Bandeau concernant le périple de Raymond Pître
Le récit d'un jeune soldat du 28e RI, Raymond Pître,
originaire d'Aveny, canton d'Ecos (Eure)


Extrait d'un journal local de l'Eure, découverte et offert par Jacky Tessier, paru en juin 1915.

Disparu le 27 août 1914, il donne de ses nouvelles le 15 mai 1915

Lorsque l'héroïque armée française vers la fin d'août 1914 dut céder à la pression de l'énorme torrent des Barbares qui avaient envahi la Belgique et le nord de la France, elle battit en retraite à marches forcées de 30 à 40 kilomètres par jour, jusqu'au moment où sur la Marne, elle s'immobilisa comme un mur à la voix du général Joffre.

L'ennemi voulut percer le mur d'airain. Il s'y brisa et dut reculer jusqu'aux endroits où il avait préparé des tranchées dans lesquelles il s'est terré comme le sanglier dans sa bauge.

Les boches se cramponnent, s'accrochent jusqu'au jour où nos poilus les délogeront et dès lors l'Allemagne verra poindre la débâcle fatale.

Alors que nos régiments reculaient à marches forcées, beaucoup de soldats harassés de fatigue, les pieds en sang, durent s'arrêter au revers des routes et furent faits prisonniers.

Il en fut parmi ces braves traînards qui parvinrent à se cacher, puis à se procurer des vêtements civils et ils attendirent le moment propice pour revenir en France. Les journaux nous ont donné les récits de rescapés qui pendant tout le temps où ils demeurèrent dans les lignes allemandes ne purent donner de leurs nouvelles à leurs familles.

Ces derniers jours, nous avons eu la bonne fortune de rencontrer à Evreux un de ces rescapés qui est originaire d'une commune de l'arrondissement des Andelys. Depuis le 15 août, il n'avait pas donné de ses nouvelles à sa famille et c'est seulement le 15 mai dernier, c'est-à-dire après 9 mois que ses parents ont reçu de lui une lettre datée de la Hollande.

Ce rescapé est M. Raymond Pître, âgé de 22 ans, soldat de la classe 1913, dont le père est chef-cantonnier à Aveny, petite commune du canton d'Ecos.
M. Raymond Pître qui appartient au 28e d'infanterie et était caserné lors de la déclaration de la guerre au fort de Daumont (Seine-et-Oise) est un blond normand, aux moustaches à peine naissantes et à la physionomie sympathique. Il porte 18 à 19 ans et de paraître aussi jeune a grandement contribué à sa sécurité dans les lignes allemandes.

Ce jeune soldat actuellement ne se ressent presque plus des privations qu'il a endurées. Il nous a fait le récit de son extraordinaire odyssée. A maintes reprises, il a vu la mort de près, car il a failli être pris par les Allemands et il savait ce qui l'attendait.

"Comme je ne m'étais pas rendu, nous disait-il, je savais que je serais fusillé. Pris pour pris, j'aimais mieux courir la chance de m'échapper un jour à l'autre. J'y ai mis huit mois, mais je suis revenu après avoir vu bien des pays et je compte bien maintenant aller à Berlin !"

Telle est la mentalité du brave petit soldat. A son retour à son dépôt à Evreux, il a été félicité par tous les officiers qui ont eu connaissance de son aventure. Félicitations bien dues à son courage et à sa tenacité.

Dans le récit que nous a fait Raymond Pître, nous supprimons tous les noms, car il ne faut pas que les boches fassent payer aux braves gens qui se sont dévoués à le cacher et à le nourrir, lui et des centaines d'autres soldats dans le même cas, le dévouement dont ils ont fait preuve à tous les instants.



Il y eut hélas ! des lâches cependant. Pître nous a cité une femme qui en mauvais termes avec sa voisine à dénoncé celle-ci aux boches comme donnant asile à 11 anglais.
Les allemands sont arrivés en nombre alors que les anglais mangeaient la soupe. Les 11 anglais ont été fusillés. Le maître de la maison et son fils ont également été fusillés, la femme condamnée à 5 ans de prison et la maison a été brûlée. La dénonciatrice immédiate a reçu - tel Judas - une somme d'argent des Allemands. Se pendra-t-elle comme Judas ? C'est ce qu'elle a de mieux à faire.

