La fin de la poursuite, la fin de la bataille de la Marne
Le 13 septembre 1914, le 28e RI quitte Villers-Franqueux, passe la
Route nationale 44 et se dirige vers Loivre. À cet instant, le
3e bataillon reçoit le feu de l'infanterie allemande
installée à Loivre.
L'artillerie française intervient alors et chasse les Allemands
du village. Le régiment progresse alors au-delà du
village et franchit le canal de l'Aisne à la Marne. Le but est
alors de poursuivre l'ennemi et d'investir
Bermericourt.
Ici s'arrête la poursuite, c'est la fin de la
bataille de la Marne. Le régiment n'ira pas plus loin. Les
Allemands vont s'accrocher à leurs positions et tenter de
reprendre Loivre et s'approcher de la Route nationale.
Le canal sert alors de frontière : dès 15 heures, le 28e
RI se replie sur la rive Sud du canal où les combats font rage
jusqu'à 18 heures.
Carte de la région de Loivre.
L'objectif du 28e RI est de s'emparer de Loivre puis de Bermericourt.
Du 13 au 18 septembre, le régiment défendra le village
écrasé par l'artillerie allemande abritée dans
Brimont.
Loivre va ainsi constituer pendant six jours un môle de
défense, dirigé par le 28e RI, aidé par les 24e et
74e RI.
Ce 13 septembre, le nombre des pertes est alors très important : deux
officiers tués, trois blessés. Le capitaine Fevre trouve
la mort, il sera enterré à la nécropole de la maison bleue. Montjou, lieutenant est
également tué, son corps sera transporté à
Paris où il est enterré dans le cimetière de
Montparnasse.
La troupe n'est pas épargnée : une dizaine de tués et 273 blessés.
Durant les cinq autres jours, les pantalons rouges vont se terrer dans le village et défendre le passage du canal.
Extrait de l'historique du 28e RI : les combats de Loivre (51)
Voici ainsi une compilation de témoignages et de documents sur ces six jours.
Henri Rosier ________________________________________
En 1976, Henri Rosier, le vice-président de l’amicale des
anciens des 28e, 228e et 18e RIT raconte son combat
du 13 septembre 1914 à Loivre. Ce soldat dirigeait la 2e section
de la 3e compagnie, remplaçant le sergent-major Camille Hanus,
tombé le 7 septembre 1914 lors des combats de Villouettes
près d’Escardes.
Voici son récit :
« Le 13 septembre 14, au
cours de l’après-midi, après un arrêt devant
l’église de Loivre et notre passage devant le
Café de la Marine, nous avons traversé le pont sur le
canal pour prendre position sur un terrain parfaitement
décrit par l’ami Chenaud.
Alors que nous étions
déployés en tirailleurs, nous avons été
accueillis par le tir des allemands ; ces derniers étaient
également déployés en tirailleurs à une
courte distance et beaucoup plus nombreux que nous, aussi par le feu
des mitrailleuses sur notre droite, venant du fort de Brimont.
Au bout de peu de temps, notre position devenant intenable, je me suis levé pour rejoindre le lieutenant de Witte et lui demander des instructions.
Réponse : "il faut tenir". A
peine avait-il terminé qu'il tombait frappé par une balle
en pleine poitrine ; revenu à ma section je fis alors augmenter
le tir dans dans toute la mesure du possible, mais ne pouvant enrayer
l'avance des tirailleurs allemands, j'ai fait replier dans la direction
du pont, les quelques hommes en état de le faire.
Le canal de l'Aisne à la Marne.
Photo prise du pont allant de Loivre à Bermericourt. C'est
peut-être ici que fut fait prisonnier notre sergent Rosier.
Photo : V. Le Calvez, janvier 2007.
Je me suis moi-même
dirigé vers un boqueteau situé sur le chemin de halage,
espérant profiter de cet écran pour rejoindre le pont ;
en arrivant j'ai retrouvé le caporal Roussel et le soldat Huet de ma compagnie qui avaient eu la même pensée.
Malheureusement ce projet n'a pu
être réalisé car aussitôt des allemands avec
des casques à pointes sont apparus et l'un d'eux, au vu de
l'écusson du 28e me demanda si nous étions à la
Pépinière ; devant mon étonnement il me
répondit qu'il était "louché bem"
(lisez boucher) place de Budapest, (place située au bas de la
rue d'Amsterdam, près de la gare Saint-Lazare) puis il nous
emmena tous les trois devant son capitaine lequel, en apercevant le
soldat Huet au teint halé par le soleil, me demanda : "Turcot ? auquel j'ai répondu : "Non".
