Bandeau de la page consacrée aux combats de Loivre (51)

La fin de la poursuite, la fin de la bataille de la Marne
Le 13 septembre 1914, le 28e RI quitte Villers-Franqueux, passe la Route nationale 44 et se dirige vers Loivre. À cet instant, le 3e bataillon reçoit le feu de l'infanterie allemande installée à Loivre. L'artillerie française intervient alors et chasse les Allemands du village. Le régiment progresse alors au-delà du village et franchit le canal de l'Aisne à la Marne. Le but est alors de poursuivre l'ennemi et d'investir Bermericourt.
Ici s'arrête la poursuite, c'est la fin de la bataille de la Marne. Le régiment n'ira pas plus loin. Les Allemands vont s'accrocher à leurs positions et tenter de reprendre Loivre et s'approcher de la Route nationale.
Le canal sert alors de frontière : dès 15 heures, le 28e RI se replie sur la rive Sud du canal où les combats font rage jusqu'à 18 heures.

Carte de Loivre (51)
Carte de la région de Loivre.
L'objectif du 28e RI est de s'emparer de Loivre puis de Bermericourt.
Du 13 au 18 septembre, le régiment défendra le village écrasé par l'artillerie allemande abritée dans Brimont.

Loivre va ainsi constituer pendant six jours un môle de défense, dirigé par le 28e RI, aidé par les 24e et 74e RI.
Ce 13 septembre, le nombre des pertes est alors très important :  deux officiers tués, trois blessés. Le capitaine Fevre trouve la mort, il sera enterré à la nécropole de la maison bleue. Montjou, lieutenant est également tué, son corps sera transporté à Paris où il est enterré dans le cimetière de Montparnasse.
La troupe n'est pas épargnée : une dizaine de tués et 273 blessés.
Durant les cinq autres jours, les pantalons rouges vont se terrer dans le village et défendre le passage du canal.

Extrait de l'historique du 28e RI : les combats de Loivre (51)
Extrait de l'historique du 28e RI : les combats de Loivre (51)

Voici ainsi une compilation de témoignages et de documents sur ces six jours.

Henri Rosier
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En 1976, Henri Rosier, le vice-président de l’amicale des anciens des 28e, 228e et 18e RIT raconte son combat du 13 septembre 1914 à Loivre. Ce soldat dirigeait la 2e section de la 3e compagnie, remplaçant le sergent-major Camille Hanus, tombé le 7 septembre 1914 lors des combats de Villouettes près d’Escardes.

Voici son récit :

«  Le 13 septembre 14, au cours de l’après-midi, après un arrêt devant l’église de Loivre et notre passage devant le Café de la Marine, nous avons traversé le pont sur le canal pour prendre position  sur un terrain parfaitement décrit par l’ami Chenaud.

Alors que nous étions déployés en tirailleurs, nous avons été accueillis par le tir des allemands ; ces derniers  étaient également déployés en tirailleurs à une courte distance et beaucoup plus nombreux que nous, aussi par le feu des mitrailleuses sur notre droite, venant du fort de Brimont.

Au bout de peu de temps, notre position devenant intenable, je me suis levé pour rejoindre le lieutenant de Witte et lui demander des instructions.
Réponse : "il faut tenir". A peine avait-il terminé qu'il tombait frappé par une balle en pleine poitrine ; revenu à ma section je fis alors augmenter le tir dans dans toute la mesure du possible, mais ne pouvant enrayer l'avance des tirailleurs allemands, j'ai fait replier dans la direction du pont, les quelques hommes en état de le faire.

La canal à Loivre, route de Bermericourt
Le canal de l'Aisne à la Marne.
Photo prise du pont allant de Loivre à Bermericourt. C'est peut-être ici que fut fait prisonnier notre sergent Rosier.
Photo : V. Le Calvez, janvier 2007.


