André Garanger8


À la fin des années soixante-dix, André Garanger, alors membre de l’amicale des anciens combattants du 28e RI raconte la fin de la Guerre au sein de son régiment où il était aspirant.



Première partie : L'Oise, août 1918

L’offensive du 10 août 1918
Le rôle du 28ème dans la seconde phase


Ainsi donc, après avoir progressé de plus de 3 km depuis 4h20, les éléments de tête du régiment ont atteint l’objectif éventuel vers 8 heures, sans que l’ennemi ait beaucoup réagi ; il s’était replié pendant la nuit « sur des positions préparées à l’avance ».

Un arrêt de deux heures a permis aux attaquants de manger, de se reposer et probablement à l’artillerie de déplacer ses batteries pour les rapprocher de l’infanterie.

Plan du 9 août 1918
L'aspirant Garanger appartient à la 2e compagnie (Ier Bataillon - I/28e RI)
Son bataillon est à la droite du dispositif d'attaque.


Que dit l’Historique du régiment ? « Le bataillon Thurninger (c’est le deuxième bataillon qui était en réserve) est alors poussé en avant, en reconnaissance offensive, pour préparer l’exploitation du succès par l’occupation des positions intermédiaires. Il réussit complètement sa mission, réduisant de nombreux centres de résistances, et faisait près de 100 prisonniers dont deux officiers. La marche en avant reprend, le 2ième bataillon à droite, le 1er à gauche et le 3ième en réserve. »

Pour des hommes qui n’ont pas dormi depuis 24 heures, qui avancent prudemment depuis l’aube à travers champs, vers un ennemi invisible qui les guette pour leur envoyer soudainement quelques giclées meurtrières avant de déguerpir, cette marche sera rendue plus pénible encore par l’ardeur de la canicule. Sous leurs casques brûlants, dans leurs capotes que les courroies enserrent, les attaquants, dont les bidons sont vides, (les mitrailleurs portent leurs pièces) devront tenter d’atteindre leurs nouveaux objectifs, distants de plus de 7 km.

Au 1er bataillon, la 2ième compagnie, a été remplacée, en première ligne, par la 3ième dont une section est commandée par le sous-lieutenant Emile Prieur.


André Garanger et Émile Prieur du 28e RI
Photo originale des deux officiers réunis en 1919 en Allemagne :
André Garanger et Émile Prieur.
(collection Gouesse-Nobécourt)
.

Or notre ami Prieur tenait soigneusement à jour un carnet de route qui nous permet de connaître le rôle de sa compagnie depuis l’aube. En le lisant, on constate qu’il corrobore notre récit. C’est ainsi que notre camarade a noté que son unité, placée au départ à droite de Saint-Maur a reçu quelques obus de 75, cousins (non pas germains mais bien français) de celui qui a mutilé notre brave Pergola.

Plus loin, Emile Prieur écrit : « Je suis doublé à ma gauche par de petits tanks Renault ; le chef, en bras de chemise, se tourne vers moi et hurle : « Où sont les Boches ? Je luis fais signe d’aller voir plus loin ». Et puis encore : « A la sortie du bois de Ressons, nous trouvons un pauvre type tué  dans le dos, par un obus de 37… » Il s’agit du malheureux Lengagne, victime  de l’exaltation alcoolique du « chef qui hurle » : Binet-Valmier.


La sépulture de Jérome Lengagne du 28e RI, enterré à Rémy (Oise)
Voici la sépulture de Jérôme Lengagne, enterré dans la nécropole nationale de Rémy (60).
Cliquez sur la photo pour agrandir.
(Photo : V. Le Calvez).


De témoins qu’il était alors, Prieur devient acteur après la pause du matin : « Nous longeons la voie ferrée de Ressons-sur-Matz et sortant d’un bosquet, nous apercevons Biermont. Les Boches sont dans le village et nous reçoivent en tirant sur nous à la mitrailleuse ; nous sommes arrêtés un moment. Le commandant demande l’appui de l’artillerie, mais les 75 tirent sur nous et même derrière nous ».
Cher ami, des obus, amis eux-aussi, tombaient derrière la compagnie de deuxième ligne comme si nos artilleurs voulaient la forcer à presser le pas… et ignoraient que les fusées rouges leur commandaient d’allonger le tir. « C’est encore le 42,5 qui fait des siennes « maugraient les fantassins » qui surnomment ainsi le 43ième RAC, accusé par eux de tirer souvent trop court.