Voici le quartier de la gare Saint-Lazare à Paris.
Henri Rosier, parisien, a dû bien connaître la caserne de
la Pépinière, à quelques centaines de
mètres,
la place de Budapest où le soldat allemand était boucher...
Puis, voulant se montrer grand
seigneur, il eut cette réflexion : "Vous vous êtes battus
avec honneur", ce compliment concernant le 28e tout entier.
Ayant été pris en
charge par de nouveaux allemands, nous avons été conduits
à l'arrière où nous avons passé la nuit au
milieu de leur compagnie formant le cercle.
Pendant ce court trajet nous avons vu
des français adossés à des meules en flamme et
ayant voulu leur porter secours nous avons été
refoulés à coups de crosses."
Extrait de La Gazette des Ardennes journal de la propagande allemande.
On peut ainsi y lire le nom d'Henri Rosier. André Roussel et
Gaston Huet furent également détenus
dans la
région de Sennelager en Allemagne (liste n°90 pour Roussel et liste 89 pour Huet).
Citation d'Henri Rosier, Journal officiel, septembre 1919
Marcel de Witte ________________________________________
Lorsque
le 28e RI entre dans Loivre, Marcel de Witte est le seul officier de la
3e compagnie rescapé d'août 1914. Le capitaine Léon
Henry, le sous-lieutenant Houter durent tués à Guise le
28 août et le lieutenant de Maisonneuve blessé ce
même 28 août.
La composition de la 3e compagnie du 28e RI en août 1914.
Source : JMO du 28e RI.
Henri Rosier raconte que l'officier fut frappé d'une balle en
pleine poitrine le 13 septembre 1914. L'amicale des anciens du
régiment relate :
"Marcel de Witte [...] était
de la classe 03, abandonné sur le terrain,
considéré comme mort par les allemands, il avait
été récupéré par nos brancadriers ;
après de longs séjours dans les hôpitaux il avait
été détaché dans l'armée anglaise,
psui en raison de sa blessure, affecté à Paris.
En 1938, lors de son adhésion
à l'Amicale, il était Chef de bataillon commandant le
Parc régional du Génie de la région de Paris
; nommé colonel et affecté au Ministère de l'air,
c'est là que le vice président Rosier a repris contact
avec lui."
André Roche ______________________________________
Une fois de plus, le bulletin de l'amicale des anciens du 28e RI se rappelle des anciens de Loivre :
André Roche, blessé sur le pont du canal de Loivre.
"Notre bon camarade André
Roche de Condé-s-Noireau qui fut blessé à Loivre
alors que des éléments de chez nous étaient encore
au-delà du canal, que nous avons consulté, hésite
à s’engager devant ses défaillances de
mémoire.
Une vue de Loivre : le pont et le canal.
Loivre sera complétement détruit en 1917 et 1918.
Il n’est resté à Loivre que deux ou trois jours ce
qui limite ses souvenirs mais, avant de quitter son poste, il avait
alors la responsabilité du train de combat, il s’est
présenté au P.C. où il a rencontré avec le
Colonel Capitant, le capitaine Roques [Roc] son adjoint et
l’adjudant Jouannon secrétaire qui devait passer officier
par la suite ; il se souvient encore des cycliste Lavalade, le stayer
bien connu et Hédouin qui l’ont ravitaillé avant
son départ ; il se souvient enfin que blessé et ayant
perdu beaucoup de sang – une balle sous l’omoplate alors
qu’il traversait le pont du canal, pris en enfilade par une
mitrailleuse allemande – mort de fatigue, il a dormi dans la
maison où se trouvait le drapeau du Régiment.
Mais Roche n’était plus
au front pendant la période des combats qui eurent lieu dans la
plaine aux abords de la route 44 et dans Villers-Franqueux et
c’est précisément ce que nous voulions lui faire
conter".
Adrien Morvan ? ______________________________________
Dans un de ses livres, la journaliste et romancière féministe Benoîte Groult
cite le journal de guerre du père de son héroïne.
Celui-ci nommé Adrien Morvan, appartiendrait au 28e RI... Ce journal ressemble étrangement à celui écrit par un combattant de Loivre !
A
l’arrière, Lou et Hermine frissonnaient en lisant dans
leurs illustrés une histoire épique qui ne ressemblait
pas du tout aux missives qui parvenaient du front. […] Et elles
se demandaient comment des millions d’Adriens sans biscuit, et
les godillots en sang, pouvaient composer cette héroïque
armée française à qui l’on demandait si
tranquillement d’avancer ou de mourir.
