
Considéré comme un brillant officier en temps de paix,
André Allier dirige le 28e RI depuis 1912. Le premier mois de guerre
avec les terribles combats de Charleroi et de Guise vont lui être fatal...
Les adieux de Fismes
Le 2 septembre1914, alors que le 3e Corps d'armée bat en
retraite vers la Marne et passe la Vesle à Fismes, le colonel Allier
voit son régiment
partir sans lui. Il ne le suivra plus, il vient d'être démis de son
commandement. Convoqué par le général Hollender
commandant la 11e Brigade, le colonel Allier a appris avec stupeur
qu'il était relevé : motif ? "On ne vous trouve jamais, quand on a besoin de vous"...
Le commandant Denvignes du 24e RI prend alors définitivement la
direction du régiment car en effet, Allier était
introuvable depuis trois jours.
Que s'est-il passé ? Mais où était donc le colonel du 28e RI ? Que reproche-t-on à cet officier ?
Limogé ? Non, moulinisé...
Dépité, Allier est dirigé le jour même vers
la 13e Région et arrive le 7 septembre à Moulin (sur-Allier).
Furieux de son traitement et de sa punition, il écrit sans
tarder un télégramme au ministre de la Guerre : "N'ai
pu avoir aucune explication. J'ignore tout de ce qui m'est
reproché, et je proteste énergiquement contre mesure
prise. J'ai obéi, mais je demande enquête
immédiate, à être entendu devant témoins,
à reprendre ma place à la tête de mon
régiment où tous mes officiers m'ont vu sous le feu, et
ont été stupéfaits de la mesure prise contre moi."
De Bordeaux, le ministre – ou son directeur de cabinet – est très
étonné d'une telle réclamation directe et d'une telle
audace en temps de retraite. En pleine bataille de la Marne, l'heure n'est pas aux enquêtes
avec témoins. Mais le cas Allier
est lancé et on demande alors des rapports. Le lendemain, Allier
ne s'arrête pas à cette missive et écrit alors une
longue lettre au général commandant la Ve Armée. Cette lettre
tente d'expliquer maladroitement qu'il était bien en
premières lignes avec ses hommes, qu'il a dû commander
avec des ordres contradictoires et qu'à plusieurs reprises, il a
été empêché de rejoindre sa
troupe dans la cohue générale.
Le premier reproche à André Allier : la bataille de Guise du 28 août 1914
Le 29 août, Allier avait essuyé les
foudres du général Excelmans commandant la 35e Division
d'infanterie : "Hier, vous
étiez encore dans votre chambre à 7h30 et l'on ne vous a
pas vu de la journée. Votre régiment était
à 50 m de Guise et n'y est pas entré." (propos rapporté dans la lettre du colonel Allier).
Dans sa fameuse lettre du 8 septembre, Allier écrit alors pour se justifier :
"... Si le matin, à 7h30, je
sortais de la maison où j'avais passé la nuit
(Sains-Richaumont), c'est que debout depuis l'aurore, j'attendais des ordres
[souligne par Allier]; je ne les reçus qu'à 6h30 ; j'en reçus de
nouveaux à 7h15, modifiant les premiers. La rue étant
obstruée, mon capitaine adjoint et moi dûmes rentrer dans
la maison pour faire de nouvelles expéditions destinées
à chacun de mes 3 Bataillons dont deux étaient
détachés. Trois
ordres
et contre-ordres se succédèrent de 7h30 à 8h30 ;
ils émanaient directement de M. le Général
commandant le 18e Corps d'armée, - de M. le
Général commandant la 35e Division, - de M. le
Général commandant la 11e Brigade. - Je ne les ai plus
malheureusement ; ils sont restés dans les mains de mon
capitaine adjoint, M. le capitaine Roc, que je n'ai plus revu
après le combat du 28.
Mes ordres donnés, je double la colonne, arrive à
Le Héry-la-Vieville, et à la sortie N, M. le Général Hollender m'arrête et me dit : "Tout est
changé : on ne marche plus sur Mt d'Origny, mais sur Guise ;
votre Bataillon avant gauche a été prévenu -
reliez-vous avec le 24e."
