Roland Morel, un jeune aspirant de 18 ans
raconte son périple de mai à août 1918 à la 6e compagnie du 28e RI

Transcription du numéro 99 (2e trimestre 1979) de Fantassins du 28e,
Bulletin des anciens combattants
des 28e R.I., 228e R.I., 18e R.I.T. et des réservistes du 28e R.I.D.
Pages 3 et 4 du bulletin. Titre du chapitre : « Portrait ».


bandeau de la page : récit de l'aspirant Morel


En mai 1918, Roland Morel
rejoint d'abord le CID 6 dirigé par le lieutenant-colonel Nicolas.
Puis il monte en premières lignes
où il est affecté
à la 6e compagnie.

L'aspirant fait ainsi partie
du 2e Bataillon dirigé
par le commandant Turninger.












Le JMO du 28e RI
Juin 1918
Juillet 1918
Août 1918










[…]
Notre choix s’est porté tout naturellement vers le benjamin de l’Amicale, notre ami Roland Morel, né en 1899, engagé volontaire en avril 17 au 28e RI.
Cette année là, le régiment affrontait l’ennemi sur le plateau du Chemin des Dames, où depuis 14, ce dernier multipliait les travaux de défense ; nous savons ce qu’il en a coûté à nos deux régiments.
Bandeau du journal de l'Amicale du 28e RI
Donc notre jeune camarade (il a 18 ans) arrive à Amey qu’il connaît bien et est dirigé vers les baraquements de Pannette où il fait ses classes, puis un stage préparatoire à Louviers qui va lui permettre l’entrée à l’école d’EOR d’Issoudun ; enfin un autre stage à Chaumont au centre d’instruction de mitrailleurs complétera sa formation.
Le 1er mai 18, il embarque pour Saint-Dizier avec d’autres promus dont André Garanger, classe 18, et Trémoulet pour rejoindre le régiment qui cantonne dans la région de Suippe ; ce n’est pas encore le front mais c’est le camp K ; il y rencontre un ébroïcien bien connu, Ponson ex 3/4 à l’aile gauche de l’équipe de rugby d’Évreux l’EAC.
Au camp D2, il fait connaissance du lieutenant-colonel Nicolas et du lieutenant Kaltenbach et rencontre le lieutenant Hibert et le sergent major Clérisse de la 5e Compagnie ; les voilà au 28e, ils sont présentés le 26 mai au commandant faisant fonction de Colonel et sont affectés, Garanger à la 2e, Morel à la 6e et Trémoulet à la 10e ; Morel rejoint sa compagnie au camp C, il sera l’adjoint du sous-lieutenant Lefebvre et prendra comme ordonnance le soldat Dubuc.

Extrait du JMO du 28e RI du 27 mai 1918
Extrait du JMO du 28e RI, 27 mai 1918




Depuis mars 1918,
le 28e RI stationne à l'Est de Reims dans le secteur des Hurlus.

















1. Il s'agit probablement
du 5e Bataillon
de tirailleurs sénégalais (BTS).


31 mai 1918
Départ en autobus pour Mourmelon-le-Grand.

2 juin
Nouveau départ à pied puis par camions pour Verzenay où nous recevons quelques bombes d’avions.

3 juin
Montée en lignes, secteur calme ; (nous précisions que le régiment a relevé dans la région de Neufvy-sur-Aronde, une unité de la 5e DI – général Mangin – qui a progressé de plusieurs kilomètres).

6 juin
Patrouille devant les petits postes – sans incident – ; relevé par des sénégalais
(1) et départ pour Sillery d’où nous repartons le 10 juin au soir pour Louvercy.

12 juin
Marche de 25 km qui nous amène à Suippe Camp 4/5.
   


Le 28e RI quitte la Champagne pour participer à la contre-attaque menée par les Français.

Ils tiendront le secteur de Neufvy
et de Gournay-sur-Aronde
jusqu'au 10 août,
jour de l'offensive.










1. Selon le JMO du 28e RI,
il s'agit des soldats Joseph Crespino et Raymond Dumontier.

19 juin
Départ de la gare de Valmy.

20 juin
Débarquons à Pont-Sainte-Maxence et arrivons le soir à Saint-Aubin-sous-Erquery après une marche de 18 km (nous voilà dans le secteur de Rouvillers).

23 juin
Nous montons en ligne.

25 juin
Sommes bombardés, des dépôts de grenades sautent derrière nous, 2 hommes sont tués à la 7e Compagnie (1). Dans la soirée, nous allons nous installer dans une carrière ; travaux nocturnes d’aménagement de tranchées les 26 et 27 juin.
 
