Benadeau de la page consacrée au fils de François Flameng
Le 9 juin 1915, l’État major du 28e RI consigne dans le journal des marches et des opérations une décision du corps d’armée : « Le sergent Flameng est dirigé sur Gouves pour être détaché à la 39e compagnie d’aéropostiers comme élève-observateur (note du 3e CA n°108 I/1 du 9 Juin) ». Pourquoi un simple sergent bénéficie-t-il de cet honneur de figurer dans le JMO de son régiment ?

Extrait du JMO du 28e RI : 9 juin 1915

L’explication est simple, Jean Flameng est le fils d’une personnalité de la vie culturelle française, c’est le fils du peintre François Flameng, un des peintres les plus populaires de l’époque.

François Flameng

En effet, depuis le début de la campagne, une des compagnies du 2e bataillon a le privilège d’accueillir le jeune Flameng, engagé volontaire pour trois ans en 1913.
En août 1914, Jean a 21 ans,  il devient caporal le 17 janvier 1915 et sergent le 10 avril.
Ses compagnons de tranchée se sont probablement rappelé que gamins, ils avaient pu collectionner les images des plaques de chocolat Poulain et que sur l’une d’elle posait fièrement le jeune fils du peintre. Jean Flameng fut ainsi le petit ambassadeur du chocolat Poulain !

Le chocolat Poulain et Jean Flameng

Cette célébrité ne s’est pas arrêtée à ces souvenirs chocolatés car à la fin de 1914, le père en personne est venu dans les tranchées de Berry-au-Bac, rendre visite à son fils et peindre officiellement le secteur. L’État major du régiment, dirigé par le lieutenant-colonel Ernest Capitant déroule alors le tapis rouge à cet invité de marque et le peintre Flameng peut se « promener » dans les secteurs les plus dangereux. Président de la société des peintres militaires créée en 1913, il sera le seul peintre à disposer d'un sauf conduit pour se rendre librement en premières lignes.
C'est ainsi que le père fera le croquis en décembre 1914 de son propre fils...

Jean Flameng, peint par son père
JEAN FLAMENG, SOLDAT AU 28ème RÉGIMENT D’INFANTERIE DE LIGNE, 20 DÉCEMBRE 1914
Aquarelle, gouache, graphite, et blanc de plomb sur papier vergé collé sur carton, H. 36,9 ; L. 17cm.
Signé, titré et localisé en bas : « François Flameng / JEAN FLAMENG. SOLDAT AU 28ème DE LIGNE / BERRY AU BAC 20 DÉCEMBRE 1914 ».
Paris, Musée de l’Armée. INV : 1159 C1

Détail du tableau de Jean Flameng
Cette aquarelle fut reproduite dans les Annales politiques et littéraires, numéro 1652 du 21 février 1915 :

Extrait des Annales politiques et littéraires, numéro 1652 du 21 février 1915
Le musée de l'Armée garde deux autres aquarelles de décembre 1914 de l'auteur :
"Sapigneul près de Reims", "La barricade du choléra à Berry-au-Bac".


Au printemps 1915, Capitant, alias « le duc de Berry » fait part à sa femme et à son frère de l’amitié qu’il entretient avec le peintre. Selon sa correspondance, on sait que le peintre demeure à Berry-au-Bac les 29, 30 et 31 mars. Le lundi 29, Capitant et Flameng déjeunent ensemble. Lors de ces journées, Flameng arpente le secteur du 28e RI : la cote 108, les canaux, l’Aisne et Berry-au-Bac en ruines.  Le peintre déclare qu'il n'a jamais rien vu de pareil depuis le début de la campagne. Le secteur lui fait une forte impression. Il est enthousiasmé par la diversité des paysages et des sujets à peindre : organisations de toutes sortes, paysages palustres variés, ruines, carrières, digues, proximité immédiate de l'ennemi. Il y trouve des motifs d'esquisses innombrables. Une amitié va naître entre les deux hommes. Ils ont pratiquement le même âge. Flameng raconte au lieutenant-colonel ses voyages et ses rencontres avec les "grands" d'Europe, et il lui promet même une aquarelle de son PC pour sa femme. Les deux hommes vont déjeuner dans les vestiges de Berry-au-Bac avec le commandant Pineau du 2e Bataillon. Le fils Flameng y participe probablement.
Ernest Capitant et François Flameng
François Flameng quitte Berry-au-Bac le mercredi 31 au soir. Durant ce séjour, il peint plusieurs aquarelles dont une représente la cote 108 avec un avion poursuivi par des obus allemands.

Le vendredi 2, il est accueilli par un des régiments de Rouen : le 74e Régiment d’infanterie qui occupe le secteur de Thil à quelques kilomètres à l’est de Berry-au-Bac. Grâce aux trésors de témoignages engrangés par notre ami Stéphan Agosto – spécialiste du 74e RI –, on découvre le peintre durant une séance de peinture. Attention, documents inédits.