Je me suis moi-même dirigé vers un boqueteau situé sur le chemin de halage, espérant profiter de cet écran pour rejoindre le pont ; en arrivant
j'ai retrouvé le caporal Roussel et le soldat Huet de ma compagnie qui avaient eu la même pensée.

Malheureusement ce projet n'a pu être réalisé car aussitôt des allemands avec des casques à pointes sont apparus et l'un d'eux, au vu de l'écusson du 28e me demanda si nous étions à la Pépinière ; devant mon étonnement il me répondit qu'il était "louché bem" (lisez boucher) place de Budapest, (place située au bas de la rue d'Amsterdam, près de la gare Saint-Lazare) puis il nous emmena tous les trois devant son capitaine lequel, en apercevant le soldat Huet au teint halé par le soleil, me demanda : "Turcot ? auquel j'ai répondu : "Non".

Le boucher allemand de la place de Budapest
Voici le quartier de la gare Saint-Lazare à Paris.
Henri Rosier, parisien, a dû bien connaître la caserne de la Pépinière, à quelques centaines de mètres,
la place de Budapest où le soldat allemand était boucher...


Puis, voulant se montrer grand seigneur, il eut cette réflexion : "Vous vous êtes battus avec honneur", ce compliment concernant le 28e tout entier.

Ayant été pris en charge par de nouveaux allemands, nous avons été conduits à l'arrière où nous avons passé la nuit au milieu de leur compagnie formant le cercle.
Pendant ce court trajet nous avons vu des français adossés à des meules en flamme et ayant voulu leur porter secours nous avons été refoulés à coups de crosses."

Henri Rosier, prisonnier en Allemagne
Extrait de La Gazette des Ardennes journal de la propagande allemande.
On peut ainsi y lire le nom d'Henri Rosier. André Roussel et Gaston Huet furent également détenus
dans la région de Sennelager en Allemagne (liste n°90 pour Roussel et liste 89 pour Huet).

Citation d'Henri Rosier, septembre 1919
Citation d'Henri Rosier, Journal officiel, septembre 1919
  

Marcel de Witte ________________________________________

Lorsque le 28e RI entre dans Loivre, Marcel de Witte est le seul officier de la 3e compagnie rescapé d'août 1914. Le capitaine Léon Henry, le sous-lieutenant Houter durent tués à Guise le 28 août et le lieutenant de Maisonneuve blessé ce même 28 août.

Marcel de Witte de la 3e compagnie du 28e RI
La composition de la 3e compagnie du 28e RI en août 1914.
Source : JMO du 28e RI.

Henri Rosier raconte que l'officier fut frappé d'une balle en pleine poitrine le 13 septembre 1914. L'amicale des anciens du régiment relate :

"Marcel de Witte [...] était de la classe 03, abandonné sur le terrain, considéré comme mort par les allemands, il avait été récupéré par nos brancadriers ; après de longs séjours dans les hôpitaux il avait été détaché dans l'armée anglaise, psui en raison de sa blessure, affecté à Paris.
En 1938, lors de son adhésion à l'Amicale, il était Chef de bataillon commandant le Parc régional  du Génie de la région de Paris ; nommé colonel et affecté au Ministère de l'air, c'est là que le vice président Rosier a repris contact avec lui."


André Roche  ______________________________________

Une fois de plus, le bulletin de l'amicale des anciens du 28e RI se rappelle des anciens de Loivre :
André Roche, blessé sur le pont du canal de Loivre.


"Notre bon camarade André Roche de Condé-s-Noireau qui fut blessé à Loivre alors que des éléments de chez nous étaient encore au-delà du canal, que nous avons consulté, hésite à s’engager devant ses défaillances de mémoire.

Plan de Loivre (51)
Une vue de Loivre : le pont et le canal.
Loivre sera complétement détruit en 1917 et 1918.