Mon
père évitera l’un et l’autre, grâce
à un acte d’indiscipline qui lui vaudra d’être
cité à l’ordre du jour du 28e RI et sauva sa vie,
donc la mienne.
« Tandis que nous nous
restaurons, une attaque allemande trouble la fête : les balles
sifflent parmi nous, le lieutenant Mouton est blessé. Le colon
signale à Brunot, chef du détachement, qu’il faut
se planquer le long des berges de la rivière et se replier vers
l’arrière seulement si la position devient intenable.
L’ordre est aussitôt exécuté. Ça
pétarade mais les risques ne sont pas énormes. Mais
voilà qu’au bout d’une heure à peine, Brunot
déclare « la position intenable » et donne
l’ordre de repli. Je lui réplique moi que je ne trouve pas
la position intenable et qu’en conséquence je reste.
Ménard, mon caporal, est de mon avis et déclare
qu’il reste avec moi. Les autres nous traitent de ballots mais
nous les laissons se replier sans nous.
« A ce moment j’aperçois de l’autre
côté du canal des fantassins qui tirent sans arrêt.
Je dis à Ménard : « On y va ? J’ai envie de
tirer » On n’est pas restés pour dormir dans
l’herbe ! En approchant, je découvre des boches juste
à portée de mon flingue que je viens
d’épauler. Je tire à plusieurs reprises. Je crois
que j’ai tué mon premier Allemand. Je marchais le premier,
dans la position du tireur debout, le coude à la hauteur de
l’épaule, quand j’ai senti une très vive
douleur au bras, par derrière. J’ai commencé par
engueuler mon copain : « Salaud ! Tu m’as tiré dans
le coude… – Tu es fou, me répond-il, ça
vient d’en face !
J’essaie
de tirer encore mais mon bras droit me refuse tout service. Je suis
furieux. Ménard est obligé de me ramener sur
l’arrière où le major me panse sommairement avant
de m’envoyer sur l’hôpital militaire de
Saint-Maixent, tenu par les sœurs grises. J’avais le coude
en bouillie et ne pouvais plus allonger le bras. La balle était
bien arrivée par-devant, traversant le bras, lésant le
nerf cubital et fracassant l’olécrane et
l’épitrochlée de l’humérus, comme on
le verra plus tard à la radio. »
Mon père ne put jamais retourner en retourner en première
ligne et en fut profondément affecté. Se
considérant désormais comme un planqué, il jugea
inutile de poursuivre son journal, se contentant d’y mettre en
conclusion le texte de sa citation dont il fut secrètement si
heureux, j’en suis sûre, mais dont le lyrisme pompeux ne
lui semblait correspondre à rien de ce qu’il avait
vécu :
«
Excellent soldat, a donné au cours des journées du 1er au
17 septembre l’exemple de l’entrain et du courage. A
été grièvement blessé en opposant une vive
résistance à un ennemi très supérieur en
nombre. »
Adrien Morvan est-il un proche de la romancière ? Son père ?
A-t-elle changé les noms ? à suivre...
Un grand merci à Anne Granger qui a découvert ce passage.
Jean Bouteiller, le capitaine Potin
et les frères Piot ______________________________________
Voici un court témoignage : celui de Jean Bouteiller relatant
brièvement les combats de Loivre et de Villers-Franqueux, extrait du Bulletin
n°64 de l'amicale des
anciens du 28e RI.
"Le très
intéressant compte-rendu du court séjour du 28e à
Loivre en Septembre 14, inséré dans le Bulletin 63 de
notre Amicale, n’aura pas manqué d’intéresser
la plupart de nos adhérents. Toutefois il semblerait utile
d’en compléter ou d’en modifier certains passages,
en soulignant notamment parmi les victime de l’intense
bombardement de Loivre (le 14 ou 15 septembre, je ne me souviens plus
de la date exacte) figuraient le très sympathique et
regretté Capitaine Potin atteint à la tête par des schrapnels sous le porche de l’hôtel du Cheval
blanc et des
deux frères Piot,
tués dans l’immeuble
qui abritait les sapeurs de notre régiment. (Quelle douloureuse
épreuve pour les parents).
|
|
Le capitaine Gaston Potin
est enterré dans le cimetière communal d'Hermonville,
situé à quelques kilomètres de Loivre.
Photo : Stéphan Agosto. |
Voici les deux fiches "Mort pour la
France"
d'André et Max Piot.
