviens pas si le médecin est venu. Mais je me suis
retrouvée couchée, par les soins de ma grand-mère,
avec un énorme pansement. Ma mère absente pour deux jours
était partie à Paris faire des achats en vue d’une
cérémonie très proche. Notre voisine qui devait
rejoindre le lendemain ma mère vint me voir et apitoyée
s’écria, je vais le dire à sa maman demain. Surtout
n’en faites rien dit mon père, si elle apprend que sa
fille est malade, elle vous plantera là en pleine rue et
reviendra rapidement ici. Ce n’est pas grave et je fus vite
rétablie.
Ce même cousin Charles
poussait un jour mon landau, j’étais encore un
bébé. Ma mère toute proche ramassait de
l’herbe pour les lapins. Soudain, arrivé dans le haut de
la cote, Charles lâche le landau, sans doute pour courir et le
rattraper dans la descente, mais le landau a terminé sa course
dans le fossé avec la pauvre Andrée qui n’en a
paraît-il pas souffert. Le cher Charles a dû recevoir une
bonne correction, à moins que du fait de ses grandes
jambées…
Cousin abandonné par
ses parents, il a été recueilli d’abord par nos
grands-parents et ensuite élevé tantôt chez une
tante, tantôt chez l’autre, tantôt chez l’oncle
Georges. Il est resté plusieurs années chez nous et
y a été très heureux m’a-t-il dit souvent.
Mort de mon
père
Je suis restée à
Gournay jusqu’à 6 ans. En revenant de l’école
avec mes cousins (les trois étaient venus à Gournay, pour
fuir Paris menacé par les bombardements) nous nous
détournions quelquefois du chemin direct, pour passer par une
petite route longeant le cimetière et bordée de chaque
côté d’un ruisselet ; pour le
découvrir, il fallait soulever des touffes d’herbes
et là nous trouvions des petites grenouilles et des rainettes.
Nous leur laissions la liberté et ne leur faisions jamais de mal.
Dans la cour de mon
école, il y avait des tilleuls ;
l’été le concierge en coupait des branches et les
élèves installées devant de grandes tables,
cueillaient les fleurs. Je ne me souviens pas qu’on ait
distribué à chacune le moindre petit sac de ce tilleul.
Petite injustice.
Nous faisions aussi beaucoup
de charpie pour les blessés, et nous chantions, petites bonnes
femmes de 5 et 6 ans des chants patriotiques. Un autre souvenir pas
drôle du tout pour moi. Un jour, qu’à
l’école, j’avais fait dans ma culotte, ce que
l’on ne doit pas faire, notre maîtresse m’a
envoyée chez la concierge pour un nettoyage nécessaire,
que cette dernière a fait de très mauvaise grâce.
Je la comprends. Ensuite, elle m’a punie, m’a fait mettre
à genoux et me montrait du doigt aux personnes qui entraient
dans l’école en disant : Regardez cette petite
fille qui fait encore dans sa culotte, hou ! la vilaine. Cette
vieille bonne femme de concierge ne s’était pas rendue
compte que j’étais malade, elle m’a renvoyée
seule chez nous, je devais avoir 4 ans. À la maison, ma bonne
grand-mère l’a soignée. Mais je n’osais pas
retourner à l’école, m’imaginant que tous les
enfants me montreraient du doigt.
Jusqu’en 1917 nous
sommes restées à Gournay. Ma mère avait pris chez
nous mes cousins : Charles, Georges et Marcel pour plus de
sécurité. On ignorait si Paris ne serait pas
bombardé.
Notre petite ville
était relativement calme, sauf les jours de marché
où venaient aussi les gens des environs. Très important
marché « aux cochons ».
Nous avions toutefois les
échos de la guerre : un avion tombé dans une
prairie derrière notre maison, un Zeppelin traversant le ciel de
Gournay et aussi tous les régiments qui passaient devant nos
portes. À ces moments-là, les habitants distribuaient aux
soldats tout ce qu’ils pouvaient. Ma mère a donné
presque tout notre cidre.
Donc, début 1917, nous
quittons Gournay pour nous installer à Neuilly chez oncle Louis
et tante Azélie, nos meubles attendant dans un garde-meuble. Ma
mère a été dans l’obligation
d’abandonner notre chien Dick et de le conduire chez un voisin,
hélas un nouveau chagrin pour nous. Ma grand-mère, pour,
pensait-elle donner une dernière douceur à notre Dick,
est allée lui acheter un éclair au chocolat qu’il a
englouti rapidement. Notre Dick a été pendu.