Il n’est resté à Loivre que deux ou trois jours ce qui limite ses souvenirs mais, avant de quitter son poste, il avait alors la responsabilité du train de combat, il s’est présenté au P.C. où il a rencontré avec le Colonel Capitant, le capitaine Roques [Roc] son adjoint et l’adjudant Jouannon secrétaire qui devait passer officier par la suite ; il se souvient encore des cycliste Lavalade, le stayer bien connu et Hédouin qui l’ont ravitaillé avant son départ ; il se souvient enfin que blessé et ayant perdu beaucoup de sang – une balle sous l’omoplate alors qu’il traversait le pont du canal, pris en enfilade par une mitrailleuse allemande – mort de fatigue, il a dormi dans la maison où se trouvait le drapeau du Régiment.


Mais Roche n’était plus au front pendant la période des combats qui eurent lieu dans la plaine aux abords de la route 44 et dans Villers-Franqueux et c’est précisément ce que nous voulions lui faire conter".




Adrien Morvan ?  ______________________________________

Dans un de ses livres, la journaliste et romancière féministe  Benoîte Groult cite le journal de guerre du père de son héroïne. Celui-ci nommé Adrien Morvan, appartiendrait au 28e RI... Ce  journal ressemble étrangement à celui écrit par un combattant de Loivre !

Adrien Morvan, Les trois quarts du temps, Benoîte GroultA l’arrière, Lou et Hermine frissonnaient en lisant dans leurs illustrés une histoire épique qui ne ressemblait pas du tout aux missives qui parvenaient du front. […] Et elles se demandaient comment des millions d’Adriens sans biscuit, et les godillots en sang, pouvaient composer cette héroïque armée française à qui l’on demandait si tranquillement d’avancer ou de mourir.

Mon père évitera l’un et l’autre, grâce à un acte d’indiscipline qui lui vaudra d’être cité à l’ordre du jour du 28e RI et sauva sa vie, donc la mienne.

« Tandis que nous nous restaurons, une attaque allemande trouble la fête : les balles sifflent parmi nous, le lieutenant Mouton est blessé. Le colon signale à Brunot, chef du détachement, qu’il faut se planquer le long des berges de la rivière et se replier vers l’arrière seulement si la position devient intenable. L’ordre est aussitôt exécuté. Ça pétarade mais les risques ne sont pas énormes. Mais voilà qu’au bout d’une heure à peine, Brunot déclare « la position intenable » et donne l’ordre de repli. Je lui réplique moi que je ne trouve pas la position intenable et qu’en conséquence je reste. Ménard, mon caporal, est de mon avis et déclare qu’il reste avec moi. Les autres nous traitent de ballots mais nous les laissons se replier sans nous.


« A ce moment j’aperçois de l’autre côté du canal des fantassins qui tirent sans arrêt. Je dis à Ménard : « On y va ? J’ai envie de tirer » On n’est pas restés pour dormir dans l’herbe ! En approchant, je découvre des boches juste à portée de mon flingue que je viens d’épauler. Je tire à plusieurs reprises. Je crois que j’ai tué mon premier Allemand. Je marchais le premier, dans la position du tireur debout, le coude à la hauteur de l’épaule, quand j’ai senti une très vive douleur au bras, par derrière. J’ai commencé par engueuler mon copain : « Salaud ! Tu m’as tiré dans le coude… – Tu es fou, me répond-il, ça vient d’en face !

J’essaie de tirer encore mais mon bras droit me refuse tout service. Je suis furieux. Ménard est obligé de me ramener sur l’arrière où le major me panse sommairement avant de m’envoyer sur l’hôpital militaire de Saint-Maixent, tenu par les sœurs grises. J’avais le coude en bouillie et ne pouvais plus allonger le bras. La balle était bien arrivée par-devant, traversant le bras, lésant le nerf cubital et fracassant l’olécrane et l’épitrochlée de l’humérus, comme on le verra plus tard à la radio. »

Mon père ne put jamais retourner en retourner en première ligne et en fut profondément affecté. Se considérant désormais comme un planqué, il jugea inutile de poursuivre son journal, se contentant d’y mettre en conclusion le texte de sa citation dont il fut secrètement si heureux, j’en suis sûre, mais dont le lyrisme pompeux ne lui semblait correspondre à rien de ce qu’il avait vécu :


« Excellent soldat, a donné au cours des journées du 1er au 17 septembre l’exemple de l’entrain et du courage. A été grièvement blessé en opposant une vive résistance à un ennemi très supérieur en nombre. »

Adrien Morvan est-il un proche de la romancière ? Son père ?
A-t-elle changé les noms ?  à suivre...
Un grand merci à Anne Granger qui a découvert ce passage.