Ils étaient tous les deux parisiens.
Photo : Vincent Le Calvez |
Je puis parler en connaissance de
cause de ces tragiques événements, car en qualité
de chef de section de la 8e Compagnie, nous étions
cantonnés moi et mes hommes,
dans le bâtiment des P.T.T. de Loivre qui, par miracle, fut
épargné par les obus.
[...]
Je profite de cet exposé pour raconter une anecdote qui
eût pour cadre la position du canal que je fus, par ordre,
l’un des tout derniers à quitter. Après avoir
traversé à la queue leu leu sur des madriers branlants le
canal encore rempli d’eau, j’avais reçu pour mission
de tenir « coûte que coûte » la position, qui
en réalité, n’existait que par notre seule
présence car nous n’avions pour tout abri que le mur,
percé de créneaux, du parc d’un château
situé en face de nous. Dans ma section existait encore quelques
« titis » parisiens qui s’apercevant que pas mal de
soldats ennemis - fins saouls – la cave du château devant
contenir sans doute beaucoup de champagne, s’aventuraient
imprudemment vers la partie gauche du bâtiment à
découvert, se mirent à faire des « cartons »
sur ces cibles mouvantes et il me fallut user de mon autorité
pour faire cesser cette peu glorieuse tuerie.
Plan détaillé de Loivre
et localisation des bâtiments : le château, la sucrerie et la gare.
Le sergent Bouteiller et ses hommes
devaient probablement se trouver le long du canal
face au château.
Montage de Stéphan
Agosto.
Robert Tessier ______________________________________
Ouvrier dans une scierie,
Robert Tessier a fait son service militaire au 28e RI, incorporé
dans la classe 10. Il quitte l’armée en 1912 en tant que
soldat de 1re classe. En août 1914, le régiment
d’Évreux le rappelle. Robert connaîtra alors les
chocs de Charleroi et de Guise, puis la redoutable retraite.
Le 18 septembre 1914, alors qu’il participe à la
défense des ponts de Loivre, il prend de plein fouet une balle
dans la bouche, le défigurant. Gravement blessé, il est
capturé par les Allemands qui ont investi Loivre. Soigné,
il rejoindra le cortège de prisonniers en partance pour
l’Allemagne. Son statut de grand mutilé lui permettra en
juillet 1915 de retrouver les siens via la Suisse.
Extrait du JMO du 28e RI
Après la Seconde Guerre mondiale, il sera nommé chevalier puis officier de la Légion d’honneur.
Jacky Tessier, son
petit-fils, a gardé plusieurs coupures de presse de son
grand-père et recueille les informations sur ces combats de
Loivre.
On pourra également visualiser le parcours de Robert Tessier entre août et septembre 1914 en cliquant ici. Un immense merci à Jacky Tessier qui est à l’origine de ce site Internet.
Le jeune Gambier ____________________________________
J.-M.
Gambier, un ancien de Loivre avait 18 ans lorsque son village fut
frappé par la Guerre. Il fut le témoin de
l’arrivée du 28e Régiment d’infanterie.
Membre d’honneur de l’amicale des anciens du 28e I, il ravive ses souvenirs :
"[…]
Je suis le fils de cette petite ferme à l’entrée de
Loivre, venant de la traverse de Villers-Franqueux ; nous avions vu le
10 septembre 14, une patrouille de uhlans vers Villers, ne demandant
rien, le chef devait bien connaître la contrée.
Ensuite ce
sont les chasseurs à cheval du 5e Régiment,
cantonnés à Hermonville qui viennent par ce même
chemin et nous les renseignons ; abritant leurs chevaux, pied à
terre, ils avancent en longeant les murs ; à 200 m, ils
reçoivent des coups de fusil, les allemands sont au pont de
l’écluse de Loivre ; ils reviennent, remontent à
cheval, essuient encore des coups de fusil venant des fossés de
la sucrerie ; un cheval est tué, son camarade prend ses armes,
un autre le prend en croupe, les hommes sont sauf, et les renseignements
recueillis sont précis.
Le 12 ou
13 septembre, 24e et 28e arrivent dans la plaine aux vus de
l’ennemi qui occupe les observatoires de Noue-Gouzaine, batterie
de Loivre, sapins de Brimont.
Avançant
telle une multitude coquelicots, képi et culotte rouge,
repérés, ils sont pris à parti par
l’artillerie allemande, cloués au sol, sans
préparation, il y a déjà des pertes, mais la nuit
fut propice pour entrer dans Loivre, bien que l’ennemi ait
l’avantage du canal et plus loin, la ligne de chemin de fer
Reims-Laon, en tranchée et en remblai plus à l’est.
