« Les carnets de guerre » d'Albert Thierry

Albert Thierry, photo


La Grande Revue, 1917 et 1918


Ces carnets de guerre ont été publiés en huit parties (de décembre 1917 à août 1918) dans La Grande revue, revue d’actualités littéraires et politiques en hommage à ce collaborateur, professeur à l’école normale d’instituteurs de Versailles, mort au front le 26 mai 1915 à Aix-Noulette (Pas-de-Calais).
Ce témoignage couvre la période du vendredi 14 août 1914 au mercredi 26 mai 1915, jour de sa mort. Cent vingt-trois journées sont décrites. Certains jours, l’auteur n’écrit pas (ou il manque des pages…). Le texte a été censuré à quatre reprises.


Quelques remarques

L’homme en  proie des enfants
Albert Thierry est un intellectuel. Il ne peut s’empêcher de lire, d’écrire. Au front, son sac est parfois trop lourd, chargé de livres. Même dans la tranchée, il écrit. Les autres soldats l’appellent l’écrivain. D’ailleurs, il a du mal à vivre avec les autres soldats, surtout lors des moments de casernement. Il les considère parfois comme vulgaires ou grotesques avec leurs chansons, leurs remarques, leurs attitudes. Ce sentiment s’arrête au front : «  le soldat de la tranchée vaut beaucoup mieux que le soldat de la caserne. Pourquoi donc ? Parce qu’il souffre».
Instituteur, professeur à l’école normale de Versailles, il est très sensible au monde des enfants. Lors des repos, il visite les écoles abandonnées (l’école de Berry-au-Bac). La dureté de la vie au combat est effacée par la rencontre avec un enfant (« Quel rafraîchissement qu’un enfant !»). Il leur parle, leur demande ce qu’ils aiment, ce qu’ils ont appris à l’école. Au début du conflit, il sera choqué, voire traumatisé par les atrocités des allemands à l’encontre des enfants.  Dans plusieurs cas, il semble qu’il préfère la compagnie des enfants à celle de ses camarades soldats.

Péguy et Reims
Sa guerre est patriote, il se porte volontaire et part au front pour défendre la France. La mort de Charles Péguy (celui-ci devait publier ses contes) et surtout l’incendie de la cathédrale de Reims demeurent un traumatisme, une hantise et plonge l’auteur dans une tristesse quasi quotidienne.
Dans un deuxième temps, en janvier 1915,  lors de son retour au front, il mène une guerre pratiquement sainte contre les barbares que sont les allemands, ils les appelle les « injustes », les « inhumains », des « monstres, peuple d’impardonnables brutes », « une race boueuse »…  Toutefois, au fur et à mesure de son récit, il devient critique face à cette guerre (passage censuré) et n’hésite pas à critiquer sa hiérarchie et se moquer de l’attitude des médecins gradés.

Blessé et prisonnier
Ce qui est étonnant, c’est sa capture et sa détention. Il sera blessé le 4 septembre et prisonnier pendant quelques jours des Allemands lors de la retraite de septembre 1914 (il sera libéré le 9 septembre). Après cet épisode, il ne fera pas de commentaires sur sa détention et n’en fera pas référence les mois suivants. Il parlera de son attente à Montmirail avant son évacuation, mais nullement de son contact avec l’ennemi en tant que prisonnier.

La vie des tranchées
Thierry décrit avec précision la guerre et les tranchées. Chaque début de journée commence par une description météorologique et colorée (« Un réveil en violet et en or »). Connaissant les étoiles, il fait régulièrement référence aux astres lors des déplacements, lors des nuits de faction. Il ponctue son récit par des indications naturalistes : les arbres fruitiers, le chant des oiseaux, la couleur des arbres, la nature de la moisson et des champs (« As-tu remarqué que, du fond de la tranchée, on ne peut rien voir que les choses d’en haut, aériennes ou célestes ! »).
La vie de tranchée et surtout l’organisation des soldats sont décrites avec beaucoup de détails, notamment aux tranchées de Sapigneul et de Berry-au-Bac. Il note où sont les guetteurs, les Allemands, il explique les gourbis, les périodes de faction au créneau, le repos, les voyages dans les boyaux, la débrouillardise et les inventions des poilus. Il décrit aussi les zones de repos dans les villages désertés comme Cormicy ou Aix-Noulette et la rencontre avec les habitants qui se cachent dans les ruines et les caves.

