Bandeau de la page consacrée à Louis Grégoire, jeune soldat du 28e RILouis Grégoire, originaire de La Ferté-Macé dans l'Orne, travaillait dans un bureau et souhaitait devenir prêtre. Il n'est pas encore entré au séminaire qu'il fut mobilisé à 20 ans avec sa classe le 7 septembre 1914 et qu'il revêt l'uniforme à la caserne Amey à Evreux au 28e RI.
Après deux mois de classe, il arrive au front le 15 novembre 1915.

Tous les deux ou trois jours, il écrit au crayon des lettres à sa mère pour lui raconter sa vie de jeune soldat dans les tranchées : devant Sapigneul à Cormicy et au pied de la cote 108 à Berry-au-Bac.

Voici quelques extraits de cette correspondance.

Extrait de la correspondance de Louis Grégoire.
Louis Grégoire
appartient à la 11e compagnie (3e bataillon).

Depuis le 14 janvier,
son bataillon occupait
la cote 108.
   
Bois des Geais
Mardi 17 janvier 1915

Après 4 jours en 1ère ligne la compagnie est de retour dans les gourbis du bois des Geais où nous goûtons un repos … relatif que trouble seulement le sifflement des obus et le bruit du canon. J’ai reçu la lettre de Marie Thérèse à laquelle tu avais joins quelques mots. Reçu aussi le colis couteau saucisson chocolat amandes etc. Merci beaucoup toutes ses fantaisies complètent l’ordinaire et nous permettent de mieux supporter les fatigues de la campagne et les rigueurs de la température. On s’habitue d’ailleurs assez bien au froid.  Quand on est en 1ere ligne comme j’étais les 4 derniers jours on passe 2 jours debout dans les tranchées sans abri d’aucune sorte et les 2 autres jours se passent la nuit  en corvée, le jour dans des abris. Il est de toute évidence que les jours les plus durs sont les deux jours de tranchées. On est heureux après 4 jours vécus ainsi de revenir en villégiature dans notre petit bois. 
 

 

 
 La 1ère journée est consacrée à la grande toilette, grand nettoyage (n’oublions pas que nous avons passé 4 jours dans de la marne, cette boue blanche) et en plein air les gourbis sont trop petits pour qu’on s’y installe pour cette opération. On arrive à se retrouver nets après pas mal de frictions savonneuses en se servant de l’eau du ruisseau trop peu important pour s’y baigner. Toilette au grand air et pourtant nous sommes en janvier, chaque matin depuis 3 jours la gelée blanche couvre la plaine et le bois est blanc de givre. Ceci pour vous prouver que comme mes camarades je me suis habitué au froid maintenant. J’ai reçu la lettre de Mr Arthur, je le remercie et j’essaierai de lui donner des détails nouveaux sur la vie que nous menons. Mais hélas je crois que nous avons déjà tout dit sur ce que nous faisons et comment nous le faisons.
[…]
 




Localisation du bois des geais, Gernicourt.

Les 1er et 3e bataillons du 28e RI sont chargés de tenir le front de la Cote 108.
Lorsque le 1er bataillon est en premières lignes, le 3e est en "repos" dans les abris du bois des geais.

  

 


Comme Lucien je crois que le grand coup ne tardera guère, on attend que le temps soit meilleur et surtout sec. Encore 2 mois et si Dieu nous prête vie nous aurons le bonheur de vous embrasser tous. Je termine il est l’heure, bonjour à tous les abbés. Pour toi et mes sœurs, ma chère maman, mes plus affectueux baisers.


  
Extrait de la correspondance de Louis Grégoire.



1. Il s'agit de l'attaque
du 92e Régiment
d'infanterie allemand.

22 janvier
L’homme propose et Dieu dispose, j’avais rêvé de faire de la correspondance et de répondre à ta lettre du 15 reçue ce matin quand subitement : alerte, tout le monde en tenue et vivement. Les Boches attaquent, nous descendons de notre bois vers les tranchées, ils avaient attaqué la cimenterie (1) et l’avaient occupée, mais le lendemain midi nous l’avions reprise. Je puis vous assurer que j’ai été protégé, ma compagnie était en réserve à quelques centaines de mètres du lieu du combat. Nous n’avons pas eu besoin de donner, tout s’est passé sans nous. Nous avons subi un violent bombardement qui n’a pas fait trop de dégâts. Nous allons passer 2 ou 3 jours ici en 1ère ligne et ensuite remonter au repos au bois des Geais. Il pleut et le froid est plus vif, mais comme je te l’ai dit déjà nous supportons très bien cette température.
 