De
sérieux accrochages à l’écluse, par des
meurtrières, des tireurs français abattaient les
allemands qui passaient le pont ou les passerelles ; par la suite, ces
cadavres furent enterrés par nous.
[…]
les
allemands, venant de Bermericourt, s’infiltraient par les bois de
la verrerie, arrêtés par le canal et le pont trop en vue,
ils avaient utilisé les passerelles qu’ils devaient
franchir une par une.
Une
section du 28e, installée dans une écurie à 40 m
environ, un bon tireur, par une petite meurtrière, abattait, au
fur et à mesure, tous ceux, téméraires, qui
tentaient de passer et cela a duré un bon moment ; on a
compté 35 à 40 tués à ce passage. Ne
pouvant que tirer seul, les fusils approvisionnés, lui
étaient passés par ses camarades.
A 100 plus
bas, dans la ferme de M. Berge, même défense pour tous
ceux qui déferlaient vers le canal jusqu’au moment
où l’artillerie ennemie vint écraser les
défenseurs.
[…]
Le poste
de secours était bien dans la sucrerie ; que sont devenus ces
blessés, je ne pourrais le dire : ont-ils été
faits prisonniers ou tués, car tout fut détruit.
[…]
Loivre sera fortement touché par l'artillerie allemande et française.
En avril 1917 puis au printemps 1918, le village ne sera plus qu'un champ de ruine.
Tous les
morts allemands furent enterrés derrière
l’écluse par les civils prisonniers ; un des nôtres
ne s'étant pas découvert reçu un coup de sabre. Ils ont été exhumés par la suite.
Les nôtres tombés dans les rues et aux abords du canal, furent
également enterrés par nos soins, ils doivent reposer
maintenant au cimetière de la maison bleue, route 44 à
Cormicy.
L’artillerie
qui anéantissait Loivre était installée
derrière Brimont, route de Neufchâtel ; la nuit, nous
passions près des batteries pour aller enterrer les morts sur la
verrerie de Courcy et le bois Soulain ; là aussi, une fanfare
ennemie qui donnait une aubade à un officier supérieur,
logé au château de M. Givelet, fut repérée
et complètement anéantie par notre artillerie, nous les
avons enterrés avec leurs instruments.
[…]
Mes
souvenirs sont toujours aussi lucides, j’ai toujours
admiré le colonel Capitant, son beau régiment le 28e,
puis le 24e, que j’ai vu arriver à Loivre, puis un
bataillon du 74e en renfort ; nous les avons ravitaillés aux
abords du pays, cloués au sol par les obus ennemis.
Le colonel était dans la ferme de mes parents, à
l'entrée du pays, ainsi que le Drapeau et sa garde ; nous avons
eu quelques entretiens avec lui
avant l’ordre de repli sur la route 44.
[…]
au recul de nos troupes vers la route
44, les allemands envahissaient Loivre et arrêtaient tout le
monde ; enfermés 7 jours dans la mairie et les écoles
avant d’enterrer les morts.
Des
souvenirs (casques à pointe, fusils,
cartouchières…) ayant été
prélevés sur les morts de la carrière, nous avons
été accusés de cet acte regrettable et je fus
désigné comme otage avec trois autres personnes.
[…]
nous avons vu arriver la garde
impériale ; sortis et enfermés, nous devions subir les
vexations ; je crois que plus de 300 personnes furent dirigées
vers les Ardennes après prélèvement des 4 otages
dont je faisais partie ; puis ce fut notre tour de partir avec un
groupe
de prisonniers français vers Guignicourt et Laon où nous
arrivions exténués ; enfermés à la
Citadelle, sans rien manger, notre misère commençait.
La nuit,
lorsque nous avons quitté Loivre en flamme, pour coucher dans la
tranchée du chemin de fer à Bermericout, nous fûmes
dirigés vers une pâture à Aumenaucourt ; de
là toutes les nuits nous allions enterrer les morts ; à
la sortie du bois de Brimont, au dessus de la verrerie de Courcy, vingt
prisonniers, avec les hussards de la mort, nous avons dû aller
plusieurs fois pour enterrer les chevaux ; les soldats étaient
déjà enlevés ; l’artillerie française
tirait quelques obus à proximité, cet endroit était
très visible de nos lignes d’Hermonville ; nous
n’avons pu que dresser les carcasses puantes dans le talus, les
quatre fers en l’air pour en finir.