Concernant sa vie personnelle, même s’il attend avec impatience le courrier et les lettres de ses proches, il parle peu de Suzanne Jacoulet, sa fiancée (en août et en septembre, celle-ci lui rendra visite à Cholet), parle peu de ce qu’il fait lors de sa permission. Il a cependant une grande tristesse lorsqu’il apprend la mort de Péguy, d’un certain Jacques, de Paul Soulas. Il apprendra également la capture de Jacques Rivières et « la blessure » d’Alain-Fournier.
 

Les principales périodes

14-28 août 1914
Thierry est au dépôt d’Evreux.

28 août-4 septembre 1914
Il rejoint le front et participe à la retraite qui le mène le 4 septembre à Chavenay  (ou à Orbais), près de Dormans. Ce jour-là, il reçoit une balle (ou un éclat d’obus ?) à l’épaule. Il laisse ses affaires et se réfugie dans une ferme. Il y est fait prisonnier par les troupes allemandes.


Parcours Albert Thierry septembre 1914

Voir la carte réalisée à l'aide de ses carnets. Carte.


4-9 septembre 1914
Prisonnier, parlant allemand (il a séjourné en Allemagne et en Autriche de 1903 à 1905), il sert de traducteur aux officiers allemands. Avec les sœurs de l’abbaye d’Orbais, il soigne les soldats français et allemands.
Le 9, à 4 heures du matin, il est délivré par le 36e (RI ?).

10-15 septembre 1914
Blessé, évacué sur Montmirail, il attend son transfert dans un hôpital. Le 15, il arrive en train à Cholet pour y être soigné à l’Hôpital de la Retraite.

16 septembre-10 octobre 1914
Soigné à l’hôpital, il est abattu par l’annonce de Péguy et par l’incendie de la cathédrale de Reims. Il lit et écrit beaucoup. Le 20, il reçoit la visite de sa fiancée et de sa mère.

10 octobre-29 octobre 1914
Il quitte l’hôpital de la retraite de Cholet pour un autre hôpital : le collège de Beaupréau. Beaucoup d’écritures. A. Thierry a du mal à supporter les autres soldats. Promenades dans la campagne « accablement de la tristesse et de la solitude ».

29 octobre-28 janvier 1915
De retour à la caserne Amey d’Evreux, il est frappé d’une grande tristesse ; la vie de caserne  l’ennuie : corvée, exercices, marches, revue. Il apprend la capture de Jacques Rivière et la « blessure » d’Alain-Fournier. En novembre, il décide d’écrire Les conditions de la paix. Du 29 novembre au 3 décembre, il part en permission à Saint-Cloud.

28 janvier-25 avril 1915
Départ pour le front. Arrivée le 1er février. Découverte de la vie du front, des tranchées. Son régiment (le 28e RI) est en première ligne avec le 24e RI près de Sapigneul et de Berry-au-Bac près du canal et de la cote 108. Durand plusieurs semaines, les périodes de 1res lignes et de repos à Cormicy se succèderont. Aussi bien dans la tranchée qu’au repos dans les caves, l’enseignant écrit et lit (« Je lis Spinoza, je taille des créneaux à la pioche et à la pelle »). Il décrit avec précision l’organisation de la tranchée : faction au créneau, repos, attitudes des allemands, bombardements. Dans  la boue et sous la pluie, les soldats sont des « robinsons».  Il relate une scène particulièrement touchante de chansons de soldats (11 avril) et décrit Berry-au-Bac (30 et 31 mars).
 
Lire cette partie (carnets numérisés et commentés).

26 avril-16 mai 1915
Départ pour l’Artois.

albert thierry 10-11 mai 1915


16-26 mai 1915
Arrivé à Aix-Noulette (Pas-de-Calais), il participe à l’offensive de la bataille de Notre-Dame de Lorette. Il termine ses corrections et ses relectures de son ouvrage sur les conditions de paix.  Les conditions de vie au front sont terribles et il cite le cas où son détachement se perd dans les boyaux mais aussi un cas de début de panique (21 mai). Le 25, après un repos à Hersin-Coupigny, ils reviennent en première ligne, Albert Thierry écrit le 26 mai ses dernières lignes.

Lire cette partie (carnets numérisés et commentés).

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