Les fiches "Mort pour la France" de J. Crespino et de R. Dumontier






1. Hémévillers se trouve
à 3 km du front.
28 juin
Montons en réserve d’A.P. (avant postes).

1er juillet
Relève par le 24e RI.

2 juillet
Départ pour Hémévillers
(1).

7 juillet
Montée en ligne, le front se réduit à quelques éléments épars en avant de l’Aronde.

8 juillet
Il fait très chaud, ma section s’emploie à aménager des tranchées.






 9 juillet
À 3h20 se déclanche sur notre droite une formidable préparation d’artillerie, sur plusieurs kilomètres l’horizon est embrasé. Le bruit est tel qu’il faut se crier à l’oreille pour se faire entendre. L’attaque est menée par les chasseurs à pied et par le 404e, elle a pris fin vers 6h30 ; l’ennemi a très peu réagi sinon dans l’après-midi par quelques obus sur Gournay-sur-Aronde. 


10 juillet
Vers 2 heures, nous recevons quelques […] et à 3 heures, nous ripostons par un barrage d’artillerie sur notre droite. J’apprends que l’opération de la veille nous a procuré 350 prisonniers dont 19 officiers.

11 juillet
Nous recevons quelques fusants puis descendons en 2e ligne.

12 et 13 juillet
Travaux d’aménagement de sape d’une passerelle sur l’Aronde.

14 juillet
Nous touchons un cigare chacun et une bouteille de Champagne pour quatre. Je prends le commandement de la 1ère section et vais reconnaître les lignes ; pas de tranchées mais des trous éloignés les uns des autres.
   

1. La 6e Compagnie occupe le secteur de première ligne située près du bois du Grand Cheval, à l'Ouest de la ferme de Portes.
Voir le plan ici.

2. Henri.







3. Lire à ce sujet le blog
ethnologique consacré
au 36e RI de l'ami Jérôme Verroust.





4. Ce coup de main
sera mené par la 11e compagnie.
Il y aura trois morts dont le célèbre adjudant Noël Giovannelli.
15 juillet
À 22 heures, nous montons en ligne.
(1)

16 juillet
Pendant le jour nous ne quittons nos trous, je partage le mien avec le sergent Bouissières
(2). Notre lit est fait de capotes allemandes, il fait une chaleur insupportable et nous sommes envahis par les mouches.

17 juillet
Ma section est répartie en deux demis sections éloignées l’une de l’autre, il me faut donc assez fréquemment établir la liaison entre les deux et avec l’unité qui est à gauche.

19 juillet
À 3 heures, je vois avec surprise et plaisir arriver Mahé, aspirant au 36e RI
(3) qui était avec moi à l’école d’Issoudun. Il vient reconnaître  le secteur pour nous relever sans doute le lendemain. Après avoir vu rapidement mes emplacements il repart car le jour se lève et il devient malsain de se promener dans la plaine.

21 juillet
À 0h30, le 3e Bataillon déclanche un coup de main à notre gauche, après une forte préparation d’artillerie  qui fait sauter un dépôt de munitions ennemi. L’allemand répond faiblement et tire trop court. Le calme revient et à 24 heures, nous sommes relevés par le 24e RI
(4).
    
L'encadrement de la 6e compagnie en juillet 1918
En juillet 1916, la 6e compagnie est dirigée par le capitaine Basin.
Le lieutenant Lefebvre sera affecté au 500e RAS à Cercottes le 14 Juillet 1918.
Il sera remplacé par le lieutenant Colas.
 








1. Il s'agit d'Albert Bazin (ou Basin)
présent au 28e RI depuis juin 1915,
où il venait du 274e RI.



2. Le lieutenant-colonel
de Gouvello.
22 juillet
Vers 1h30 nous arrivons dans le parc de Gournay-sur-Aronde et nous y installons dans des petits gourbis ; jusqu’au 27 Juillet. Les nuits sont occupées à des travaux d’aménagements des 2e lignes.

28 juillet
Nous occupons Neufvy-sur-Aronde dans la soirée.
Reconnaissance des emplacements de combat avec le capitaine Bazin (je crois)
(1). Le soir bombardement réciproque du 30 juillet au 1er août. RAS.

2 août
En réponse à ma demande de permission (2e tour), le Colonel désire me voir
(2). Il ne peut m’accorder la dite permission mais m’invite à déjeuner avec son état major (menu soigné et vins fins).
Jusqu’au 4 août, RAS.

5 août
Le capitaine Bazin part en permission et, le soir, les chefs de section partent avec le lieutenant Colas qui a pris le commandement de la compagnie inspecter de nouveaux emplacements de combat.

6 août : RAS

7 août
À 21 heures, nous partons relever la 11e Compagnie en première ligne.
   