Baïonnette au canon, la 3ième compagnie passe à l’attaque, progresse par bonds successifs et occupe le village. Emile Prieur a noté : « Mon caporal L’Hermitte est blessé par un 75 ainsi que Nasset ».
Pendant que cette action se déroulait, la compagnie de soutient a fait halte. Elle se reposait le long d’un talus lorsqu’elle voie arriver de l’arrière un curieux cyclo-crossman poussant son vélo : c’est le vaguemestre du bataillon qui fait sa tournée quotidienne et apporte le courrier aux éléments avancés. Ce vrai facteur de campagne, consciencieux et dévoué, n’a pas changé depuis près de soixante ans : c’est notre ami Lemaître.
Un homme chargé de bidons vides part vers une ferme à la recherche d’un puits. Ses camarades souffrent atrocement de la soif ; certains sont épuisés et dévorés par la fièvre, devront être évacués (on affirmera plus tard que deux d’entre eux sont morts à l’hôpital).

[…]

Il fera nuit noire quand la progression sera reprise de part et d’autres de la voie ferrée Compiègne-Peronne. Bientôt apparaîtra un énorme brasier : c’est la gare de Roye-sur-Matz que l’ennemi a incendié avec les importants dépôts qui l’entourent.

Le régiment, nous dit son historique : « a reçu brusquement la mission de rechercher, à gauche, vers Congy-les-Pots, la liaison avec la Ière Armée. La 3ième compagnie part en direction de cette direction, la section Prieur « longeant la voie ferrée sur un petit chemin de terre ». Le commandant avait dit : « Il y a une ancienne tranchée française derrière la route de Conchy ; vous vous y installerez en attendant de nouveaux ordres. »

« Je suis le premier, raconte Émile Prieur, à percevoir la route à la lueur de l’incendie d’une guitoune sur la voie ferrée et je dis au capitaine Mutel (qui commande la compagnie) ; C’est là, nous sommes arrivés. Au même instant, à 5 mètres de nous, deux types se dressent en criant : Halt ! Nous n’avons pas même le temps de nous demander si nous avons affaire à des Français ou à des Allemands : deux coups de feu partent, le premier blessant le sous-lieutenant Lassalle-Séré à l’épaule gauche, le second touchant le capitaine au moment où il se jette à plat ventre pendant que je fais un plongeon dans le fossé.

La citation de l'aspirant Lasalle-Séré
Le sous-lieutenant Lasalle-Séré était aspirant en décembre 1917.
Il fut cité pour  plusieurs coups de main réalisés dans le secteur de Saint-Quention.


Lassalle qui était resté debout, se retourne pour aller se faire soigner ; il est touché à nouveau, mais cette fois à l’épaule droite et s’en va au poste de secours avec les deux épaules traversées… Les deux sentinelles allemandes regagnent en courant vers leur tranchée en criant : Machinengewehr ! ; alors je me mets à crier à mon tour : « Planquez vous les gars, leur mitrailleuse  va tirer ». Mon caporal Moulin est tué…

La fiche "Mort pour la France" du caporal Moulin
Victor Moulin, 23 ans, était originaire de Petit-Quevilly en Seine-Maritime.
Il est enterré dans le cimetière de sa ville. :


La plaque de Victor Moulin, Petit-Quevilly (76)
Est inscrit sur la plaque :
"À la mémoire de Victor Moulin, Caporal au 28e Régiment d'infanterie
                     Tué à Resoous sur Metz [Ressons-sur-Matz] le 11 août 1918 à l'age de 24 ans"


J’ai cru apercevoir un monticule près de la route, en face de la tranchée occupée par l’ennemi, à une vingtaine de mètres devant nous ; la compagnie va se mettre à l’abri de ce qu’elle découvre n’être autre chose… qu’un dépôt de torpilles !
»

Mais c’est maintenant le grand silence et le repos, après une progression de 10 km environ.
Depuis  un long moment déjà, la journée du 10 août est entrée dans le passé. A l’aube, proche maintenant, il faut « remettre ça ».
Merci Emile Prieur

Un ancien jeune.

[…]


L’offensive du 10 août 1918
(suite)


Dans le dernier bulletin, nous avons arrêté notre récit à la fin de cette journée du 10 août ; le régiment avait progressé depuis le matin, à travers champs, d’environ 10 km ; le 1er bataillon était en pleine nuit, au-delà de la gare de Roye-sur-Matz où les fantassins allemands manifestaient leur présence en  infligeant des pertes, heureusement minimes, aux nôtres.

Est-ce parce qu’ils avaient une mauvaise notion des distances (ce qui expliquerait leurs trop nombreux « coups courts ») que nos artilleurs (22e RAC) affirment dans l’historique de leur régiment : « Le soir, on a gagné 20 km. » Savourons ce pronom indéfini et poursuivons la lecture de ce document officiel : « Il faut alors préparer le tir d’accompagnement, le barrage roulant pour l’attaque qui doit s’élancer au petit jour dans une zone d’action inconnue, sous un ciel noir et sillonné d’avions à la recherche de la moindre lumière, décelant les troupes à bombarder. Voilà le problème posé aux officiers, la plupart nichés à découvert, ne pouvant consulter leur seul guide, la carte, qu’avec des ruses d’apache, pour que leur pauvre chandelle ne soit pas vue d’en haut, ni des voisins avides avant tout d’obscurité protectrice ».

