Louis Grégoire
appartient à la 11e compagnie (3e bataillon).
Depuis le 14 janvier,
son bataillon occupait
la cote 108.
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Bois des Geais
Mardi 17 janvier 1915
Après 4 jours en 1ère ligne la compagnie est de retour dans les gourbis
du bois des Geais où nous goûtons un repos … relatif que trouble
seulement le sifflement des obus et le bruit du canon. J’ai reçu la
lettre de Marie Thérèse à laquelle tu avais joins quelques mots. Reçu
aussi le colis couteau saucisson chocolat amandes etc. Merci beaucoup
toutes ses fantaisies complètent l’ordinaire et nous permettent de
mieux supporter les fatigues de la campagne et les rigueurs de la
température. On s’habitue d’ailleurs assez bien au froid. Quand
on est en 1ere ligne comme j’étais les 4 derniers jours on passe 2
jours debout dans les tranchées sans abri d’aucune sorte et les 2
autres jours se passent la nuit en corvée, le jour dans des
abris. Il est de toute évidence que les jours les plus durs sont les
deux jours de tranchées. On est heureux après 4 jours vécus ainsi de
revenir en villégiature dans notre petit bois. |
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La 1ère journée est
consacrée à la grande toilette, grand nettoyage (n’oublions pas que
nous avons passé 4 jours dans de la marne, cette boue blanche) et en
plein air les gourbis sont trop petits pour qu’on s’y installe pour
cette opération. On arrive à se retrouver nets après pas mal de
frictions savonneuses en se servant de l’eau du ruisseau trop peu
important pour s’y baigner. Toilette au grand air et pourtant nous sommes
en janvier, chaque matin depuis 3 jours la gelée blanche couvre la
plaine et le bois est blanc de givre. Ceci pour vous prouver que comme
mes camarades je me suis habitué au froid maintenant. J’ai reçu la
lettre de Mr Arthur, je le remercie et j’essaierai de lui donner des
détails nouveaux sur la vie que nous menons. Mais hélas je crois que nous
avons déjà tout dit sur ce que nous faisons et comment nous le faisons.
[…]
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Les 1er et 3e bataillons du 28e RI sont chargés de tenir le front de la Cote 108.
Lorsque le 1er bataillon est en premières lignes, le 3e est en "repos" dans les abris du bois des geais.
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Comme Lucien je crois que le grand coup ne
tardera guère, on attend que le temps soit meilleur et surtout sec.
Encore 2 mois et si Dieu nous prête vie nous aurons le bonheur de vous
embrasser tous. Je termine il est l’heure, bonjour à tous les abbés.
Pour toi et mes sœurs, ma chère maman, mes plus affectueux baisers. |
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1. Il s'agit de l'attaque
du 92e Régiment
d'infanterie allemand.
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22 janvier
L’homme propose et Dieu dispose, j’avais rêvé de faire de la
correspondance et de répondre à ta lettre du 15 reçue ce matin quand
subitement : alerte, tout le monde en tenue et vivement. Les Boches
attaquent, nous descendons de notre bois vers les tranchées, ils
avaient attaqué la cimenterie (1)
et l’avaient occupée, mais le lendemain midi nous l’avions reprise. Je
puis vous assurer que j’ai été protégé, ma compagnie était en réserve à
quelques centaines de mètres du lieu du combat. Nous n’avons pas eu
besoin de donner, tout s’est passé sans nous. Nous avons subi un
violent bombardement qui n’a pas fait trop de dégâts. Nous allons
passer 2 ou 3 jours ici en 1ère ligne et ensuite remonter au repos au
bois des Geais. Il pleut et le froid est plus vif, mais comme je te
l’ai dit déjà nous supportons très bien cette température.
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Bois des Geais 26 janvier
Le retour dans nos gourbis, au bois des Geais, où nous sommes à l’abri
du froid et des distributions un peu trop abondantes des boches Je
m’empresse de t’adresser une lettre où je vais passer en revue les
évènements de ces derniers jours. Le mardi 19 je m’étais installé dans
un petit gourbi pour deux avec un camarade de l’escouade, bon
catholique et ligueur de la croix blanche, la journée avait été occupée
toute entière par l’installation intérieure de notre domicile, j’écris
cependant une lettre où je vous parle de notre toilette au retour des
tranchées.
Le mercredi 20 je reçois ta lettre du 15 et je passe la journée à
bavarder et à lire les journaux de plusieurs jours pour me mettre un
peu au courant des évènements. J’avais décidé d’écrire le soir les
diverses lettres aux amis et de répondre à la tienne. Ne remettez
jamais au lendemain ce que vous pouvez faire aujourd’hui dit le
proverbe. A la guerre on peut le modifier et dire ne remettez jamais à
plus tard ce que vous pouvez faire sur le champ (c’est une leçon pour
une prochaine fois).