La mort de mon père
survenue le 26 mai 1915 au pied de l’église de Noulette
n’est parvenue à ma mère que 15 jours plus tard.
Les amis très proches de mes parents avaient été
avertis, mais le docteur Duchesne, maire de Gournay n’ayant pas
reçu l’annonce officielle du décès ne
pouvait intervenir auprès de ma mère. C’est alors
qu’un soir en rentrant de l’école, je trouvais ma
mère couchée, pleurant, sans forces, choquée.
J’avais tout juste cinq ans et je n’ai pas
réalisé le malheur qui nous arrivait.
Nous sommes restés
à Gournay jusqu’en début 1917, ma mère pour
gagner notre vie, portait des journaux, travaillait chez quelques
commerçants.
Mais un souvenir
pénible me revient, entr’autres ! En juin 1915, ce
fut la première communion de Charles et malgré sa fatigue
et son immense peine, maman a voulu marquer ce grand jour et
fêter son neveu ; après la cérémonie,
maman a préparé un repas simple je suppose (à mon
âge on ne s’occupait pas tellement des menus) servi dans la
salle à manger, nappe blanche, vaisselle soignée,
argenterie, Charles à la place d’honneur. C’est
à ce moment-là que j’ai réalisé
l’effort que ma mère faisait, en la voyant entrer dans la
salle à manger, portant un plat. Elle était tout de noir
vêtue et son visage, malgré ses efforts était
d’une tristesse infinie. Nous devons être cinq à
table, grand-mère Leroy, Charles, maman, moi, peut-être
Georges ou un camarade.
Pendant toute cette
période, entre 1915 et 1917, j’ai été
ballottée, d’abord l’école à Gournay,
la maternelle, ensuite quelques jours après la mort de papa,
tante Azélie m’a emmenée à Neuilly, rue des
poissonniers ou elle venait d’obtenir une loge de concierge. La
loge ne donnait pas sur la rue, mais sur une cour, il faisait beau,
tante nous servait Marcel et moi notre petit-déjeuner dans
la cour ensoleillée ou poussait un figuier dans le fond de la
cour, une ferme où nous pouvions acheter lait, beurre, etc, pas
de cultures autour bien sûr, nous étions
entourées d’immeubles.
À Neuilly, il y a avait
quelques endroits fermiers dans les cours d’immeubles. Je suis
restée à quelques jours, ensuite je suis retournée
un peu à Gournay à l’école puis à
Bolbec pendant quelques mois, chez les parents de Marcelle et à
l’école de Marcelle dans la même classe dans les
derniers rangs, Marcelle était toujours première et
j’étais très fière d’elle.
Ensuite, j’ai été à Ermenonville à
l’école de Marguerite, mais là je savais
déjà lire et entre-temps j’étais
allée à l’école de la rue des Poissonniers
à Neuilly, je pense qu’on avait trouvé ce logement
à Neuilly et que maman était installée. Enfin, je
mélange peut-être les périodes mais je sais
qu’en 1917, j’allais à cette époque rue des
Poissonniers que j’ai dû abandonner pendant quelques mois,
maman ayant subi une grave opération, alors retour à
Ermenonville. C’est pour cela que nous avons plaisir à
égrener nos souvenirs avec Marguerite, nos balades dans les
bois, le parc de J.-J. Rousseau, la mer de sable, l’étang
autour du château, la cueillette du muguet, le ramassage des
champignons, des girolles je crois ; la chasse à courre
qui est passée devant nous, entendant le galop des chevaux nous
avions et le temps de nous cacher derrière un arbre.
C’était très beau ces chevaux passant au galop,
tous ces beaux messieurs en costumes rouges. Le Duc de…, le
comte… et le prince Radzivell et le prince Murat.
La première fois que
j’ai vu le Pince R. nous étions sur le chemin qui
mène vers la mer de Sable, mais nous étions dans
l’enceinte du parc et nous apercevons 2 messieurs,
c’étaient, le régisseur et le prince. Qui sont ces
petites filles demande le prince : « Je suis la fille
à Eugène » dit Marguerite. C’est tout,
chacun a continué son chemin.
Les photos proviennent de la collection familiale Damsin
(enfants d'Andrée). Merci à Jean-Claude pour son travail
de numérisation et d'archivage.
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