Bandeau de la page consacrée à Maxime Potier
Le 30 juin 1915, au lycée de Bayonne transformé en hôpital, Maxime Potier compose une chanson en souvenir de la relève du 17 mai 1915 à Noulette, devant le Fond de Buval, au pied de Notre-Dame-de-Lorette.
Maxime Potier était soldat au 28e RI, à la 8e compagnie, il se souvient des terribles journées de mai 1915 où il fut notamment blessé le 26 mai 1915. Par chance, Potier décrit (ou fait décrire ?) avec précision les circonstances de cette relève de nuit.
Partition de la chanson "La Relève" de Maxime Potier

Cette partition fut découverte par Denis Delavois qui a eu la très grande gentillesse de nous communiquer ce rare document. Dans le cadre de la fête de la musique 2009, Éric Lecat, musicien, nous fait le grand plaisir d'interpréter ce petit bijou musical :

 

Les paroles de la chanson

1
Tout au bout du pays que le canon ravage,
Lorsque tombe le soir et que cesse l'orage ;
Un calme relatif rend propice l'instant
Où vient se rassembler le cortège grouillant.
Il pleut ! Les feux éteints et le plus grand silence
Rendent impressionnant le départ qui commence
Et du piétinement des souliers, seul le bruit
Trahit le groupe noir qui se perd dans la nuit.

Refrain
C'est la relève qui se fait, mystérieuse,
Elle est l'espoir de ceux qui veillent sans repos
Modestes, impassibles, dans la nuit trompeuse,
Ils jouent un rôle ingrat et ce sont des héros.

2
On franchit vivement un petit bout de plaine,
Des batiments rasés, ou qui tiennent à peine;
Des boyaux tortueux, dans la glaise tracés
Doivent mener, plus loin, aux postes avancés.
On se coule un par un dans un étroit passage
Il faut ralentir sous la "flotte" qui fait rage ;
A voix basse on s'appelle, on glisse et l'on se perd
Dans le limon boueux dont le sol est couvert.
3
On marche lentement, tout près la fusillade
Éclate en claquements et, de la canonnade
Les obus vont, sifflants avec des lueurs d'enfer,
On rampe, on se blottit, sous l'orage de fer.
Une fusée éclaire un spectacle qui navre,
Un glissement suspect nous décèle un cadavre,
On bondit par dessus, et la main vient poser
Sur un crâne à demi, dans la terre, enterré….

4
Puis on arrive, enfin ! Silhouettes haletantes,
Questionnant à mi-voix des formes grelottantes :
Le poste que l'on prend, hier encor ennemi
Est cerné face et flancs, bombardé jour et nuit…
… Et les formes s'en vont, reprenant le calvaire
A genoux dans la glaise et l'eau que seule éclaire
La lueur des obus éclatant en fracas,
… Elles vont, doucement et se causent tout bas…


Composé à Bayonne
(Lycée - Hôpital temporaire n°20)
Le 30 juin 1915
M. Potier

Cette partition est complétée par un descriptif qui est probablement signé de l'auteur :

"Souvenir de la relève faite par le 2e bataillon du 28e d'Infanterie dans la nuit du 17 mai 1915, du village d'Aix-Noulette au plateau de Lorette, pour relever le 10e Chasseur. Elle a laissé chez l'auteur une impression extrêmement pénible ; La poésie n'est qu'un pâle récit de ce qu'il a ressenti rééllement. L'auteur, agent de liaison, pilotait sa compagnie (la 8e) ; il pleuvait à torrents ; la terre glaiseuse, collait aux pieds et, les hommes, se frottant aux parois des boyaux étaient transformés en morceau de boue. Il fallait s'arrêter à chaque instant pour ne pas se perdre, ne se laisser couper dans le dédale des boyaux ; s'arrêter  pour serrer et courir un à un dans les endroits découverts ; sauter par dessus les cadavres qui barraient les boyaux et souvent en glissant les mains tombaient sur le corps visqueux d'un autre cadavre ; sauter un à un sur des barrages de terre provenant de la démolition des boyaux par l'obus ; se coucher quand partait une fusée, se blottir quant tombaient les obus, se baisser à chaque raffale de balles tirées dans une attaque voisine. Cette horrible cauchemar a duré de 7 heures du soir à 3 heures du matin.  Certains sont devenus fous, mais tous avaient la figure tirée et les yeux hagards. Cependant, les tranchées à garder n'avaient pas d'abris, elles venaient d'être conquises par le 10e Chasseur ; ce n'était qu'un amas de terre, de corps, de matériaux bouleversés par l'artillerie, et dans lequel la pelle collait et se heurtait contre les ossements. Il plut à verse les 4 jours suivants, les nuits étaient infernales. La fusillade continuelle."

Ce terrible texte montre les conditions vécues par les hommes du 28e RI arrivés de l'Aisne. Le régiment quittera cet endroit le 27 mai, après l'offensive sanglante du 26 mai où notre musicien sera blessé et évacué.

Extrait du JMo du 28e RI
Extrait du Journal des marches et des opérations (JMO) du 28e RI.
Journée du 26 mai 1915. Liste des blessés pour la 8e compagnie.
On peut y lire le nom de Potier (avec deux "t).

Photo actuelle du Chemin de la Vache, Aix-Noulette
Le chemin des Vaches, Noulette, avril 2007.
Vue actuelle de l'endroit où stationnera le 2e bataillon du 28e RI du 17 mai au 21 mai 1915.

Au fond : la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette.