Je croisais 100 mètres plus loin M. le Général
Excelmans auquel je rendis compte de ma nouvelle mission et me
répondit : C'est bien.
Mon unique préoccupation était de rallier mes 2
bataillons lancés en avant vers Origny, afin d'être
sûr qu'ils étaient bien orientés sur Guise, et je
battais la zone du terrain parallèle à la route La
Hérie-Landifay-Courjumelles ferme sans les trouver ; je me
rabattais
sur la ferme Courjumelles où je vis M. le Général
Perruchon et son chef d'état major qui me dirent avoir vu un de
mes bataillons se rabattre sur Guise. Je m'orientais dans cette
direction, rencontrais la compagnie Laurens qui, en tête d'Av. G
sur Origny, se rabattait sur Guise. Je piquais dans cette direction et
ralliais mes 2 Bataillons (Bataillon Berhomieux et Bataillon Florentin)
à 4 Kil S.O. de Guise en formation de marche d'approche. Je les
conduisis alors à l'attaque de Guise, et je n'entre pas dans les
détails (Capitaines tués, supercheries allemandes, le
228e tirant sur le 28e, etc.) ; j'arrête la retraite, rallie des
fractions éparses, etc... J'ai tout vu, le Bataillon Berthomieux
en
flèche, découvert sur son flanc gauche, cédant
sous le feu des mitrailleuses, etc. ; Je suis resté indemne ! Je
ne sais pourquoi, et je le regrette ! mais j'étais en plus avec
mes 2 Bataillons engagés (le 3e Bataillon avait
été gardé à l'aile droite comme soutien
d'artillerie), je n'étais pas auprès de mes chefs divers qui ne m'ont pas vu, c'est vrai ; mais d'autres vivants ou morts aujourd'hui, m'ont vu près d'eux."
Ce 28 août, devant Guise, le régiment perdra 690
hommes et 17 officiers dont les officiers cités par le colonel
Allier :
le commandant Berthomieux (tué) et les capitaines Roc et Laurens
(tués).
Ici, la photo de la sépulture du capitaine Roc, enterré
dans la nécropole nationale de la
Désolation, près de Guise.
Photo : Jean-Claude Poncet.
Le deuxième reproche : les trois jours d'absentéisme
Dans le chaos de la retraite du 3e Corps, Allier a le malheur de se
perdre. Trois jours sans nouvelles de l'officier commandant le
régiment. Toujours dans sa lettre du 8 septembre, Allier relate
ses pérégrinations à partir du 30 août : "...
je prescris la retraite par échelons. Un feu intense
d'artillerie ennemie nous écrase ; j'ai un cheval blessé
; je rallie ce que je peux, mais dans une fausse direction, ignorant
tout de la ligne de retraite de la 11e Brigade à laquelle
j'appartiens de nouveau, je passe en pleine campagne la nuit du 30 au
31 août, je marche sur Laon où je compte rallier tout mon
monde le 31 au soir ; je n'en ai qu'une partie, mais le lendemain 1er
septembre après de faux renseignements, je retrouve cependant
le contact ; dans la soirée du 1er, je donne mes ordres en
exécution et ceux de M. le général commandant la
11e brigade pour le lendemain 2 septembre. Mon régiment part
à 2 km, moi à sa tête, dans la direction de Fimes [Fismes],
et au lever du jour, M Le Général Hollender que je
rencontre sur la route, me conduit en auto à Fimes où
j'apprends la décision qui me frappe !".
Les généraux veulent la peau d'Allier
Probablement pour faire suite aux protestations d'Allier, des
rapports courts et expéditifs sont dressés début
octobre 1914 par plusieurs généraux accusant l'officier. Commençons
par le général Pétain, fraîchement
divisionnaire le 2 septembre après le limogeage du général Bloch : "le
jour où j'ai pris le commandement de la 6e Division (2
septembre) à Fismes, le Général Hollender, que je
considère comme un officier distingué, m'a amené
le Colonel Allier et me l'a présenté en me disant qu'il
était fort mécontent de lui. Il m'a représenté le colonel Allier comme un esprit
léger, n'ayant pas une conscience exacte de ses devoirs, de ses
responsabilités, ayant une tendance à échapper
à ses chefs. Il a ajouté que cet officier était
resté introuvable pendant trois jours dans une des
périodes les plus critiques de la campagne. Sur le rapport
verbal qui fut fait immédiatement au général Hache
commandant le 3e Corps, cet officier général a
décidé que le colonel Allier serait remis
immédiatement à la disposition du Ministre." Le
général Hache, fidèle à son patronyme,
confirme les dires de son général divisionnaire et tranche : "Il n'y a pas de place au 3e Corps pour le colonel Allier".