 














Bois des Geais 26 janvier
Le retour dans nos gourbis, au bois des Geais, où nous sommes à l’abri du froid et des distributions un peu trop abondantes des boches Je m’empresse de t’adresser une lettre où je vais passer en revue les évènements de ces derniers jours. Le mardi 19 je m’étais installé dans un petit gourbi pour deux avec un camarade de l’escouade, bon catholique et ligueur de la croix blanche, la journée avait été occupée toute entière par l’installation intérieure de notre domicile, j’écris cependant une lettre où je vous parle  de notre toilette au retour des tranchées.

Le mercredi 20 je reçois ta lettre du 15 et je passe la journée à bavarder et à lire les journaux de  plusieurs jours pour me mettre un peu au courant des évènements. J’avais décidé d’écrire le soir les diverses lettres aux amis et de répondre à la tienne.  Ne remettez jamais au lendemain ce que vous pouvez faire aujourd’hui dit le proverbe. A la guerre on  peut le modifier et dire ne remettez jamais à plus tard ce que vous pouvez faire sur le champ (c’est une leçon  pour une prochaine fois).

Le soir les boches attaquaient, il fallait aussitôt se mettre en tenue, adieu la correspondance. L’attaque boche avait lieu à 5 heures aussitôt équipés nous restons prêts dehors à partir et attendons les ordres, à 6 h les cuisiniers arrivent, on prend la soupe debout. Ensuite départ, nous descendons au canal en réserve. Résultat de l’attaque, ils avaient pris la cimenterie dont je vous ai parlé plusieurs fois et deux petites tranchées sur la rive droite du canal latéral entre le canal et l’Aisne, la cimenterie est sur la rive gauche.
 

 


Le jeudi 21 à 8 h du matin nous contre attaquons. Les compagnies qui sont en 1ère ligne donnent l’assaut dans la cimenterie après un bombardement terrible de nos canons, elles font une vingtaine de prisonniers qui ont échappé miraculeusement à notre mitraille et elles occupent la cimenterie, gagnant ainsi ce que nous avions perdu la veille et un peu plus, toute la journée se passe dans un calme relatif.

Le soir à 7 h pour prévenir toute contre-attaque allemande nos canons bombardent violement les positions ennemies. Les boches, croyant sans doute à une attaque de notre part, ripostent par un violent bombardement, pendant 1 heure c’est une pluie de mitraille. Et comme ils ne peuvent toucher nos 1ere lignes qui sont trop près des leurs, c’est sur les lignes des réserves qu’ils tapent, nous sommes assez bien cachés, à la compagnie nous avons un peu de perte. Un obus est tombé dans l’abri où était mon escouade, nous avons hélas deux morts, les autres sont sains et saufs, c’est miraculeux, vos prières me protègent je le vois.

Hommage à Benjamin Mutot, 11e compagnie du 28e RI

Benjamin Mutot est peut-être l'un des compagnons de Louis Grégoire tués ce 21 janvier.





1. Le JMO indique cette relève : "Vers la même heure
[19 heures], le 3e bataillon relève le 1er sans incident au secteur 108."

2. L'action est menée
par la 7e compagnie dirigée par le capitaine Cotinaud.

Le vendredi 22 la journée est calme, le soir vers 7 heures le charivari de la veille recommence pendant près de 2 heures, cette fois ns n’avons aucune perte, vers 8 h le bombardement s’apaise nous profitons de la nuit pour relever les compagnies qui depuis 4 jours sont en 1ere ligne et ont subi l’attaque allemande. (1)

Le samedi 23 calme relatif, le soir nouveau bombardement tant français que boche, c’est pendant 4 heures un vacarme épouvantable. La colline qui est derrière nous et où en partie notre artillerie est constamment illuminée par des éclairs de feu, c’est beau mais c’est terrible aussi. Tous ces bombardements ont été déchaînés par les nôtres qui ont repris aux boches les deux tranchées perdues sur la rive droite le mercredi. Les pertes sont à peu près nulles de notre côté. (2)
 


Extrait de la correspondance de Louis Grégoire.
 