Le 10 août, à 4h20, le 28e et le 119e RI vont s'élancer à l'attaque et vont parcourir en une seule journée plus de 10 kilomètres ! C'est la guerre de mouvement.

À 4h20, le bataillon
de Roland Morel
est en deuxième ligne
et sera mis en première ligne
à 9 heures et va capturer
de nombreux prisonniers.
8 et 9 août
Nous sommes bombardés, j’apprends que nous attaquons le lendemain.

10 août
J’amène ma section près du PC du Colonel sur la route 17. Nous sommes marmités par du gros calibre. A 4h20, déclenchement de l’attaque, notre artillerie fait rage, l’ennemi riposte faiblement. A 6h30, les premiers blessés arrivent. Tout va bien, nous avançons. Je suis le Colonel jusqu’à Saint Maur où ma section réceptionne les premiers prisonniers. Elle rejoint ensuite la compagnie laquelle est en réserve. Nous traversons le bois de Ressons-sur-Matz et continuons vers le Nord-Est. Ma section est avant garde de la compagnie. Nous suivons la voie ferrée et nous arrêtons à Orvillers. À la nuit nous repartons vers Roye-sur-Matz dont la gare est en flamme. Nous la laissons sur notre gauche et faisons la pause derrière le remblais de la ligne de chemin de fer.

Vue actuelle de l'ancienne gare de Roye-sur-Matz. Photo : V. Le Calvez

Vue actuelle de l'ancienne gare de Roye-sur-Matz. Photo : V. Le Calvez

11 août
Au petit jour j’emmène ma section, baïonnette au canon, en colonne par un. L’ennemi réagit faiblement d’abord quelques fusants nous environnent qui n’arrête pas notre marche en avant. Vers la fin de la matinée nous sommes stoppés par un tir nourri de mitrailleuses qui nous oblige à nous coucher, puis à chercher un abri dans des éléments de tranchées  qui nous venons de franchir. Alors le barrage allemand se déclenche et nous interdit  toute progression. Ce bombardement dure toute la journée et se poursuit pendant la nuit du 12 août ;

A 4h20 (je me souviens de l’heure exacte) parce que ma montre-bracelet a été touchée et s’est arrêtée à cette heure). C’est le trou noir. Ma première pensée a été  « je suis mort ». Je n’ai  jamais su et ne saurai jamais combien de temps je suis resté sans connaissance. Quand j’ai repris mes sens, j’étais couché en travers de la tranchée, le haut de mon corps d’un côté, les jambes de l’autre, le milieu du corps disparaissant sous la terre. Me remettant debout je constatai qu’apparemment je n’avais rien de cassé quoique criblé de petits éclats depuis la tête jusqu’au genou sur tout le côté gauche du corps, mais je n’y voyais plus de l’œil gauche. Il n’y avait  plus que moi dans la tranchée. Au milieu des éclatements car le bombardement continuait, je me dirigeai vers le poste de secours où je retrouvai cinq de mes hommes qui étaient comme moi dans l’élément de tranchée. Ils avaient tous été blessés légèrement ou commotionnés et me croyaient mort. Après avoir reçu quelques soins des brancardiers et attendu que le bombardement diminue d’intensité, je pris le chemin de l’arrière. J’étais complètement sourd, n’entendais pas le sifflement des obus mais voyais les éclatements à droite et à gauche.

Cependant après quelques kilomètres de marche difficile je rejoins une ambulance automobile qui me déposa à l’hôpital divisionnaire. Là je subis l’extirpation d’une partie des éclats dont j’étais truffé, puis fut dirigé sur l’hôpital de Beauvais où je restais quelques jours. Embarqué dans un train de blessés à destination de Bordeaux – j’en fus descendu, vu mon état de faiblesse à Saint-Germain-en-Laye et dirigé vers l’hôpital auxiliaire du Vésinet, lequel me réexpédia après 5 ou 6 jours en raison de l’état de mon œil, à l’hôpital du Val de Grace ; Le 12 septembre, un mois jour pour jour après ma blessure, le chirurgien fut contraint de procéder  à l’énucléation de l’œil gauche. La guerre était finie pour moi. »

La citation de l'aspirant Morel
Extrait du JMO du 28e RI (septembre 1918)
Roland Morel sera cité à l'ordre de la Division le 15 septembre 1918.
Notons également la citation de Gustave Nobécourt,
le futur auteur des Fantassins du Chemin des Dames.
Le sous-lieutenant Nobécourt sera blessé le 10 août en se portant à l'attaque.

En savoir plus :
Lire le Journal des marches et des opérations : mai - juin - juillet 1918  


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