Le soir les boches attaquaient, il fallait aussitôt se mettre en
tenue, adieu la correspondance. L’attaque boche avait lieu à 5 heures
aussitôt équipés nous restons prêts dehors à partir et attendons les
ordres, à 6 h les cuisiniers arrivent, on prend la soupe debout. Ensuite
départ, nous descendons au canal en réserve. Résultat de l’attaque, ils
avaient pris la cimenterie dont je vous ai parlé plusieurs fois et deux
petites tranchées sur la rive droite du canal latéral entre le canal et
l’Aisne, la cimenterie est sur la rive gauche. |
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Le
jeudi 21 à 8 h du matin nous contre attaquons. Les compagnies qui sont
en 1ère ligne donnent l’assaut dans la cimenterie après un bombardement
terrible de nos canons, elles font une vingtaine de prisonniers qui ont
échappé miraculeusement à notre mitraille et elles occupent la
cimenterie, gagnant ainsi ce que nous avions perdu la veille et un peu
plus, toute la journée se passe dans un calme relatif.
Le soir à 7 h
pour prévenir toute contre-attaque allemande nos canons bombardent
violement les positions ennemies. Les boches, croyant sans doute à une
attaque de notre part, ripostent par un violent bombardement, pendant 1
heure c’est une pluie de mitraille. Et comme ils ne peuvent toucher nos
1ere lignes qui sont trop près des leurs, c’est sur les lignes des
réserves qu’ils tapent, nous sommes assez bien cachés, à la compagnie
nous avons un peu de perte. Un obus est tombé dans l’abri où était mon
escouade, nous avons hélas deux morts, les autres sont sains et saufs,
c’est miraculeux, vos prières me protègent je le vois.
Benjamin Mutot est peut-être l'un des compagnons de Louis Grégoire tués ce 21 janvier.
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1. Le JMO indique cette relève : "Vers la même heure
[19 heures], le 3e bataillon relève le 1er sans incident au secteur 108."
2. L'action est menée
par la 7e compagnie dirigée par le capitaine Cotinaud.
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Le vendredi 22 la journée est calme, le soir vers 7 heures le charivari
de la veille recommence pendant près de 2 heures, cette fois ns n’avons
aucune perte, vers 8 h le bombardement s’apaise nous profitons de la
nuit pour relever les compagnies qui depuis 4 jours sont en 1ere ligne
et ont subi l’attaque allemande. (1)
Le samedi 23 calme relatif, le soir nouveau bombardement tant français
que boche, c’est pendant 4 heures un vacarme épouvantable. La colline
qui est derrière nous et où en partie notre artillerie est constamment
illuminée par des éclairs de feu, c’est beau mais c’est terrible aussi.
Tous ces bombardements ont été déchaînés par les nôtres qui ont repris
aux boches les deux tranchées perdues sur la rive droite le mercredi.
Les pertes sont à peu près nulles de notre côté. (2)
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Lors du bombardement
de samedi qui a duré pendant 4 heures nous avons eu 1 blessé, c’est un
de mes camarades qui était venu d’Evreux avec moi et qui été ici dans
mon escouade, dès qu’il a été blessé, en attendant que les brancardiers
viennent le chercher, je l’ai pansé, il avait un éclat dans la cuisse,
blessure peu grave, c’est le premier pansement que je fais, ce n’est
peut-être hélas pas le dernier.
Dimanche 24 le calme renait, les boches semblent en avoir assez, leurs
pertes ont dû d’ailleurs être sérieuses, c’est ce qui les rend sages,
nous pouvons goûter quelques instants de repos. Le lundi le calme est
revenu, nous sommes encore à la guerre mais nous ne sommes plus dans
les jours fameux des attaques et des contre-attaques. Cette fois je
crois avoir eu le baptême du feu d’une façon réelle. Les bombardements
que déjà nous avions essuyés n’étaient que pour nous rappeler que nous
étions à la guerre, mais je n’avais jamais pris part au combat,
maintenant c’est fait je suis aguerri, grâce à vos prières, je suis
sain et sauf. Pendant ces jours j’ai écrit aussi souvent que possible,
j’ai reçu un paquet merci beaucoup. Bon baisers
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La
lettre suivante est remarquable.
Datée du 5 mai et écrite à l'abbé Girard (vicaire de la paroisse de la Ferté-Macé), elle résume les 52 jours passés au front.
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1. Sapigneul.
2. Berry-au-Bac :
le village et la Cote 108.
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Cher ami
Depuis le 1er-11 Le régiment était dans les tranchées, je l’avais rejoint
le 15-11. Nous occupions alors un secteur le long du canal de l’Aisne à
la Marne (1), le 8 décembre nous quittâmes ce secteur et nous partîmes pour le
secteur de B au B (2). Nous passâmes là 52 jours
consécutifs, 4 jours en 1ère ligne, 4 jours au repos dans le bois des
geais à 200 m environ de l’ennemi, nous recevions quotidiennement des
rafales de 77 et des projectiles d’autres calibre, drôle de repos.
52
jours cachés dans les boyaux, les tranchées, ne pouvant circuler hors de
ces trous que la nuit et encore en grand silence.
52 jours n’ayant pour
tout spectacle que les maisons démolies, des péniches pillées et les
réseaux de fil de fer des tranchées ennemies, vivant dans une boue
blanche et épaisse qui faisait de nous des soldats blancs comme des
meuniers.
