Aux Héros de 1915 Au milieu des douceurs d'une paix mensongère, Sans souci du passé, la France s'endormait Laissant imprudemment, confiante et légère, Sa frontière entr'ouverte et son bras désarmé. Mais le Kaiser, un jour, fit appel à la guerre, Déchirant les traités, reniant ses serments, Et l'Europe, prospère et paisible naguère, Frémit aux hurlements des canons allemands. S'éveillant brusquement à ce bruit, cathédrales, Basiliques, clochers branlants, beffrois anciens, De la profonde voix des cloches ancestrales, Calmèrent dans l'espace : Aux armes, citoyens ! Et voici que, soudain, comme la moisson blonde, Fait surgir des guérets ses épis longs et drus, Jaillit du sol de France, aux yeux surpris du monde, La multitude immense, énorme des poilus. Alors, tous oubliant les rancœurs de la veille, Serrant sublimmeent les rangs, face au danger, La blague entre les dents, le képi sur l'oreille, Autour de nos drapeaux ont couru se ranger. Et, pendant bien des jours, pendant bien des semaines, L'œil toujours aux aguets et le cœur frémissant, Désireux d'abolir les guerres inhumaines, Ils ont donné leur vie, ils ont versé leur sang. Impatients aussi d'une gloire nouvelle, Dans leurs nids, les Oiseaux de France ont frissonné, Puis, prenant tout à coup leur vol à tire-d'aile, Sur nos soldats vainqueurs, joyeux, ils ont plané. Dans l'azur infini cinglant à pleines voiles Vers de mystérieux et ponfonds inconnus, Ils ont monté, monté toujours… jusqu'aux étoiles ! Et quelques-uns, hélas ! n'en sont pas revenus ! Gloire à tous ces héros tombés dans la bataille Sans avoir reculé, sans avoir défailli. Gloire à ceux qui, bravant le fer et la mitraille, Ont vu venir la mort et n'en ont point pâli ! Dans les sillons féconds, ainsi qu'une relique, Nous avons déposé leurs restes mutilés, Et le vent bercera leur sommeil héroïque De la chanson qu'il chante au travers des grands blés. Gloire à celles, enfin, qui, pansant nos blessures, Avec un dévouement, un cœur que rien n'abat, Sans hésiter devant les tâches les plus dures, N'ont pas abandonné leur poste de combat. Oh ! oui, qu'elles ont bien mérité de la France, Celles qui, nuit et jour, près de notre chevet, Sans cesse ont animé, calmant notre souffrance, Dans nos cerveaux meurtris le rêve inachevé, Le rêve d'un pays délivré des entraves Dont voulait le charger l'Allemand exécré, D'un pays rénové par tout le sang des braves Tombés en défendant son sol cher et sacré ; D'un pays qui veut vivre, vivre à la grande lumière, Libre de travailler, d'ensemencer ses champs, De contempler, les soirs de printemps, la chaumière S'endormir dans la paix immense des couchants ; Le rêve colossal de la France immortelle Qui, malgré ses défauts et sa légèreté, Voit les peuples toujours tendre les bras vers elle Comme la Justice et vers la Liberté ! |
André Bigot, Sergent réserviste au 119e de ligne Août 1915 |