Lors du bombardement de samedi qui a duré pendant 4 heures nous avons eu 1 blessé, c’est un de mes camarades qui était venu d’Evreux avec moi et qui été ici dans mon escouade, dès qu’il a été blessé, en attendant que les brancardiers viennent le chercher, je l’ai pansé, il avait un éclat dans la cuisse, blessure peu grave, c’est le premier pansement que je fais, ce n’est peut-être hélas pas le dernier.

Dimanche 24 le calme renait, les boches semblent en avoir assez, leurs pertes ont dû d’ailleurs être sérieuses, c’est ce qui les rend sages, nous pouvons goûter quelques instants de repos. Le lundi le calme est revenu, nous sommes encore à la guerre mais nous ne sommes plus dans les jours fameux des attaques et des contre-attaques. Cette fois je crois avoir eu le baptême du feu d’une façon réelle. Les bombardements que déjà nous avions essuyés n’étaient que pour nous rappeler que nous étions à la guerre, mais je n’avais jamais pris part au combat, maintenant c’est fait je suis aguerri, grâce à vos prières, je suis sain et sauf. Pendant ces jours j’ai écrit aussi souvent que possible, j’ai reçu un paquet merci beaucoup. Bon baisers
 


Extrait de la correspondance de Louis Grégoire.


La lettre suivante est remarquable.
Datée du 5 mai et
écrite à l'abbé Girard (vicaire de la paroisse de la Ferté-Macé), elle résume les 52 jours passés au front.




1. Sapigneul.

2. Berry-au-Bac :
le village et la Cote 108.

  
Cher ami

Depuis le 1er-11 Le régiment était dans les tranchées, je l’avais rejoint le 15-11. Nous occupions alors un secteur le long du canal de l’Aisne à la Marne (1), le 8 décembre nous quittâmes ce secteur et nous partîmes pour le secteur de B au B (2). Nous passâmes là 52 jours consécutifs, 4 jours en 1ère ligne, 4 jours au repos dans le bois des geais à 200 m environ de l’ennemi, nous recevions quotidiennement des rafales de 77 et des projectiles d’autres calibre, drôle de repos.

52 jours cachés dans les boyaux, les tranchées, ne pouvant circuler hors de ces trous que la nuit et encore en grand silence.

52 jours n’ayant pour tout spectacle que les maisons démolies, des péniches pillées et les réseaux de fil de fer des tranchées ennemies, vivant dans une boue blanche et épaisse qui faisait de nous des soldats blancs comme des meuniers.

52 jours sans voir un civil, ni homme, ni femme, ni enfant, perdus au milieu des compagnons d’armes que le hasard m’avait donné et que je connaissais à peine, sans rencontrer un prêtre, un ami à qui on peut confier ses joies, ses espérances, ses peines.

52 jours enfin éloigné de tout, n’ayant aucune correspondance avec le monde civilisé, heureusement que dans la profondeur de notre exil, nous recevions des lettres affectueuses et réconfortantes, des paquets remplis de choses douces que l’on goutait savoureusement en pensant à la petite patrie hélas bien lointaine.


 
3. La célèbre
Cote 108.


Nous occupions le flanc d’une côte entrecoupée de carrières (3). Les boches tenaient le sommet de la crête et notre tranchée était à 40 m de la leur, un boyau faisait communiquer les 2 tranchées, du côté gauche la côte se terminait subitement par une falaise à pic, un espace large d’une cinquantaine de mètres environ, sur lequel était construit une fabrique de ciment, s’étendait entre le pied de la falaise et le canal latéral de l’Aisne, canal limitant notre secteur.

C’est là que je passai Noël et le 1er janvier. Quand vint le 10 janvier ce secteur où l’on avait vécu dans un calme relatif se remplit subitement de fièvre et pendant près de 20 jours nous eûmes à supporter des bombardements terribles. Les journées du 21 22 23 janvier  resteront mémorables dans ma compagnie nous eûmes à repousser une attaque allemande et les journaux mentionnèrent au communiqué officiel : une action de 3 jours qui s’est déroulée à B… Plusieurs fois depuis les journaux ont publié des photographies de cette région.