Jean Bouteiller, le capitaine Potin
et les frères Piot 
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Voici un court témoignage : celui de Jean Bouteiller relatant brièvement les combats de Loivre et de Villers-Franqueux, extrait du Bulletin n°64 de l'amicale des anciens du 28e RI.

"Le très intéressant compte-rendu du court séjour du 28e à Loivre en Septembre 14, inséré dans le Bulletin 63 de notre Amicale, n’aura pas manqué d’intéresser la plupart de nos adhérents. Toutefois il semblerait utile d’en compléter ou d’en modifier certains passages, en soulignant notamment parmi les victime de l’intense bombardement de Loivre (le 14 ou 15 septembre, je ne me souviens plus de la date exacte) figuraient le très sympathique et regretté Capitaine Potin atteint à la tête par des schrapnels sous le porche de l’hôtel du Cheval blanc et des deux frères Piot, tués dans l’immeuble qui abritait les sapeurs de notre régiment. (Quelle douloureuse épreuve pour les parents).

La tombe du capitaine Potin à Hermonville Les deux frères Piot tués à Loivre en septembre 1914
Le capitaine Gaston Potin
est enterré dans le cimetière communal d'Hermonville, situé à quelques kilomètres de Loivre.
Photo : Stéphan Agosto.
Voici les deux fiches "Mort pour la France"
d'André et Max Piot.
Ils étaient tous les deux parisiens.
Photo : Vincent Le Calvez

Je puis parler en connaissance de cause de ces tragiques événements, car en qualité de chef de section de la 8e Compagnie, nous étions cantonnés moi et mes hommes, dans le bâtiment des P.T.T. de Loivre qui, par miracle, fut épargné par les obus.

[...]

Je profite de cet exposé pour raconter une anecdote qui eût  pour cadre la position du canal que je fus, par ordre, l’un des tout derniers à quitter. Après avoir traversé à la queue leu leu sur des madriers branlants le canal encore rempli d’eau, j’avais reçu pour mission de tenir « coûte que coûte » la position, qui en réalité, n’existait que par notre seule présence car nous n’avions pour tout abri que le mur, percé de créneaux, du parc d’un château situé en face de nous. Dans ma section existait encore quelques « titis » parisiens qui s’apercevant que pas mal de soldats ennemis - fins saouls – la cave du château devant contenir sans doute beaucoup de champagne, s’aventuraient imprudemment vers la partie gauche du bâtiment à découvert, se mirent à faire des « cartons » sur ces cibles mouvantes et il me fallut user de mon autorité pour faire cesser cette peu glorieuse tuerie.

Plan détaillé de Loivre. Auteur : Stéphan Agosto
Plan détaillé de Loivre et localisation des bâtiments : le château, la sucrerie et la gare.
Le sergent Bouteiller et ses hommes devaient probablement se trouver le long du canal face au château.
Montage de Stéphan Agosto.



Robert Tessier  ______________________________________

Ouvrier dans une scierie, Robert Tessier a fait son service militaire au 28e RI, incorporé dans la classe 10. Il quitte l’armée en 1912 en tant que soldat de 1re classe. En août 1914, le régiment d’Évreux le rappelle. Robert connaîtra alors les chocs de Charleroi et de Guise, puis la redoutable retraite.