52 jours sans voir un civil, ni homme, ni femme, ni enfant,
perdus au milieu des compagnons d’armes que le hasard m’avait donné et
que je connaissais à peine, sans rencontrer un prêtre, un ami à qui on
peut confier ses joies, ses espérances, ses peines.
52 jours enfin
éloigné de tout, n’ayant aucune correspondance avec le monde civilisé,
heureusement que dans la profondeur de notre exil, nous recevions des
lettres affectueuses et réconfortantes, des paquets remplis de choses
douces que l’on goutait savoureusement en pensant à la petite patrie
hélas bien lointaine. |
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3. La célèbre
Cote 108.
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Nous occupions le flanc d’une côte entrecoupée de carrières (3). Les boches
tenaient le sommet de la crête et notre tranchée était à 40 m de la
leur, un boyau faisait communiquer les 2 tranchées, du côté gauche la
côte se terminait subitement par une falaise à pic, un espace large
d’une cinquantaine de mètres environ, sur lequel était construit une
fabrique de ciment, s’étendait entre le pied de la falaise et le canal
latéral de l’Aisne, canal limitant notre secteur.
C’est là que je
passai Noël et le 1er janvier. Quand vint le 10 janvier ce secteur où
l’on avait vécu dans un calme relatif se remplit subitement de fièvre
et pendant près de 20 jours nous eûmes à supporter des bombardements
terribles. Les journées du 21 22 23 janvier resteront mémorables dans
ma compagnie nous eûmes à repousser une attaque allemande et les journaux
mentionnèrent au communiqué officiel : une action de 3 jours qui s’est
déroulée à B… Plusieurs fois depuis les journaux ont publié des
photographies de cette région. |
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4. Cormicy.
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Février nous ramena dans le secteur où nous avions été précédemment, là
c’était l’entente, nous causions amicalement avec les gens d’en face,
tout prêt cependant à leur tirer dessus s’ils avaient voulu profiter de
ces relations pour faire un coup de main quelconque. Dans ce secteur le
service était moins fatiguant et nous avions l’avantage de prendre notre
repos à 3 km environ des tranchées, près d’un petit bourg (4) où nous
pouvions nous ravitailler et où, Dieu merci, je pouvais enfin trouver
un prêtre pour m’apporter un réconfort moral. Mars nous vit de retour
dans notre carrière de marne et plus d’une fois les giboulées
détrempent la terre blanche faisant de nous des hommes tout blanc des
pieds jusqu’à la tête. |
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4. Nous sommes le 26 avril dans le village de Ventelay.
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Avril
nous ramène le long du canal de l’Aisne à la Marne et après un
mois dans une tranquillité quasi complète, nous comptions avec mai
revoir le sommet de la côte et les blanches carrières, et goûter
pendant les jours de repos la fraîcheur des ombrages du bois aux geais
quand subitement l’ordre vint de partir… destination inconnue. Un
soir donc à la nuit nous quittâmes nos emplacements de 2ème ligne
et nous allâmes nous rassembler, avec tout le régiment dans un petit
bois, de là en route vers l’inconnu. Il est minuit quand nous nous mettons
en marche, nous allons lentement, depuis 6 jours nous n’avons pas dormi ;
en effet nous venions de passer 4 jours en 1ère ligne et les
préparatifs de départ avaient multiplié nos occupations de 2ème ligne,
comme nous cheminions lentement, à l’aurore tout à coup une cloche
égrène dans l’air pur du matin les coups joyeux de l’angélus, je ne
sais quelle joie alors entra dans notre cœur, cette cloche nous
annonçait le repos, nous annonçait que l’ennemi était loin, que nous
pouvions enfin respirer à l’aise, sans crainte, c’était pour nous les
sons joyeux qui vous annonceront la Victoire (4).
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5. Fismes.
Le 28e y restera
jusqu'au 10 mai.
6. Ernest Capitant
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Après quelques heures de pose, nous montons dans des autos et nous partons
pour F. (5) où nous sommes au repos depuis 8 jours. Il est très réconfortant
de passer ainsi quelques jours à l’arrière, la vie intense qui y règne
contraste avec le vie monotone des tranchées. On a beau dire, six mois
passent.. avoir constamment au-dessus de la tête une voute d’épées de
Damoclès cela n’a vraiment rien de très réconfortant, c’est plutôt au
contraire déprimant.
Pour occuper nos journées de repos, nous allons
chaque matin à l’exercice. Hier le colonel (6) nous a passé en revue et nous
a présenté le drapeau. Le régiment était rassemblé en carré, au milieu
le Drapeau porté par un officier et encadré de soldats selon la coutume
militaire. Le colonel prononça quelques paroles qui suffirent pour
susciter l’enthousiasme. Oui car à notre ferme volonté de vaincre nous
les combattants, les jeunes surtout, nous joignons encore
l’enthousiasme de nos cœurs et si après six mois passés sous la gueule
des canons ennemis, nous sommes heureux de venir goûter quelques jours
tranquilles, soyez sûrs que c’est sans peur, sans regrets que de
nouveau nous retournerons au combat. |