 


Photo de Louis Grégoire, jeune soldat du 28e tué en mai 1915. Collection Florence Daniaud,






4. Cormicy.


Février nous ramena dans le secteur où nous avions été précédemment, là c’était l’entente, nous causions amicalement avec les gens d’en face, tout prêt cependant à leur tirer dessus s’ils avaient voulu profiter de ces relations pour faire un coup de main quelconque. Dans ce secteur le service était moins fatiguant et nous avions l’avantage de prendre notre repos à 3 km environ des tranchées, près d’un petit bourg (4) où nous pouvions nous ravitailler et où, Dieu merci, je pouvais enfin trouver un prêtre pour m’apporter un réconfort moral. Mars nous vit de retour dans notre carrière de marne et plus d’une fois les giboulées détrempent la terre blanche faisant de nous des hommes tout blanc des pieds jusqu’à la tête.












4. Nous sommes le 26 avril dans le village de Ventelay.


Avril nous ramène le long du canal de l’Aisne à la Marne et après un mois dans une tranquillité quasi complète, nous comptions avec mai revoir le sommet de la côte et les blanches carrières, et goûter pendant les jours de repos la fraîcheur des ombrages du bois aux geais quand subitement l’ordre vint de partir… destination inconnue. Un soir donc à la nuit nous quittâmes nos emplacements de 2ème ligne et nous allâmes nous rassembler, avec tout le régiment dans un petit bois, de là en route vers l’inconnu. Il est minuit quand nous nous mettons en marche, nous allons lentement, depuis 6 jours nous n’avons pas dormi ; en effet nous venions de passer 4 jours en 1ère ligne et les préparatifs de départ avaient multiplié nos occupations de 2ème ligne, comme nous cheminions lentement, à l’aurore tout à coup une cloche égrène dans l’air pur du matin les coups joyeux de l’angélus, je ne sais quelle joie alors entra dans notre cœur, cette cloche nous annonçait le repos, nous annonçait que l’ennemi était loin, que nous pouvions enfin respirer à l’aise, sans crainte, c’était pour nous les sons joyeux qui vous annonceront la Victoire (4).



5. Fismes.
Le 28e y restera
jusqu'au 10 mai.




6. Ernest Capitant

Après quelques heures de pose, nous montons dans des autos et nous partons pour F. (5) où nous sommes au repos depuis 8 jours. Il est très réconfortant de passer ainsi quelques jours à l’arrière, la vie intense qui y règne contraste avec le vie monotone des tranchées. On a beau dire, six mois passent.. avoir constamment au-dessus de la tête une voute d’épées de Damoclès cela n’a vraiment rien de très réconfortant, c’est plutôt au contraire déprimant.

Pour occuper nos journées de repos, nous allons chaque matin à l’exercice. Hier le colonel (6) nous a passé en revue et nous a présenté le drapeau. Le régiment était rassemblé en carré, au milieu le Drapeau porté par un officier et encadré de soldats selon la coutume militaire. Le colonel prononça quelques paroles qui suffirent pour susciter l’enthousiasme. Oui car à notre ferme volonté de vaincre nous les combattants, les jeunes surtout, nous joignons encore l’enthousiasme de nos cœurs et si après six mois passés sous la gueule des canons ennemis, nous sommes heureux de venir goûter quelques jours tranquilles, soyez sûrs que c’est sans peur, sans regrets que de nouveau nous retournerons au combat.


Un très grand merci à Florence Daniaud, sa petite-nièce, pour la communication de ce témoignage.
Vous retrouverez l'ensemble de la correspondance de Louis Grégoire dans le remarquable travail réalisé et édité par Florence Daniaud :

16 mai 2015, l’anniversaire des 100 ans de la mort Louis Grégoire.
Le carnet de route d’un soldat est l’ensemble de feuillets écrites du front de la Marne par Louis sous forme d’un journal et de lettres adressées à sa mère puis confiés à sa sœur Agnès. Cette dernière transcrivit ce carnet à sa façon dans un cahier. L’ensemble est présenté dans ouvrage illustré et commenté avec des compléments de lettres.
Florence Duguay-Daniaud est une petite nièce de Louis Grégoire. Ce manuscrit est un hommage à sa grand-mère, Agnès Grégoire et l’histoire d’une transmission familiale.

Parution : mai 2015. Prix de vente 27.50 €
225 pages, Format A4 - impression couleur

Pour commander le livre :
Versement de la somme de 27.50 et de 7 euros de frais de port par chèque à :
Florence  Duguay-Daniaud 151 Bd des Poilus 44300 Nantes
flodaniaud@gmail.com

Télécharger une présentation de l'ouvrage.  

  accueil