[…]
Notre ville qui
comptait 1500 habitants à l’époque a
été anéantie ; 54 d’entre eux ont
été tués ; nous sommes moitié maintenant."
Le 12 septembre 1976, le
"jeune" Gambier sera présent pour recevoir des anciens du 28e I
qui viendront en pélerinage à Loivre...
Un bleu à Loivre _____________________________________
Parmi les soldats tués lors des combats de Loivre, il faut noter la présence d'Émile Lesmann, un parisien âgé de 23 ans.
Selon le blog Une autre histoire du foot
et les écrits de Pierre Cazal, Émile Lesmann faisait partie de l'équipe
de football de la Jeunesse athlétique de Saint-Ouen et fut selectionné
une fois en équipe nationale en 1912 où la France et la Belgique firent
match nul (1-1).
Un disparu _________________________________________
Un grand nombre de soldats du 28e furent portés disparus suite aux
combats de Loivre. Inquiètes, les familles recherchèrent le moindre
témoignage sur leur soldat. Ce fut le cas du jeune Michel Corrard des Essarts qui trouva la mort à Loivre.
En février 1915, on découvre son visage dans La Recherche des Disparus, coiffé du casque expérimental que les compagnies parisiennes du 28e avaient testé en 1912.
La famille a gardé l'original de cette photo :
Photo : collection M. Renard. Reproduction interdite.
On pourra lire ici la belle biographie consacrée au jeune Michel.
62 ans après _________________________________________
Quelques années plus tard, le 12 septembre 1976, Loivre voit
arriver un cortège bien particulier : quelques vieux messieurs
avec leurs dames, deux officiers en tenue, des sapeurs-pompiers, le conseil municipal et des habitants
se dirigeant vers l'emplacement de l'ancien moulin où a
été érigé le monument de Loivre.
Les vieux messieurs sont tout simplement des rescapés des
journées de Loivre de septembre 1914, des anciens du 28e RI
qui ont connu ces combats de rues : Henri Rosier (classe 13),
André Chenaud (classe 11), J.-H. Lemaître (classe 10), Marcel
Joyeux (classe 10), Raymond Moulin (classe 12) et Charles Roussel (classe 10).
Après plusieurs discours dont notamment celui du "jeune
Gambier", les octogénaires vont poser une plaque
à la mémoire de leurs camarades tombés dans le
village.
Cette plaque, une palme, est toujours là, sur une des faces de l'obélisque.
Le monument de Loivre a été érigé en octobre 1923 à l'initiative du baron Pichon,
ancien chef de bataillon du 133e RI qui libéra Loivre lors de l'offensive Nivelle du 16 avril 1917.
Le baron est représenté sur la première face.
À l'origine, les noms des combattants du 133e RI
tombés à Loivre étaient inscrits sur la base du
monument.
Photo : V. Le Calvez, juin 2008.
La palme des anciens du 28e RI posée ce 12 septembre 1976 par les six pélerins :
"L'amicale du 28e RI, aux camarades disparus en 1914 - Loivre le 12 septembre 1976".
Photo : V. Le Calvez, janvier 2007.
Le coq et le monument __________________________________
En 1958, le Trait d’union
de Loivre se rappelle des combats de septembre 1914, du moulin et de
son coq. Cet article est signé du maire de Loivre, Gabriel Pérard, un
proche de l'amicale du 28e RI.
Merci à Philippe Crozet pour la coupure de presse.
et maintenant _________________________________________
Loivre garde encore les traces de la Guerre.
Près du panneau, quelques obus non éclatés...
Photo : V. Le Calvez, juin 2008.
En savoir plus :
- une page sur le camp de Sennelager.
Sources :
Bouteiller (Jean), Amicale des anciens combattants des 28e RI, 228e RI et 18e RIT, bulletin n°64.
Gambier (J.-M.), Amicale des anciens combattants des 28e RI, 228e RI et 18e RIT, bulletin n°87, 1er trimestre 1976, p. 8-9.
Groult (Benoîte), Les trois quarts du temps, Grasset, 1983.
Rosier (Henri), Amicale des anciens combattants des 28e RI, 228e RI et 18e RIT, bulletin n°89, 3e trimestre 1976, p. 4-5.
Journal des marches et des opérations du 28e RI.
Journal des marches et des opérations de la 11e Brigade (24e, 28e RI, 239e RI).
Site Internet Une autre histoire du foot.
Trait d'Union de Loivre, 3e trimestre 1958.
Un grand merci à Martin Renard.