Bandeau de la page internet consacrée à Marcel Deschez, sergent du 28e RI
En août 1914, à Verviers (province de Liège), une jeune Belge du nom d'Amélie Mignot se porte volontaire pour aider et soigner les blessés recueillis à l'Athénée royale transformée en ambulance. Elle tiendra un carnet où elle compilera des témoignages de soldats faits prisonniers.
Parmi eux, le sergent Marcel Deschez du 28e RI, arrivé le 16 septembre 1914. Il écrira lui-même son histoire.
Grâce à Michel Bedeur, voici le témoignage du sergent Deschez qui relate le combat du 28 août de Guise. Attention, document rare et prenant.

L'approche

Ce témoignage ne comporte pas
de noms de soldats et d'officiers.
Il est donc difficile de connaître
la compagnie du sergent Deschez.


Le 1er bataillon est en tête.
Le second se trouve
en arrière et à gauche.

Le vendredi 28 août 1914, le sergent Marcel Deschez fait halte avec le 1er bataillon du 28e aux alentours de Guise. Les faisceaux sont formés et les hommes de sa compagnie se reposent et commencent à préparer le café. Depuis plusieurs jours, ils ont quitté sous un mauvais temps la Belgique. C'est l’interminable retraite avec des journées de marche de plus de 20 km et de courtes nuits passées à dormir dans les fossés.

Un coup de corne retentit. Le bataillon doit se mettre en marche et changer de direction. On ne va plus au sud, changement de cap : on remonte au nord. Les officiers sont graves. L'ennemi est signalé à 4 km au sud de Guise et ne serait pas en grand nombre : des uhlans et quelques pièces d'artillerie : « [...] on se sentait dispos et surtout content d'aborder l'ennemi à la baïonnette, [...] ».

Le 1er bataillon avance dans les champs de betteraves. Les hommes sont silencieux, ils passent une crête et une ferme. Là, une première surprise les attend. Le canon tonne et on peut même apercevoir les obus qui tombent à 400 mètres. Déjà, les premiers blessés font marche arrière, titubant, comme ivres, les mains et le visage en sang. « La zone battue est gagnée aussi, on rencontre des blessés, des morts, les premiers, nous demandant du secours, les autres étendus dans toutes les positions, à genoux, couchés, quelques uns serrant même encore leurs armes, mais avec leur figure de cire et les trous de nez triangulaires [...] »

L'enfer commence : la mitraille, les obus. Le terrain est semé de morceaux d'acier déchiquetés. De grands trous noirs s'ouvrent au milieu du sergent Deschez et de ses hommes. Un obus éclate et frappe plusieurs de ses compagnons. Certains paniquent et se sauvent. « [...] je continuai avec les autres la marche en avant, bientôt tous eurent rejoint, par quelques paroles, je relevais un peu le moral et j'obtins d'eux leur soumission entière, quelques uns pleuraient, des réservistes surtout, je les fis serrer le plus possible derrière moi et on avance par bonds successifs [...]
»

La petite troupe progresse mais les hommes tombent un par un. Ils retrouvent une batterie de 75 qu'ils avaient croisée une heure avant. « [...] il ne restait hélas que trois caissons et un canon broyés, les 6 chevaux étaient attelés à la pièce, ces pauvres animaux étaient renversés se tordant dans d'atroces souffrances, le poitrail ouvert d'où sortaient les boyaux à demi brûlés par l'explosion ; un sous off. et trois artilleurs gisaient au près de la pièce, la poitrine défoncée et les membres pantelants.
»

Ils ne sont plus qu'une quinzaine et aperçoivent le clocher de l'église de Guise. Ils se réfugient alors derrière le talus d'une route et en profitent pour respirer, éprouvés par un tel spectacle. Déjà une heure trente de combat.

   

Carte du secteur de Gyuse, 1909.
Voici le champ de bataille du 28 août 1914.
La ferme dont parle Marcel Deschez est peut-être la ferme Louvry.
  
Extrait de la chanson "Les Crêtes" de Maxime Potier
En mars 1915, le musicien Maxime Potier, soldat du 28e RI, compose Les Crètes.
Le 2e couplet est une allégorie d'une scène de la bataille de Guise...

 
La blessure












Trois capitaines du 1er bataillon
du 28e RI furent tués ce 28 août : Jean Laurens, Georges Tonnot
et Léon Henry.