Anglais de Guise
Une carte postale : les tombes des soldats anglais
fusillés à la Citadelle de Guise en 1915.
Les noms de ces britanniques figurent sur le monument commémoratif de Guise :
Denis Buckley, Daniel Horgan, Walter Howard, Frederick Innocent, James Moffat, Terend Murphy,
John Nash, John Stent, William Thompson, John Walsh, Walter Wilson.


Dans ses Souvenirs de Guerre,  Charles Ghewy, gérant des fermes de Louvry à Audigny, écrira :
"13 avril 1915 — Onze Anglais étaient cachés à Iron, au Moulin Griselin. Dénoncés, ils sont fusillés au fort de Guise ainsi que le père Chalandre qui les ravitaillait. Nous entendons des salves puis des coups secs. Les malheureux, garrottés, ont été portés dans un chariot pour les mener au poteau. Affiches partout du sanguinaire Weachter annonçant qu'il a «approuvé le jugement du Conseil de guerre»."
Voir le lien ici.


Au milieu des Allemands

Pour en revenir à notre brave petit soldat, il était parti le 2 août avec son régiment et fit la campagne de Belgique. A Charleroi, il reçut un éclat d'obus dans son sac mais il ne fut pas blessé. Quand le régiment battit en retraite, à raison de 40 kilomètres par jour, Raymond Pître qui avait les pieds en sang fut contraint de s'arrêter en même temps que deux autres soldats du 28e, Robert Thiennot, de Gravigny, près Evreux et Pierre Schwetzer de Paris. Les trois jeunes gens ne devaient plus se quitter pendant plusieurs mois.

"On était au 27 août au matin, on s'était arrêtés tous les trois dans un petit pays du département de l'Aisne, car nous ne pouvions plus marcher. Le pays était à peu près vide d'habitants. Avec nous, il y avait des soldats d'autres régiments et aussi des Anglais. On était bien une cinquantaine. Voilà qu'on voit venir 6 allemands à cheval. On tire dessus, on les descend, mais le "gros" arrive. Des milliers d'hommes. On s'éparpille de tous les côtés. Moi et mes deux copains du 28e, on entre dans une grange à moitié pleine de foin en vrac, formant un tas de 6 mètres de haut. Il y avait une échelle. On grimpe au plus vite et on se cache sous le foin, tout en haut, sous le ravalement du toit. Nous avions tout juste trois biscuits et une boîte de singe.

Extrait du JMO du 28e RI : le 27 août 1914
Extrait du JMO du 28e RI pour les journées des 26 et 27 aout 1914.
Remarques la phrase "Pertes 33 hommes (restés endormis au cantonnement et pris par les Allemands".
Nos trois soldats font-ils partie de ces "33 endormis" ?

"Par la tabatière du toit, on voit les troupes allemandes qui arrivent. On s'enfouit sous le foin, après avoir caché nos sacs et nos fusils et pendant trois jours et trois nuits, nous restâmes là, entendant passer sur la route sans un instant d'arrêt, les troupes allemandes qui dévalaient sur Paris. L'artillerie, l'infanterie, les camions automobiles passaient, passaient toujours.

" Le premier jour, on eut une alerte. Des artilleurs entrèrent dans la cour avec leurs chevaux et deux ou trois vinrent dans la grange et montèrent sur le tas de foin dont ils jetaient avec des fourches d'énormes brassées par terre pour leurs chevaux.

"En piquant dans le foin, leurs fourches nous touchèrent presque et je vous assure qu'on retenait son souffle.

"On ne nous découvrit pas et le soir du 3e jour, comme il ne passait plus que des détachements espacés et quelques autos, ou des cyclistes, on décida de partir. Nous avions faim, grand faim, depuis 3 jours qu'on n'avait eu chacun qu'un biscuit à manger et le tiers d'une boîte de singe.