La "Relève" d'Albert Thierry
Le 17 mai 1915, Albert Thierry, écrivain, enseignant, fait partie de la 5e compagnie, compagnie voisine de celle de notre musicien Potier. Lui aussi, va décrire dans son carnet de guerre cette relève. Thierry sera tué le 26 mai 1915.
Lisons ce qu'écrit Albert Thierry le 17 mai 1915 (extrait de ses "Carnets de guerre", La grande revue, 1917-1918) :

"Se tenir prêt pour neuf heures. Soir gris et pluvieux. Lu des Psaumes. Je me couche auprès de mes hirondelles en attendant l’heure. Mélancolie.
Rassemblement de la section, rassemblement de la compagnie : environ trois quarts d’heure sac au dos, et sans savoir seulement si enfin on va partir !
En avant. Joie.
Traversée d’Aix-Noulette par un autre chemin, au pivot d’un grand arbre. Campagne. Chemin boueux, pierreux, affreux. Il pleut. Une route bordée d’arbres à gauche, éclairée par les fusées. Coups de canon. Le vacarme arrivant comme une énorme omelette sonore. Coups de fusil.
Noulette, village détruit, admirable aux fusées qui permettent seules de reconnaître les maisons en ruines ou les arbres ; avec de beaux chemins bordés d’aubépine dont l’odeur mouillée s’exhale…
Le lieutenant ne sait pas son chemin, l’agent de liaison l’a perdu. Nous traînons au long d’une grange, puis des chemins et à l’issue du village coups de fusils allemands et français pendant deux heures, tandis que le rossignol chante !

[…]
Dessin des carnets d'Albert Thierry, La Grande Revue

… Réfugié à ce buisson, tandis que personne ne se dérange pour faire place à personne, D… le gars du Nord, me dit : Couchez-vous sur moi, vous ne sauriez jamais m’écraser !
Les balles sifflant, le menton au canon de mon fusil, la machine à idées se remet en route.

[…]

Nous repartons par un sentier mouillé dans le bois, qui bientôt devient un vrai ruisseau ; où nous passons au fil de l’eau. Puis voici le boyau et son tortillement monstrueux : nous nous y perdons pendant trois heures et ne gagnons nos véritables gourbis qu’au petit jour.
D’abord c’est une tranchée de montagne et de bois, pareille, j’imagine, à l’Argonne : beaux arbres, mais brisés ; buissons, gourbis accrochés à la crête ; escaliers de schlittage, et au loin la lumière de l’ogre !…
Nous nous perdons. Le bois E. G…, la tranchée E. G…, personne ne connaît ça. Je n’oserais plus affirmer si ce fût réalité ou illusion que L… se fit enfin renseigner par un poste de Sénégalais…
Ensuite une tranchée d’inondation : Sapigneul à la plus haute expression. L… se perd. La… se perd. D… n’ose pas prendre le commandement. Confusion horrible. Pieds mouillés, pieds tordus, chutes, horribles tortuosités, escaliers, fondrières, radeau de la Méduse. Fatigue  du sac, allégée par l’esprit (Sic).

[…]

En marche, si je crois entendre le sifflet de la halte, soudain ma fatigue augmente, il me semble sentir mes épaules saigner. Mais si je constate que je me suis trompé, la fatigue diminue, et ces braves épaules, ma foi ! elles remettent ça !
Enfin, passé un bois surélevé, poussés par R… et L…, nous gagnons la tranchée du combat prise aux Injustes : un affreux délabrement de parapets démolis, de créneaux retournés et impraticables, de gourbis enfoncés, de sacs, de sacs, de sacs ! (Cousus par les femmes captives, souvent dans de l’étoffe assez fine) d’armes et de loques.
L’affreuse odeur et une forme étendue me révèlent que nous passons auprès d’un mort. Ainsi Aix-Noulette vaut les Éparges.
L… nous enfonce dans des gourbis. Le mien, planche et boue, à moitié effondré du plafond, étayé par trois poteaux. J’y tombe épuisé, je m’assieds en tailleur, je m’endors sous la protection des Boches !"

Albert Thierry : la relève du 17 mai 1915
Carte du secteur de la relève du 17 mai 1915.
Le 2e bataillon  (II/28e RI) tiendra ces tranchées du 17 au 21 mai 1915.


Lycée de Bayonne, hôpital temporaire avec Gaston Bénard
Un autre soldat du 28e RI blessé le 26 mai 1915 fut soigné au lycée de Bayonne : Gaston Bénard. Ce dernier, sergent à la 2e compagnie, gardera des photos de son passage dans le sud-ouest. Maxime Potier figure peut-être sur ces clichés :

Gaston Bénard du 28e RI, lycée de Bayonne
Gaston Bénard (au premier rang à droite), lycée de Bayonne, le 11 juin 1915.
Maxime Potier est-il sur la photo ? Photo : collection Albert Le Masson.


Gaston Bénard du 28e RI, lycée de Bayonne
Un autre cliché pris à Bayonne. Photo : collection Albert Le Masson.


Remerciements
Un très grand merci à Julien Delors, Albert Lemasson et surtout à Denis Delavois et à Éric Lecat.
. Denis Delavois est éducateur spécialisé. Il étudie le parcours des hommes du 149e Régiment d'infanterie dont beaucoup sont tombés à Noulette.
. Éric Lecat, musicien, intervient dans les classes des écoles de Villeneuve-Saint-Georges.

Avis de recherche

Si vous avez des informations sur Maxime Potier, n'hésitez à pas me contacter par mail.

En savoir plus
Sur les combats de mai 1915 : ici
Gaston Bénard, sergent à la 2e compagnie
, écrivain, enseignant
Le blog des combats de Lorette


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