Réveil
froid et courbatu dans cette aube charmante et ce beau
soleil. Les ormes immobiles sur la route d’Arras, un ballon
doré vers Noulette, et tout le reste du ciel
d’été tranquille et pur… As-tu remarqué que, du fond de la tranchée, on ne peut rien voir que les choses d’en haut, aériennes ou célestes ! Ainsi cet aéroplane d’hier soir canonne encore juste au-dessus de la première étoile… En ce moment-ci, un grand calme, un beau silence un peu fiévreux par les pulsations précipitées d’une mitrailleuse. Pas de lettres : à vous ce chagrin de l’homme enterré, alouettes ! Cinéma de mouvement : En tenue. En avant. Halte. Reculez. Retournez à vos anciens emplacements (Distributions de pain et de viande froide). Idées : Ce que je reproche à Dieu, à sa Providence, c’est de ne pas être égalitaire. (Par exemple, d’avoir pris Soulas et de pas m’avoir pris.) Mais il pourrait être juste autrement. Toute négation de Dieu est une pensée anti. C’est une pensée établie au point de vue du ne pas comprendre… Mais qui se placera dans la pensée même de Dieu comme s’il la connaissait ? Le Fils. Le Fils co-éternel, co-essentiel, co-substanciel à son Père. Si vous êtes, Seigneur, donnez-moi de vous connaître un jour, ainsi que cette sainte femme d’Orbais (1) vous en a prié… Donnez-moi de vivre après ces victoires apparentes, afin de remporter grâce à votre grâce, la seule victoire qui compte. Mais si vous êtes Seigneur, et si vous le préférez, donnez-moi de mourir. De mourir en prononçant le nom de Celle que j’aime. Cinéma de mouvement. En avant, ne vous mêlez pas avec le troisième bataillon (2). Attention aux fils. Halte. Reculez. En avant. L’arme à la main. Halte. Attention aux blessés. (Dans ce rempart des mitrailleuses, à même les brancards, il y a même des morts.) Serrez. Halte. Ne serrez pas. Reculez. Demi-tour, bien entendu et en avant. (En avant dans la direction du demi-tour, bien entendu, dans la direction contraire à la ligne de feu !) En avant. Laissez passer les mitrailleurs. Halte. En avant. Laissez passer le lieutenant. Laisser passer le capitaine. (Un capitaine quelconque puisque nous n’en avons pas (3).) Demi-tour, halte, en avant. (Dans la direction du feu à nouveau.) Halte. En avant à un mètre cinquante de distance. En avant. Halte. En avant. Demi-tour. Non en avant ! Baissez-vous en passant. En avant. Baissez-vous, à cause de l’arrière. (On était en vue de l’horrible colline gorgée de morts (4).) Attention au mort. (Figure terreuse dans un coin du boyau.) Halte. - Plaisanteries en nous voyant passer. Car en chemin nous nous écrasons avec des infirmiers, des mitrailleurs, des téléphonistes, des agents de liaison, des compagnies de territoriale. – Exercice de boyaux, dit l’un. – Je préférais être resté dans celui de ma mère, dit l’autre. Les boyaux sont champêtres ici : on y a planté une espèce d’avoine sur les remblais, et des fèves qui sont en fleurs. Le temps admirablement serein et chaud. Le ciel parfait sauf ces petits nuages autour de nos charmants aéroplanes blancs. Halte et longue séance dans la tranchée de tir, entre des murs de terre et des sacs, sans tirer, sous un bombardement intermittent et quelques balles. W… : « Est-ce pas malheureux qu’une mère élève un fils jusqu’à vingt ans pour le faire tuer ? – Moi : Elle ne l’élève pas pour le garder sur ses genoux, mais pour lui donner une forte vie, et qu’il la donne librement, à quelque chose de grand. » Disant cela, je suis frappé de voir comme c’est bien répondu aussi dans la pensée de Dieu. Il ne vous a pas élevé, Vous mon Ami unique, pour que vous jouissiez !... (non, je ne puis pas ! je ne puis pas appliquer cela à Soulas…) Que vous êtes dure, Vérité ! Nous sommes huit assis à ces deux créneaux. Quelle salade si l’obus y tombait !... Mais il n’y tombera pas, ... car tu me protèges et je les protège. Le capitaine passe et me dit qu’il est défendu de faire un carnet de route. Je le sais bien. Et surtout celui-ci, trop vrai qu’il est, tout surprenant qu’il soit. Mais nous ne parlerons pas du danger (5). ……………………………………………. |
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