"Avec notre sac et notre fusil, nous partîmes tous les trois, au travers des pâtures où l'on pouvait facilement se dissimuler en cas d'alerte, car tous les prés étaient entourés de grandes haies. Près des chemins, on se terrait au passage des détachements allemands et on arriva sans encombre dans une forêt où il était facile de se cacher, on y passa le reste de la nuit et la matinée du lendemain dans une hutte de bûcheron. Vers midi, comme il fallait trouver de quoi manger, je partis seul à la découverte, vers un petit pays non loin de la lisière du bois. Je visite 2 ou 3 maisons. Rien ni personne. Dans une petite ferme, je trouve des poules, des lapins, des porcs et dans la grange, je découvre 14 à 15 œufs que les poules avaient pondus. Je les prends et je retourne avec mes deux camarades, on gobe les œufs qui nous paraissent délicieux et on revient tous les trois dans la ferme qui paraissait abandonnée.
"L'un de nous était sur la porte de la grange quand viennent à passer un homme et une femme. Ils paraissaient surpris de voir des soldats français. Ils viennent à nous. C'étaient de braves gens. Ils nous préviennent que s'il n'y a pas de troupes dans le pays, par contre, il y passe souvent beaucoup d'officiers qui vont chasser les cerfs, les biches ou les chevreuils qui pullulent dans la forêt. Ils nous indiquent un endroit du bois, presqu'impénétrable ; ils viendront le soir nous apporter à manger, en même temps que des effets civils.

"A 4h. du soir, la femme vient nous apporter à manger, des tartines de pain et du pâté qu'on dévore à belles dents. Elle n'a pas apporté d'effets. Elle nous dit que le maire s'occupe de nous et que dans la nuit, on ira chez elle, pour changer nos effets militaires contre des vêtements civils.

"Ainsi fut fait. Le maire attendait et nous fit enterrer nos effets militaires et nos armes après qu'on se fut mis en civils. On avait des culottes de velours, des gilets de travail et une casquette, mais le maire n'avait pas pu nous trouver de chaussures, ni de chemises, on avait donc gardé nos chemises militaires matriculées et nos godillots et on retourna dans la forêt. La nuit on sortait pour aller au ravitaillement et pour savoir si on pourrait franchir les lignes ennemies pour revenir en France.

"On resta là encore 8 ou 10 jours, toujours sur le qui-vive, mais on n'avançait à rien. On nous apprit alors qu'il y avait dans une autre forêt, des anglais et des soldats français en "pagaille"  comme nous. On décida d'aller les rejoindre, car il ne fallait pas songer à aller dans les villes. Les Allemands ramassaient tous les hommes jusqu'à 48 ans et les envoyaient en Allemagne. Sur notre route, on trouva encore de braves gens qui nous donnèrent à manger et on retrouva les autres fugitifs. Il y avait 28 anglais et 12 français.

L'un des soldats français était de Louviers. Je crois qu'il se nommait Taron ou Caron. Les Anglais ne pouvaient pas sortir de la forêt, puisqu'ils ne savaient pas le Français.




De forêt en forêt

"Nous autres 15, tous en civil, sous les ordres d'un sergent, on marchait la nuit par deux ou trois pour se ravitailler mais les Anglais s'étaient trop montrés. On apprit que les Allemands allaient faire une battue et tous les quarante, on déguerpit vers l'autre forêt d'où nous venions. Là les gens du pays voisin nous ravitaillaient. Tous les jours, on nous apportait dans un débit à 2 kil. de la lisière du bois, un pot de 20 litres de lait, des pommes de terre, du pain. Nous avions affaire à de braves gens bien dévoués.

