Hommes du 28e RI

Charles Simon (1882-1915)
L'avocat et le poète

Grâce à Stéphan et à Jean-Claude, voici un hommage à Charles Simon, avocat tué le 26 mai 1915 à Aix-Noulette. Poète, amoureux de chants grégoriens et co-fondateur des petits chanteurs à la croix de bois.

Le 26 mai 1915, sa compagnie fut désignée pour s'emparer de la célèbre et sinistre tranchée des Saules.
À l'heure H, les combattants français sautèrent dans la partie allemande de cette tranchée et livrèrent des combats au corps à corps particulièrement violents durant deux heures. Beaucoup seront tués, d'autres seront faits prisonniers. Quelques uns purent regagner leur tranchée de départ.
Comme de nombreux soldats de la 6e compagnie, Charles Simon sera porté "disparu".

carte postale de la tranchée des saules
Une carte postale d'après-guerre de la Tranchée des Saules

Né à Paris le 29 juin 1882 d'une famille bourgeoise originaire de Normandie, son père est médecin dans le quartier Vaugirard.
Licencié en droit en 1902, il devient avocat au barreau de Paris.
L'Anthologie des écrivains morts à la guerre (1914-1918) rend hommage à cet avocat :
Charles Simon, sergent à la 6e Compagnie
La fiche "Mort pour la France" de Charles Simon
 
Charles Simon"Charles Simon avait toujours conservé, dans son allure, une sorte d’humilité. Sa physionomie, qui semblait impénétrable, s’illuminait quand il parlait, et ses yeux, largement surmontés de sourcils inégaux, étaient pétillants d’intelligence, dès que son visage était en action. […] L’un des traits saillants de son caractère était l’obstination qu’il apportait dans tout ce qu’il entreprenait, et dont il ne donnait à personne les raisons. Esprit vif, observateur pénétrant, il s’assimilait rapidement les idées. Il était capable de recherches patientes. Mais il fut, avant tout, un poète. Doué d’une sensibilité délicate et d’une imagination toujours en éveil, il avait le sentiment de l’harmonie de la nature et rythme de la langue. Avec une égale facilité, il exprimait en vers la douceur d’un paysage qui l’avait séduit, ou ridiculisait dans un couplet un sous-officier qui l’avait froissé.

La musique était pour lui l’âme de la poésie. Il avait subi le charme mystique des offices des Bénédictines de la rue Monsieur. La musique religieuse, dans son expression la plus pure, le chant grégorien, fut sa passion. Il fonda avec quelques amis la Manécanterie des petits chanteurs à la croix de bois pour développer l’étude du chant grégorien. En 1912, Charles Simon publia un recueil de poésies, la Flûte enguirlandée, qui fut couronné par la Revue des Poètes. Il avait en 1914 achevé deux pièces en vers. L’une, Pierrots de France, était une sorte de féerie. L’autre, L’Hôtellerie du Pot d’Étain, était une comédie. Elles allaient être jouées sur deux théâtres parisiens, lorsque survint la guerre.

Mobilisé dès le 2e jour comme sergent au dépôt du 28e R.I. à Évreux où il avait fait son service militaire, il partit en janvier 1915 pour le front d’abord en Champagne, au 228e R.I. Puis son régiment fut envoyé en Artois pour prendre part à l’offensive sur le plateau de Lorette. Frappé d’un éclat d’obus à la trempe droite, il est tombé le 26 mai 1915 à Aix-Noulette.
Louis Raveton."


Un poème de Charles Simon, extrait de l'Anthologie des écrivains morts à la guerre (1914-1918)
La Compoud dans le printemps, un poème de Charles Simon
Superbe de vapeur, dédaigneuse et ventrue,
Attendant au signal l’espace où l’on se rue
Dans l’engouffrement noir des tunnels suintants,
La compoud immobile enfume le printemps
Qui, du haut des vergers aux promesses hâtives,
Se distrait à jeter sur les locomotives,
Avec des gazouillis de brise persifleurs,
Les pétales mouillés des cerisiers en fleurs.
Elle fume ; et l’orgueil de son âcre fumée,
Refoulant vers le ciel l’haleine parfumée
Des petits matins blancs qui sortent des lilas,
Monte, lourd d’escarbille, en épais falbalas
Dans le soleil strié de fils, et que perfore
Le bras vigilamment tendu d’un sémaphore.
Devant elle s’incline un horizon charmeur
De jardins en éveil et de bourgade où meurt,
Parmi des chants d’oiseaux que l’Avril remarie,

L’appel d’une inquiète et grêle sonnerie.
Et les bruits sont si doux, le ciel couleur de lin
Si transparent au fond des arbres, si câlin
Le souffle rajeuni d’amour qui l’enveloppe,
Que l’austère géante au regard de cyclope,
Encore sous le spleen des dépôts encrassés,
Sans jamais voir le long de son panache assez
De sites renaissants et de saisons nouvelles,
A des impatiences dans ses manivelles
Et, brûlant d’enfiler un si coquet décor,
Crache sur le ballast où perce un bouton d’or,
Car, malgré son dédain, sa force et son calibre,
La compound qui remplit les échos n’est pas libre
Et, tandis qu’à leur gré deux insectes fripons
Se cherchent sur le bord luisant de ses tampons,
Elle, laissant couleur des larmes d’huile, bisque
D’être arrêtée, en plein voyage, par un disque.

(La Flûte Enguirlandée).


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