Le 18 septembre 1914, alors qu’il participe à la défense des ponts de Loivre, il prend de plein fouet une balle dans la bouche, le défigurant. Gravement blessé, il est capturé par les Allemands qui ont investi Loivre. Soigné, il rejoindra le cortège de prisonniers en partance pour l’Allemagne. Son statut de grand mutilé lui permettra en juillet 1915 de retrouver les siens via la Suisse.

Journal des marches et des opérations du 28e RI
Extrait du JMO du 28e RI

Après la Seconde Guerre mondiale, il sera nommé chevalier puis officier de la Légion d’honneur.

Robert Tessier du 28e RI


Jacky Tessier, son petit-fils, a gardé plusieurs coupures de presse de son grand-père et recueille les informations sur ces combats de Loivre.

On pourra également visualiser le parcours de Robert Tessier entre août et septembre 1914 en cliquant ici. Un immense merci à Jacky Tessier qui est à l’origine de ce site Internet.



Le jeune Gambier  ____________________________________

J.-M. Gambier, un ancien de Loivre avait 18 ans lorsque son village fut frappé par la Guerre. Il fut le témoin de l’arrivée du 28e Régiment d’infanterie.
Membre d’honneur de l’amicale des anciens du 28e I, il ravive ses souvenirs :


"[…] Je suis le fils de cette petite ferme à l’entrée de Loivre, venant de la traverse de Villers-Franqueux ; nous avions vu le 10 septembre 14, une patrouille de uhlans vers Villers, ne demandant rien, le chef devait bien connaître la contrée.
Ensuite ce sont les chasseurs à cheval du 5e Régiment, cantonnés à Hermonville qui viennent par ce même chemin et nous les renseignons ; abritant leurs chevaux, pied à terre, ils avancent en longeant les murs ; à 200 m, ils reçoivent des coups de fusil, les allemands sont au pont de l’écluse de Loivre ; ils reviennent, remontent à cheval, essuient encore des coups de fusil venant des fossés de la sucrerie ; un cheval est tué, son camarade prend ses armes, un autre le prend en croupe, les hommes sont sauf, et les renseignements recueillis sont précis.
Le 12 ou 13 septembre, 24e et 28e arrivent dans la plaine aux vus de l’ennemi qui occupe les observatoires de Noue-Gouzaine, batterie de Loivre, sapins de Brimont.

Avançant telle une multitude coquelicots, képi et culotte rouge, repérés, ils sont pris à parti par l’artillerie allemande, cloués au sol, sans préparation, il y a déjà des pertes, mais la nuit fut propice pour entrer dans Loivre, bien que l’ennemi ait l’avantage du canal et plus loin, la ligne de chemin de fer Reims-Laon, en tranchée et en remblai plus à l’est.
De sérieux accrochages à l’écluse, par des meurtrières, des tireurs français abattaient les allemands qui passaient le pont ou les passerelles ; par la suite, ces cadavres furent enterrés par nous.

[…]

les allemands, venant de Bermericourt, s’infiltraient par les bois de la verrerie, arrêtés par le canal et le pont trop en vue, ils avaient utilisé les passerelles qu’ils devaient franchir une par une.
Une section du 28e, installée dans une écurie à 40 m environ, un bon tireur, par une petite meurtrière, abattait, au fur et à mesure, tous ceux, téméraires, qui tentaient de passer et cela a duré un bon moment ; on a compté 35 à 40 tués à ce passage. Ne pouvant que tirer seul, les fusils approvisionnés, lui étaient passés par ses camarades.

A 100 plus bas, dans la ferme de M. Berge, même défense pour tous ceux qui déferlaient vers le canal jusqu’au moment où l’artillerie ennemie vint écraser les défenseurs.

[…]

Le poste de secours était bien dans la sucrerie ; que sont devenus ces blessés, je ne pourrais le dire : ont-ils été faits prisonniers ou tués, car tout fut détruit.

[…]

Loivre : maisons détruites
Loivre sera fortement touché par l'artillerie allemande et française.
En avril 1917 puis au printemps 1918, le village ne sera plus qu'un champ de ruine.