Raviver de si vieux souvenirs ce serait faire preuve d’une rancune excessive s’ils n’avaient d’autre objet que de faire sourire les fantassins pourtant très habitués au style ronflant puisque, au sujet de la deuxième journée de l’offensive, l’historique du 28ième débute ainsi : « Dès l’aube du 11, placé à l’aile marchante de la division d’infanterie qui exécute une conversion à droite, le régiment reprend son mouvement en avant avec le même élan brillant que la veille. Il traverse de violents  tirs de barrages d’artillerie et de mitrailleuses, dans un ordre parfait, avec une tenue admirable, sans un flottement, comme à la manœuvre. Il fait tomber successivement de nombreux tirs de résistance tuant ou faisant prisonniers leurs défenseurs »…  Le soir, à 17 heures… les deux bataillons de premières lignes portent spontanément à l’attaque et réalisent une nouvelle avance. Le gain de la journée est encore de plus de 2 kilomètres.

Au risque de passer pour un conservateur invétéré, « l’ancien jeune », qui désire serrer la vérité d’un peu plus prés, est d’avis que cette version officielle émanant du P.C. du régiment à besoin d’être complétée par d’authentiques « acteurs ».
Le sous-lieutenant Prieur (3ième compagnie) a noté, par exemple : … « Nous repartons à l’attaque délogeons les boches qui occupent la tranchée de l’autre côté de la route ; les jeunes des classes 17 et 18 font merveille ; ils font feu sur les boches qui déguerpissent effrayés… ; une grande plaine s’étend devant nous. Nous avons un bon kilomètre à franchir, complètement à découvert… »

Et Émile Prieur met alors en pratique, sur le terrain, et pour la première fois, ce principe de l’attaque en rase campagne : progression alternative de deux sections, par bonds, l’une soutenant l’avance de l’autre par ses tirs. C’est une nouveauté.
Pendant cette progression a noté encore notre ami Prieur « les avions boches et français se mitraillent au dessus de nous à qui mieux mieux ». Ses deux sections, (il commande un peloton) continuent d’avancer par bonds successifs. Elles contraignent une mitrailleuse à se replier avant d’avoir pu tirer. « Le bataille fait rage… Le régiment qui est à ma gauche charge à la baïonnette dans un petit bois en poussant des hurlements terribles. Tout d’un coup, au milieu de notre régiment, je vois arriver de l’arrière, à bride abattue, une pièce de 75 qui est mise en batterie en quelques secondes et qui, débouchant à zéro, envoie des obus fusants devant nous». Et Prieur ajoute : « C’est bien la première fois que je voie un 75 en première ligne ! » et il poursuit : « Nous arrivons dans de vieilles tranchées de 1914, à l’Ouest de Lassigny. Les Boches sont installés derrière la crête… ». En voulant franchir cette crête, Prieur provoque le tir d’une mitrailleuse toute proche qui blesse deux agents près de lui.

Non seulement, l’infanterie allemande est en place, bien retranchée, mais aussi l’artillerie, légère et lourde, qui a eu le temps de choisir ses emplacements et qui connait parfaitement le secteur ; pendant plusieurs heures, elle arrosera abondement toute la zone qui précède la crête où elle sait que nos fantassins sont terrés. Les obus à gaz font des ravages (un seul met hors de combat toute la liaison du lieutenant Emo qui commande la 2ième compagnie).

A la 3ième compagnie, il manque 41 hommes et Émile Prieur a noté : « Dans ma section, Palfray et Loisel sont tués, Galtier, Tessier et d’autres sont blessés ; le sergent Couyot est tué… »

La fiche "Mort pour la France" du caporal Moulin
Le sergent Arthur Couilleaux repose dans la nécropole de Thiescourt (Oise).
Désiré Loisel avait 20 ans et Eugène Palfray, 34 ans.
Photo : J.-C. Poncet


A la section de « l’ancien jeune », il reste 11 hommes.

« La nuit arrive (a écrit Prieur), le bombardement se calme » et il voit revenir son capitaine et deux anciens qui, s’étant avancés trop près de la tranchée ennemie, avaient dû se coucher dans un champ de luzerne et attendre la nuit pour reculer en rampant.

Un ancien jeune.

À suivre...

Remerciements à Xavier Bocé, Brigitte Gouesse et Jean-Claude Poncet.


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