Hommes du 28e RI
Lucien Brunet (1891-1916) : un prêtre dans l'enfer de Verdun

Le sergent Lucien Brunet, sergent au 28e RI, tué le 16 avril 1916

Lucien Brunet voit le jour à Tourcoing en 1891 où il est élève de l'Institution libre du Sacré-Cœur. Tonsuré en 1911, ll fait une année de théologie au grand séminaire de Saint-Saulve. En août 1914, affecté au 127e RI, il est caporal instructeur à l'école militaire de Montreuil.
En septembre 1915, il devient sergent au 28e RI, à la 10e Compagnie.

La fiche MPLF de Lucien Brunet, sergent au 28e RI, tué le 16 avril 1916
La fiche "Mort pour la France"
de Lucien Brunet
Le 8 avril 1916 : le 28e RI découvre la désolation de Verdun
En avril 1916, Lucien Brunet commande une section de la 10e Compagnie.
Après les tranchées de la Somme et une période de travaux au nord de Pierrefonds (Oise), ses hommes vont découvrir le paysage dévasté et lunaire du front de Verdun. Quelques jours plus tard, le prêtre-soldat y trouvera la mort. Voici un extrait de la biographie rédigée par Lucien Detrez qui cite des combattants de sa compagnie :

Nous montâmes en ligne le mercredi et Brunet prit position avec le lieutenant Simon à la gauche de la section Fréval. Dans la tranchée, lorsque, à la tête de sa demi-section, il passa près de moi pour prendre position, le salut que nous échangeâmes fut plus solennel que de coutume : « Laudetur Jesus-Chris » me cria-t-il. Et je répondis : «In saecula. Amen. » Au cours de la nuit, il vint une on deux fois me demander si tout allait sans « cafard ». Nous sommes restés un jour ou deux avec des bombardements normaux, mais le jour où la section Bigot servit d'objectif à l'artillerie, quelques obus démolirent le boyau, et nous restâmes toute la journée sans aucune communication possible avec lui. Que faisait-il pendant ce temps ?
Il me semble le voir encore dans la tranchée, écrit un sous-lieutenant du 28e, les deux mains enfouies dans les manches de sa capote, le calot rejeté en arrière comme une barette : « Oui, me disait-il, en parlant d'un de nos frères mort, il est maintenant plus heureux que nous. Être au ciel, voir Dieu, en avoir fini avec les misères de cette terre. Va, des morts comme celui-là ne doivent pas être pleurés, mais enviés. »

L'obus du 16 avril 1916 : la mort des deux sergents Brunet et Pichard
Depuis le 12, la 10e Compagnie occupe le secteur des retranchements : R1, R2 et R3 (fortifications intermédiaires entre les forts de Douaumont et de Vaux). L'artillerie lourde allemande pillone le secteur. Les hommes, transis de froid, se terrent dans les abris ou les tranchées transformées en ruisseaux de boue. Continuons le récit de Detrez :

C'est le samedi matin, la veille des Rameaux : la pluie continue de cingler avec persistance et de bruire sur les casques d'acier; elle transforme lentement la tranchée en un ruisseau de boue; le terrain glissant se dérobe sous les pas; les gouttes d'eau froide finissent par alourdir et percer les vêtements... Brunet se trouve à côté de Pichard qu'il a mené récemment faire ses Pâques. Pour se mettre à l'abri, ils ont tendu au travers de la tranchée une toile de tente et, les pieds sur un rondin, le dos appuyé à la paroi gluante, ils attendent la relève qui doit se faire dans une heure. Il est environ cinq heures du matin quand arrive soudain un formidable obus de 380, l'un de ceux que les Parisiens surnomment « le Nord-Sud » à cause du « vrombissement » de son sillage dans l'air... La mort s'est abattue sur les deux chefs de section. Au fond du petit ravin, ils gisent décapités : leurs têtes ont été projetées au-delà du parapet par la violence de l'explosion.

Les amis, au moment de la relève, apprenant cette foudroyante nouvelle, se penchent avec émotion sur le bord de l'entonnoir creusé dans la tranchée, mais il leur est impossible, en dépit de leur grand désir, de récupérer les cadavres et de leur donner une sépulture honorable. « Vraiment, remarque un sous-lieutenant, voici réalisée à la lettre la parole de l'Apocalypse « Opera illorum sequuntur illos », car la dernière conquête de Brunet, frappée par le même obus, vient de paraître en même temps que lui à la barre de Dieu.
- Vous souvient-il, réplique un autre, de la dévotion du sergent pour le samedi ?
Le « rayon de la Vierge », comme il disait, vient de briller pour lui ! »


Le sergent Louis Pichard est enterré dans la nécropole nationale de Douaumont (tombe n°10593).
Lors de cette période de front en avril 1916, la 10e compagnie comptera 13 tués (dont le sous-lieutenant André Bigot) et 27 blessés. Parmi les survivants de cette compagnie, René Pigeard dont la lettre du 27 avril 1916 sera lue par des milliers de personnes dans Paroles de poilus


Sources
:
- site Internet Mémoires des hommes, ministère de la Défense.
-
Lucien Detrez, L’Hécatombe sacrée de la Flandre française. 1914-1918, Desclée, De Brouwer et Compagnie, Lille, 1921, p. 266-273.
- Le Livre d'or du Clergé pendant la Guerre (1914-1919).
- Paroles de Poilus. Lettres de la Grande Guerre, sous la direction de Jean-Pierre Guéno et d'Yves Laplume, Éditions Taillandier-Historia, 1998.

Tous mes remerciements à Thierry Cornet et à Stéphan Agosto ainsi que mes pensées à Yann Thomas dont l'arrière grand-père, Armand, fut tué ce 16 avril 1916.


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Pour en savoir plus :
Lire le JMO du 28e RI pour avril 1916