Tous les morts allemands furent enterrés derrière l’écluse par les civils prisonniers ; un des nôtres ne s'étant pas découvert reçu un coup de sabre. Ils ont été exhumés par la suite.
Les nôtres tombés dans les rues et aux abords du canal, furent également enterrés par nos soins, ils doivent reposer maintenant au cimetière de la maison bleue, route 44 à Cormicy.


L’artillerie qui anéantissait Loivre était installée derrière Brimont, route de Neufchâtel ; la nuit, nous passions près des batteries pour aller enterrer les morts sur la verrerie de Courcy et le bois Soulain ; là aussi, une fanfare ennemie qui donnait une aubade à un officier supérieur, logé au château de M. Givelet, fut repérée et complètement anéantie par notre artillerie, nous les avons enterrés avec leurs instruments.

[…]

Mes souvenirs sont toujours aussi lucides, j’ai toujours admiré le colonel Capitant, son beau régiment le 28e, puis le 24e, que j’ai vu arriver à Loivre, puis un bataillon du 74e en renfort ; nous les avons ravitaillés aux abords du pays, cloués au sol par les obus ennemis.
Le colonel était dans la ferme de mes parents, à l'entrée du pays, ainsi que le Drapeau et sa garde ; nous avons eu quelques entretiens avec lui avant l’ordre de repli sur la route 44.


[…]

au recul de nos troupes vers la route 44, les allemands envahissaient Loivre et arrêtaient tout le monde ; enfermés 7 jours dans la mairie et les écoles avant d’enterrer les morts.

Des souvenirs (casques à pointe, fusils, cartouchières…) ayant été prélevés sur les morts de la carrière, nous avons été accusés de cet acte regrettable et je fus désigné comme otage avec trois autres personnes.

[…]

nous avons vu arriver la garde impériale ; sortis et enfermés, nous devions subir les vexations ; je crois que plus de 300 personnes furent dirigées vers les Ardennes après prélèvement des 4 otages dont je faisais partie ; puis ce fut notre tour de partir avec un groupe de prisonniers français vers Guignicourt et Laon où nous arrivions exténués ; enfermés à la Citadelle, sans rien manger, notre misère commençait.


La nuit, lorsque nous avons quitté Loivre en flamme, pour coucher dans la tranchée du chemin de fer à Bermericout, nous fûmes dirigés vers une pâture à Aumenaucourt ; de là toutes les nuits nous allions enterrer les morts ; à la sortie du bois de Brimont, au dessus de la verrerie de Courcy, vingt prisonniers, avec les hussards de la mort, nous avons dû aller plusieurs fois pour enterrer les chevaux ; les soldats étaient déjà enlevés ; l’artillerie française tirait quelques obus à proximité, cet endroit était très visible de nos lignes d’Hermonville ; nous n’avons pu que dresser les carcasses puantes dans le talus, les quatre fers en l’air pour en finir.

[…]

Notre ville qui comptait 1500 habitants à l’époque a été anéantie ; 54 d’entre eux ont été tués ; nous sommes moitié maintenant."


Le 12 septembre 1976, le "jeune" Gambier sera présent pour recevoir des anciens du 28e I qui viendront en pélerinage à Loivre...



Un bleu à Loivre  _____________________________________

Parmi les soldats tués lors des combats de Loivre, il faut noter la présence d'Émile Lesmann, un parisien âgé de 23 ans.

Émile Lesmann, un joueur de l'équipde France, tué à Loivre en septembre 1914

Selon le blog Une autre histoire du foot et les écrits de Pierre Cazal, Émile Lesmann faisait partie de l'équipe de football de la Jeunesse athlétique de Saint-Ouen et fut selectionné une fois en équipe nationale en 1912 où la France et la Belgique firent match nul (1-1).