"Un jour que j'étais de corvée avec Schwetzer pour aller au ravitaillement, il nous survint une aventure. On entrait dans le débit, quand sur la route, on voit arriver une auto, avec 4 ou 5 officiers allemands. Ils revenaient de la chasse dans la forêt et l'auto s'arrête devant la porte du débit. La débitante nous dit  : "Vite, asseyez-vous, je vais vous servir un verre de cidre comme à des consommateurs !" On s'assied tous les deux et les officiers entrent. L'un deux était le chef de la kommandantur d'un pays voisin.  Il s'assied à côté de moi et me fixant, il me dit "Toi soldat !" - "Non, que je lui réponds, je suis trop jeune, j'ai 18 ans !" - "Tu es français !" - "Pour sûr que je suis français que je réplique"- "Si tu étais anglais !" et en roulant des yeux furieux, il me prend à la gorge et me met le poing sous le nez. Moi pendant ce temps je fermais soigneusement mon gilet pour cacher le matricule de ma chemise. Un homme du pays étant entré, nous a parlé à tous deux en nous appelant par notre petit nom. C'était pour que le boche n'eût pas de soupçons. Vous pensez si le verre bu on s'est défilés rapidement, sans le ravitaillement, malheureusement. On retourna le soir chercher les victuailles.
"Le commandant boche avait dû avoir des doutes par la suite, car deux jours après, un de nous en éclaireur en bordure du bois nous prévint que les soldats boches, il y en avait bien 200, venaient vers la forêt. Ils voulaient faire une battue. Chacun tira de son côté et l'on dut abandonner  toute la nourriture qu'on avait gardée en réserve. Toujours nous trois et 6 anglais qui s'étaient joints à nous, on partit à l'aventure. On était trop nombreux et on quitta les Anglais.




Soldat français fusillé

C'est quelques jours après (on était en décembre, vers le 10) que ce pauvre Robert Thiennot fut pris par les boches. Il devait retourner tout seul au pays où on avait enterré nos effets militaires à 20 kilomètres de l'endroit où on était : "Je serai revenu avant 8 jours, nous dit-il, et si vous ne me voyez pas, c'est qu'il me sera arrivé malheur !" On l'attendit 10 jours et comme il n'était pas revenu, je partis dans la nuit, vers minuit. J'arrivai au pays au petit matin et trouvai brûlée la maison où étaient cachés nos effets militaires. J'eus doutance d'une barbarie de boches. On m'apprit, en effet, que Thiennot avait été pris dans la maison de la brave femme qui avait caché nos effets militaires. C'était par hasard qu'un soldat boche était venu y chercher du lait. Il parlait très bien français et en apercevant Thiennot qui n'avait pas eu le temps de se cacher, il lui avait demandé ses papiers. "Je n'en ai pas, répondit Thiennot, je suis contrebandier !" Il ajouta qu'il était réformé, mais le boche soupçonneux appela un de ses camarades qui passait et l'emmena à la kommandantur.

"Il avait en sa possession son carnet de route écrit en sténographie. Ces hiéroglyphes le firent prendre pour un espion, d'autant qu'il avait sur lui sa flanelle militaire, donc matriculée. Se voyant pris pour un espion, le pauvre Thiennot avoua qu'il était soldat français. "- Vous êtes officier français !" lui dirent les boches. Il protesta et bien qu'une personne du pays où il avait été pris eût remis aux Allemands son livret militaire, il fut fusillé, car il n'avait pas voulu dire où étaient cachés ses effets militaires pour ne trahir personne.

"Dans le journal mi partie en Allemand, mi partie en français que les Allemands font paraître dans l'Aisne, j'ai pu lire ceci :
" Le soldat français Robert Thiennot, du 28e d'infanterie errant dans cette contrée depuis le commencement de septembre et bien qu'ayant eu connaissance de mes ordres, il ne s'est pas rendu. Je l'ai fait fusiller comme espion. La personne qui lui donnait asile a eu 24 heures pour déménager son mobilier. Par mesure de clémence, je lui ai fait grâce de la vie parce qu'elle est mère de deux enfants, mais j'ai fait brûler la maison !"