L'exécution du colonel A.
Dans son ouvrage Fantassins de 14. De Pétain au Poilu, Pierre Bourget publie la reproduction des pages du carnet de Pétain :
"2 septembre. Je cueille en passant ma Division au PC au nord de
Fismes. Hollender réclame. Exécution du Colonel A. Marche
en calme de la 6e Division." Le colonel A. c'est bien sûr notre colonel Allier. Bourget écrira d'ailleurs à ce sujet : "Le
colonel A…, “exécuté“ sous le crayon
de Pétain, est le colonel Allier : il a été
relevé de son commandement le 2 septembre à 9 heures par
l'autorité supérieure. Que reproche-t-on, en haut lieu,
au chef du 28e régiment d'infanterie ? Il est difficile de le
préciser."

Extrait du carnet du général Pétain : journée du 2 septembre 1914.
Sources : Fantassins de 14. De Pétain au Poilu, Pierre Bourget
Non présent pendant les faits, le général de la Ve
Armée, Franchet d'Espérey, temporise la décision
en indiquant que le colonel Allier sera utile et rendra
d'importants services pour les dépôts et les renforts
(note du 4 octobre 1914). Joffre, commandant en chef, donne son avis
final le 6 octobre : "Le colonel Allier n'a jamais eu beaucoup de fermeté de
caractère. Il y a lieu de le maintenir à
l'intérieur, où il pourra rendre des services pour
l'instruction des dépôts."
mais une seconde note contradictoire du 31
octobre demandera la mise à la retraite de l'officier
supérieur. Allier sera mis à la retraite mais pourra
occuper des emplois à l'intérieur, réservés
aux retraités.
...de la suite dans les tranchées
On ne connaît pas les aboutissements de cette affaire mais
lors de l'hiver 14-15, dans les tranchées boueuses de
Berry-au-Bac, on parlera encore de ce colonel. Les officiers
rescapés d'août 1914 se souviendront des absences du
colonel. Cette histoire sera également le
sujet d'échanges de lettres entre le nouveau commandant du
régiment du 28e RI, Ernest Capitant et sa femme. En effet,
madame Allier écrira au lieutenant-colonel Capitant pour
témoigner en faveur de la réhabilitation de son mari.
Les Capitant et les Allier viennent de la même ville : Grenoble
et dans la ville alpine, on commence à jaser...
André Allier quittera définitivement le 28e RI le 19
décembre 1914 et mis à la retraite par décision du Journal officiel
du 24 décembre.
C'est en épluchant les
centaines de pages des décisions du jour du commandant du
dépôt d'Alençon
que Stéphan Agosto a relevé le nom de notre colonel. On retrouve ainsi André Allier commandant
le 2e Centre d'instruction en résidence à Fresnay-sur-Sarthe.
André Allier décédera à
l'hôpital
du Mans le 29 décembre 1916 alors qu'il dépendait de
l'État major de la 4e Région. Son nom est absent de la
liste des fiches "Mort pour la France" mise en ligne sur le site Mémoires des Hommes.
Sources
- Pierre Bourget, Fantassins de 14, de Pétain au poilu, Presses de la cité, 1964.
- Dossier individuel d'André Allier, SHD, Vincennes.
- Dossier Légion d'honneur d'André Allier, base Léonore.
- Journal des marches et des opérations du 28e RI, SHD, Vincennes. Voir ici.
Remerciements
Un grand merci à Stéphan Agosto, Guilhem Laurent, Jean-Claude Poncet, Jacky Tessier et Yann Thomas.
Lien
- On pourra également lire la biographie d'André Allier sur le blog de Jean-Marc dédié au 45e RI.