Mais les balles sifflent et l'ennemi est invisible. Tandis qu'il scrute les champs de blé bordant les premières maisons de Guise, le sergent est frappé par une première balle : « Je reçois un violent choc à la cuisse droite, comme un coup de marteau, c'était une balle, je mis à genoux en continuant d'explorer l'horizon avec ma jumelle, je vis donc cette fois une chaîne de mitrailleurs ennemis à 250 m devant moi, elle semblait avancer, puis à ma droite devant le bois une seconde chaîne immobile ; à ce moment une seconde balle me frappa à la cheville du pied gauche [...]. »

Deschez est alors rejoint par son capitaine de compagnie et d'autres soldats. Il décide alors de renseigner son officier supérieur et s'abrite derrière une gerbe de blés pour observer les lignes allemandes. Ces derniers avancent et usent de stratagèmes pour tromper les Français : sonnerie du « cessez le feu » et drapeau blanc.

Alors qu'il est secouru par un camarade, le sergent roule dans le fossé de la route. Il y reste deux heures mais assiste au déferlement des mitrailleuses et des fusils allemands. « Ainsi blotti dans le fossé, je n'avais presque rien à craindre mais j'entendais les balles siffler, frapper le talus, les arbres faisant tomber les branches dont la route fut vite couverte. Je voyais aussi les camarades traverser la route, tomber foudroyés par ces folles balles. C'est ainsi que mon capitaine trouva la mort tout près de moi sans éprouver aucune douleur, sans pousser un cri. Je me couchai sur le ventre et me cachai la tête dans les bras pour ne plus rien voir, je sentais une légère chaleur autour de ma jambe, c'était le sang qui coulait. »

La retraite sonne et les Français quittent Guise. À la nuit tombée, le lieutenant de sa section, également blessé, passe : tous deux se soutiennent et tentent de rejoindre péniblement les leurs en abattant au revolver trois soldats allemands. Dans cette nouvelle épreuve, Deschez est blessé à la main, ne pouvant plus marcher, il reste sur place, le lieutenant le laissant seul sur cette route.
« De tous côtés, j'entendais des hurlements,  à ma droite deux meules de paille brûlaient en progressant leur lueur jusqu'à moi ; je ne pouvais donc rester dans cet endroit sans y être découvert et achevé par ces sauvages. »
Assoiffé, le sergent étanche sa soif avec des feuilles de betteraves. Après cette nuit de calvaire et de souffrances, il est recueilli par des soldats allemands et des hommes de sa compagnie qui le déposent sur le bord d'une autre route afin d'être évacué.

De nouveau seul, il pense à ses proches, à son pays et pleure.
 
 
La peur
Le lendemain, un sous-officier allemand lui offre l'eau sa gourde et le laisse sous le soleil d'été. Plus tard dans la journée, une équipe médicale s'arrête et l'installe à sa demande dans une petite maison isolée. Un infirmier lui donne de quoi manger mais la situation se complique car les Français contre-attaquent, c'est l'offensive Lanrezac.

« [...] un infirmier me donna un peu de pain et de viande d'un camarade tué, mais ce que je voulais surtout, c'était à boire, j'en eu très peu. Mais voilà que les obus français viennent d'éclater à quelques pas de la maison. Aussitôt, l'artillerie allemande et les ambulances battent en retraite au grand galop. Me voilà encore une fois sous la mitraille, je regrettai d'être dans cette maison, car elle était certainement repérée et un obus aurait suffi pour la mettre en miette [...] les tuiles volaient en éclats, j'étais résigné à mourir là ! Ce massacre dura environ 1 heure puis quatre balles bien dirigées traversèrent le mur sur lequel reposait mon dos et à quelques centimètres les plâtres volèrent et la chambre fut remplie de poussière, je me couchai le long du mur car la partie inférieure était en pierre et présentait plus de sécurité, d'autres balles arrivèrent encore donc les Français avançaient. Les Allemands battaient en retraite et n'oubliaient pas de visiter la bicoque, quand l'un d'eux, un grand bandit, entra en vociférant, quand il le vit étendu sur la paille, ses yeux s'allumèrent puis retirant son revolver, arma le chien et me posa son arme sur ma poitrine, un s/off entra au même moment et vit la scène, de suite il retira le bras du bandit qui prononça des paroles incompréhensibles pour moi et sortit, je remerciai le s/off mais il ne comprenait pas les paroles, il me tendit la main et me regarda d'un air bien triste. Une détonation retentit tout près, c'était le bandit qui venait de tirer un coup de revolver dans ma direction, mais la balle ne m'atteignit pas, il arrivait des prussiens en grand nombre, le s/off leur dit deux mots et aussitôt quelques uns partirent châtier cette brute, un autre prussien encore en me voyant voulu me percer la poitrine avec sa baïonnette mais ses camarades l'en empêchèrent. »

Nullement rassuré, Deschez passe une seconde nuit, la peur au ventre.