Robert Thiennot
monument aux morts de Gravigny (27) fiche "Mort pour la France" de Robert Thiennot
Robert Thiennot figure sur le monument aux morts de Gravigny (Eure). Merci à Sophie Morin pour la photo. La fiche "Mort pour la France" de Robert Thiennot.
Son décès est daté du 25 février 1915.

Selon La Gazette des Ardennes (journal de propagande allemande),
Robert Thiennot fut enterré dans le cimetière de la citadelle de Guise.
Voir ici la page du journal.

"A mon retour à Evreux, ces jours-ci nous dit M. Raymond Pître que ce souvenir a vivement ému, je suis allé voir les parents de Thiennot et je leur ai dit ce que je savais. Mme Thiennot est institutrice à Gravigny.
Les arcgives de l'Aisne; le relevé des tombes de R. Thiennot et des anglais fusillés
Le relévé des tombes isolées sur le territoire de Guise (document d'après-guerre) indique
le nom de Robert Thiennot et des onze soldats britanniques fusillés.
Le corps du jeune Robert sera ensuite rapatrié par la famille : il repose désormais dans le carré militaire du cimetière communal de Gravigny (Eure). Un grand merci à madame Joubert de la commune de Gravigny.

Le monument aux morts de Guise (Aisne)
Le nom de Robert Thiennot est gravé sur le monument aux morts de la commune de Guise,
ainsi que ceux des onze britanniques fusillés, désormais adoptés par les habitants.
Photos : Isabelle Schotkosky.



En route pour la France

"La disparition de ce pauvre Thiennot, nous avait décidés moi et Schwetzer à nous séparer. On travaillait chacun de côté et d'autre, mais Schwetzer avait failli être pris et il dut se cacher dans une cave où il vécut pendant plusieurs mois, ne sortant que la nuit. Seule, une personne du pays connaissait sa cachette et lui donnait à manger.

"Quant à moi, je passais pour un émigré belge et en janvier, j'avais trouvé une place chez un cultivateur. J'y suis resté jusqu'au 17 avril. On s'occupait de nous faire passer par la Belgique et la Hollande et il était temps que moi et Schwetzer on s'en allât, car j'avais dû répondre déjà une fois à l'appel des Allemands qui a lieu tous les 15 jours. De temps à autre ils prennent des hommes qu'ils envoient en Allemagne et après avoir tant fait pour revenir, j'allais échouer au port. Enfin, le 17 avril, on m'a prévenu que j'allais partir, avec un guide. Nous étions trois, moi, Schwetzer et un soldat d'Afrique.

Nous ne dirons pas comment Raymond Pître et ses camarades ont pu traverser la Belgique, en passant par Bruxelles et Anvers.

A Bruxelles, nous dit-il, je sortais tous les jours. Il y encore plus de 50.000 habitants et la ville est intacte. Je me trouvais dans les trams avec des soldats boches et j'évitais seulement de trop parler français, mon accent aurait pu me trahir. La ville me semble bien ravitaillée, car j'ai mangé du bon pain blanc. Cela me changeait du pays où j'étais resté plusieurs mois et où nous étions rationnés. Le pain était noir et mauvais au goût, malsain surtout pour les enfants. Les boches avaient fait battre le grain, qu'ils avaient réquisitionné et ils fournissaient la farine aux boulangers. C'était la farine toute noire et je me demande avec quoi elle était faite.

Pour passer la frontière hollandaise, barrée par des tranchées et des réseaux de fils de fer barbelés, Raymond Pître et ses camarades subirent un avatar qui faillit leur coûter la liberté.

Leurs deux guides arrivés à un certain endroit leur dirent : "La frontière est à deux pas, et est facile à franchir à cet endroit, vous n'avez plus besoin de nous !" Ils firent remettre les 10 fr. par fugitif qui leur avaient été promis et ils disparurent. Or la frontière hollandaise était encore à 7 kilomètres. Raymond Pître et ses camarades purent trouver deux nouveaux guides qui leur prirent 15 fr. par personne.