Un disparu   _________________________________________

Un grand nombre de soldats du 28e furent portés disparus suite aux combats de Loivre. Inquiètes, les familles recherchèrent le moindre témoignage sur leur soldat. Ce fut le cas du jeune Michel Corrard des Essarts qui trouva la mort à Loivre.

En février 1915, on découvre son visage dans La Recherche des Disparus, coiffé du casque expérimental que les compagnies parisiennes du 28e avaient testé en 1912.

Michel Corrard des Essarts, disparu à Loivre en septembre 1914
La famille a gardé l'original de cette photo :

Michel Corrard des Essarts, disparu à Loivre en septembre 1914. Photo, collection Martin renard
Photo : collection M. Renard. Reproduction interdite.

On pourra lire ici la belle biographie consacrée au jeune Michel.

  
62 ans après  _________________________________________

Quelques années plus tard, le 12 septembre 1976, Loivre voit arriver un cortège bien particulier : quelques vieux messieurs avec leurs dames, deux officiers en tenue, des sapeurs-pompiers, le conseil municipal et des habitants se dirigeant vers l'emplacement de l'ancien moulin où a été érigé le monument de Loivre.

Les vieux messieurs sont tout simplement des rescapés des journées de Loivre de septembre 1914, des anciens du 28e RI qui ont connu ces combats de rues : Henri Rosier (classe 13), André Chenaud (classe 11), J.-H. Lemaître (classe 10), Marcel Joyeux (classe 10), Raymond Moulin (classe 12) et Charles Roussel (classe 10). Après plusieurs discours dont notamment celui du "jeune Gambier", les octogénaires vont poser une plaque à la mémoire de leurs camarades tombés dans le village.

Cette plaque, une palme, est toujours là, sur une des faces de l'obélisque.
Le monument de Loivre
Le monument de Loivre a été érigé en octobre 1923 à l'initiative du baron Pichon,
ancien chef de bataillon du 133e RI qui libéra Loivre lors de l'offensive Nivelle du 16 avril 1917.
Le baron est représenté sur la première face.
À l'origine, les noms des combattants du 133e RI tombés à Loivre étaient inscrits sur la base du monument.
Photo : V. Le Calvez, juin 2008.

La plaque du 28e RI sur le monument de Loivre
La palme des anciens du 28e RI posée ce 12 septembre 1976 par les six pélerins :
"L'amicale du 28e RI, aux camarades disparus en 1914 - Loivre le 12 septembre 1976".
Photo : V. Le Calvez, janvier 2007.



Le coq et le monument
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En 1958, le Trait d’union de Loivre se rappelle des combats de septembre 1914, du moulin et de son coq. Cet article est signé du maire de Loivre, Gabriel Pérard, un proche de l'amicale du 28e RI.

Extrait du journal municipal de Loivre. 1958.

Merci à Philippe Crozet pour la coupure de presse.
 

et maintenant  _________________________________________

Obus de Loivre (51)
Loivre garde encore les traces de la Guerre.
Près du panneau, quelques obus non éclatés...
Photo : V. Le Calvez, juin 2008.


En savoir plus :
- une page sur le camp de Sennelager.

Sources :
Bouteiller (Jean), Amicale des anciens combattants des 28e RI, 228e RI et 18e RIT, bulletin n°64.
Gambier (J.-M.), Amicale des anciens combattants des 28e RI, 228e RI et 18e RIT, bulletin n°87, 1er trimestre 1976, p. 8-9.
Groult (Benoîte), Les trois quarts du temps, Grasset, 1983.
Rosier (Henri), Amicale des anciens combattants des 28e RI, 228e RI et 18e RIT, bulletin n°89, 3e trimestre 1976, p. 4-5.
Journal des marches et des opérations du 28e RI.
Journal des marches et des opérations de la 11e Brigade (24e, 28e RI, 239e RI).
Site Internet
Une autre histoire du foot.
Trait d'Union de Loivre, 3e trimestre 1958.
     
Un grand merci à Martin Renard.
   


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