Le dimanche, il assiste aux défilés de soldats allemands. Certains s'arrêtent pour parler avec le blessé :
« Quelques soldats allemands me donnèrent à boire et des gâteaux, ils étaient bien moins excités que la veille ou du moins, ce n'étaient pas les mêmes troupes. Les uns avaient les larmes aux yeux en me regardant et me faisaient signe qu'ils avaient des petits enfants, tous me donnaient la main. »

 

Verviers, Belgique
Ce n'est que le lendemain soir que des brancardiers prennent soin de lui et l'acheminent à l'ambulance de campagne de Guise. Soigné en compagnie de Français et d'Allemands, il est emmené au bout de quinze jours.

« [...] le trajet dura 8 h et ce fut pour moi un véritable calvaire, la voiture passa deux endroits où je fus blessé et il me semblait qu'à ces endroits mes blessures se ravivaient. Tout au long de la route ce n'était que tombes, en guise de fleurs et de croix, des képis et des casques ; aussi je reconnus vite où mon régiment avait été décimé car les numéros 28 étaient en grand nombre ! Le conducteur de la voiture, un soldat allemand, en passant devant ces lugubres tombes, frappait aux vitres pour nous narguer, cette brute semblait ignorer que ces pauvres soldats étaient tombés courageusement en défendant pied à pied le sol sacré de leur Patrie contre un ennemi trois fois supérieur ; plus loin, des fermes, des maisons entièrement brûlées, on sentait que la Prusse avait passé par là ! sur les côtés de la route, gisaient des havre-sacs, des tuniques, képis, souliers, etc.  [...] »

Le cortège traverse les villages meurtris par les combats. À Saint-Quentin, des femmes leur offrent quelques vivres. À la gare, ils embarquent dans un train à bestiaux pour Verviers en Belgique où ils sont hébergés et soignés à l'hôtel Athénée, transformé en hôpital. Accueilli le 16 septembre par le personnel belge, Deschez dormira dans un vrai lit et reprendra des forces malgré une scarlatine et des crises de rhumatismes articulaires.

Marcel Deschez, hôpital de Verbiers, automne 1914. Collection Michel Bedeur
Marcel Deschez (au centre) en compagnie de soldats français soignés à Verviers.
Photo : collection Michel Bedeur.

Le poème de Marcel Deschez, Verviers décembre 1914
Marcel Deschez, sergent du 28e, sur son lit à l'hôpital de Verviers (Belgique). Coillection : Michel Bedeur.
Découverte inédite de Michel Bedeur : Marcel Deschez sur son lit à l'hôpital de Verviers (Belgique).
Collection : Michel Bedeur.


Les infirmières :

Les infirmières au chevet des soldats français

Les infirmières au chevet des soldats français

Marcel Deschez et son voisin de lit : Jules Larive du 10e Régiment d'infanterie territoriale, fait prisonnier à Saint-Quentin le 28 août 1914.

Marcel Deschez et Jules Larive. Soldats français blessés en août 1914. Collection : Michel Bedeur.

Marcel Deschez et Jules Larive. Soldats français blessés en août 1914. Collection : Michel Bedeur.

Illustré, main bandée et amitié :

Marcel Deschez et Jules Larive. Soldats français blessés en août 1914. Collection : Michel Bedeur.

Marcel Deschez et Jules Larive. Soldats français blessés en août 1914. Collection : Michel Bedeur.

Les autres compagnons de la salle 10 :

Les compagnons de la salle 10 de Marcel Deschez. Collection : Michel Bedeur
Georges Triboullois du 45e RI (originaire de Crecy-sur-Serre, Aisne),
Jean Rapaud du 57e RI (Bordeaux, blessé à Guise le 30 août) et Fernand Pottier



Le 6 décembre, il prendra la route de l'Allemagne pour le camp de prisonniers de Westzlar s/lahn, baraque 14.

Extrait de la Gazette des Ardennes
Extrait de La Gazette des Ardennes.

Tous mes remerciements à Michel Bedeur et Bernard Labarbe.
Embrassade fraternelle à Denis Delavois.

On pourra également se reporter à l'ouvrage de Michel Bedeur : Verviers 1914-1918. Des hommes, des soldats et des morts,
éditions Vieux Temps. Site Internet : www.vieux-temps.be

Source :
- fiche Registre matricule de Marcel Deschez, département de la Haute-Marne.
- La Gazette des Ardennes.
 
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