François Flameng au 74e RI : le 2 avril 1915
2 avril 1915. François Flameng fait une visite dans le secteur du 74e R. I. (Thil – Chauffour, au nord de Reims) et réalise notamment le portrait d’un soldat du régiment. Ce fait nous est relaté dans une lettre de Gabriel Le Ber, sous-lieutenant à la 10e Cie du 74e RI :

« [...] Un peintre aux armées est ici (hélas !). Il a emmené mon superbe Hédouin, beau et paisible, et fort comme un franc-tireur d’Alphonse de Neuville, pour lui servir de modèle et il s’en est déclaré enchanté. Il est digne d’un maître ; mais je me demande comment ce peintre de couturières et de mannequins travestira ce magnifique soldat, grand comme un preux de Charlemagne. Ce sacrilège artistique est en train de s’accomplir.
J’ai vu le Bédouin – comme on l’appelle – s’en aller indifférent ce matin pour répondre à la réquisition du peintre officiel. Son passe-montagne sur la tête, sa peau de mouton lui ceignant les reins et par là-dessus sa toile de couchage transformée en capuchon sur le dos, il composait un type admirable. »

François Flameng au 74e RI par Stéphan Agosto
François Flameng au 74e RI par Stéphan Agosto
François Flameng au 74e RI par Stéphan Agosto

Ce même jour, le médecin-chef du 74e RI, M. Grenier de Cardenal, pratiquant lui-même le dessin à ses heures perdues, ne rate pas l’évènement et se fait photographier aux côtés du peintre, nous permettant ainsi d’assister à cette séance de pause et de découvrir par là même le visage du sergent Hédouin.

Ce n’était pas la première fois que F. Flameng portraiturait un soldat du 74e R.I. En effet, dans le n° du 21 février 1915 des « Annales Politiques et Littéraires », on trouve un autre portrait de poilu du 74e, d’ailleurs très similaire à celui qu’il faisait d’Hédouin, ce 2 avril 1915. A noter, sur cette même double page, un portrait du fils du peintre, alors affecté au 28e R. I., stationnant non loin du 74e R. I. Nous ne savons pas, à ce jour, où se trouve le portrait du soldat Hédouin ni même s’il a été conservé.

Le portrait existe, il est protégé au musée de l'armée :
François Flameng au 74e RI par Stéphan Agosto

Le retour du père au 28e à Berry-au-Bac
L'artiste revient voir son fils le samedi 3 avril et y reste jusqu'au lundi 5 avril. Capitant est occupé, soucieux par les pièges de l'ennemi, il prépare en effet avec le 3e Bataillon l'attaque de la cimenterie qui aura lieu le 6 avril au matin.
Lors de ces journées, le peintre ne cesse d'étudier le secteur et réalise des croquis et des aquarelles relatant surtout l'occupation défensive. Il dessine aussi des hommes dans les tranchées. Le lundi soir, les deux hommes se croisent. Flameng quitte son fils, retourne à l'arrière, Capitant quitte un ami.
Le 28e va quitter les bords de l'Aisne pour l'Artois. Capitant sera blessé le 26 mai 1915. Jean Flameng échappera à la blessure.
 
L'obus du 6 juillet 1915
En juillet 1915, alors que son fils a quitté le 28e et qu'il est en formation comme pilote-élève, Flameng-père retrouve en Artois le 28e au moment où les hommes rentrent de premières lignes. Ces retrouvailles sont tragiques car il apprend la mort des officiers de la 6e compagnie tués par un seul et unique obus.

Il écrira à sa fille : « Ma tendre enfant, le général Hache m’ayant dit que le 28e de ligne rentrerait aujourd’hui dans son cantonnement à l’arrière, je m’y suis rendu cet après-midi. J’étais tout ému en voyant déboucher dans le village ce régiment que j’aime, où réside un peu de mon cœur et beaucoup de tendresse pour ses braves compagnons… Quant a passé la 6e Compagnie, elle était conduite par un adjudant tous les officiers avaient été tués avec Chamerot [le capitaine commandant le compagnie] ; mon cœur s’est serré et j’ai senti les larmes me monter aux yeux… […] Ils sont enterrés à côté du cimetière d’Écoivres, entre Saint-Eloy et Bray, à côté du village d’Acq. Leurs tombes sont fleuries et soignées ; j’irai demain les visiter, leur apporter l’hommage de mon affectueux et tendre souvenir et de mes profonds regrets. Mais ils resteront toujours vivants dans mon cœur, comme des héros qui sont morts pour nous défendre et pour sauver la Patrie… »
le capitaine Chamerot du 28e RI. Tué le 6 juillet 1915. Enterré à Écoivre avec Oscar Frank et Paul Gide.
Le capitaine Chamerot du 28e RI est enterré à Écoivre avec les deux autres officiers de la 6e compagnie :
Oscar Frank (avocat et violoniste) et Paul Gide (cousin d'André Gide).

Sources
Annales politiques et littéraires, numéro 1652 du 21 février 1915.
Fiche registre matricule de Jean Flameng, Archives départementales de la Seine, n°matricule 1399.
Journal des marches et des opérations du 28e RI, SHD, Vincennes.
Page (Alexandre), François Flameng (1856-1923), Un peintre, graveur et illustrateur, du Second empire aux années folles, mémoire de Master II, 2011-2012, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2012.

Remerciements à Stéphan Agosto, Anne Granger et Alexandre Page.

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