- Heureusement qu'on nous avait donné de l'argent, mais moi je n'avais plus que 10 fr. D'autres ont payé pour ceux qui ne le pouvaient pas et nos guides nous ont fait franchir la frontière. Ce n'était pas commode, j'ai déchiré mes vêtements aux fils de fer barbelés et à chaque instant de puissants réflecteurs illuminaient la zone dangeureuse. Enfin personne n'a été blessé, bien qu'on ait reçu des coups de fusil.

Grâce à leurs passeports en règle, les fugitifs n'ont pas été inquiétés en Hollande où ils sont restés plus de 15 jours en attendant un bateau en partance pour l'Angleterre. Nos consuls leur ont fourni les moyens de passer en Angleterre.

Citation de Pierre Schwetzer, 28eRI
Extrait du JMO du 28e RI (octobre 1916)


Raymond Pître est revenu par Folkestone et son camarade Schwetzer par Dieppe. Le soldat Pître débarquait le 21 mai à 4h du matin à Boulogne-sur-Mer. Sa tenacité et son courage étaient enfin récompensés.
A la place, on lui établit une feuille de route et le 22 mai à 8h.55 il prenait le train pour Paris où il arrivait à 7h.30 du soir à la gare du Nord. Le 23 mai à 4h. de l'après-midi, il arrivait à Evreux et se présentait immédiatement au dépôt de son régiment à la caserne Amey. Il raconta son odyssée et reçut les félicitations méritées des officiers se trouvant là.
De Hollande, le 10 mai, il avait envoyé à ses parents une simple carte où il disait : "Vais bien, espère vous revoir bientôt". La carte ne mit que 5 jours pour arriver à Aveny et l'on conçoit la joie des parents du jeune soldat, sans nouvelles de lui depuis huit mois et demi.
Pendant les mois qu'il a passés à errer dans les bois, Pître qui a une robuste constitution n'a pas été malade. Il a eu seulement des angines qui l'empêchaient de manger pendant quelques jours, mais il trouvait toujours de bonnes âmes pour lui donner du lait chaud.




A plusieurs reprises, il s'est trouvé en fâcheuse posture et il s'en est tiré avec sang-froid. Un jour qu'il suivait un chemin, il voit venir au devant  de lui deux uhlans. Il va pour fuir. Derrière lui arrivent 3 fantassins allemands. Il paie d'audace et continue son chemin. Un des uhlans lui demande : "Papiers !" Après avoir retiré sa casquette pour saluer, Pître tend son papier à cigarettes et du tabac. Les soldats rient. Il les salue à nouveau et file, mais les ulhans se ravisent et galopent à sa poursuite. Il oblique à gauche, traverse des maisons brûlées et pillées par les boches et se réfugie dans l'une d'elles pendant que les cavaliers le cherchent, il retourne sur ses pas et parvint ainsi à faire perdre ses traces.

Le soldat Pître a obtenu une permission de 8 jours pour aller voir ses parents et il est maintenant à Evreux tout prêt à repartir et à faire payer aux boches les émotions de sa demi-captivité.


Raymond Pître sera tué l'année suivante dans les rangs du 303e RI dans la Somme...

Fiche MPLF de Raymond Pître

Extrait du JMO du 303e RI : nom de Raymond Pitre dans la liste des tués du 4 septembre 1916.
Extrait du JMO du 303e RI : nom de Raymond Pître dans la liste des tués du 4 septembre 1916.


L'autre récit : celui de Pierre Schveitzer
Toujours grâce à Jacky Tessier, voici le récit du compagnon de Raymond

Récit de Pierre Schveitzer

Remerciements
- à Jacky Tessier qui a découvert ces articles,
- à Sophie Morin pour la photo du monument aux morts de Gravigny,
- à Marie-Claude Arduin et à sa mère pour les dessins extraits de l'ouvrage
sur l'occupation allemande à Saint-Quentin.
- à madame Joubert de la mairie de Gravigny (27).
- à Isabelle Schotkosky pour les photos du monument aux morts de Guise.
 
Références
- le JMO du 28e RI
- le JMO du 303e RI, cote 26N745/7, journée du 4 septembre 1916.

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