Bandeau de la page consacrée à Oscar Frank
Le 6 juillet 1915, à La Targette, près de Neuville-Saint-Vaast en Artois, un obus allemand frappe l'abris des officiers de la 6e compagnie. Aucun survivant. Parmi, eux Oscar Frank, avocat parisien et musicien. Deux témoins se rappeleront de ce 6 juillet dont le médecin Pierre Meugé et le talentueux violoncelliste Maurice Maréchal, ami d'Oscar Frank.

le portrait d'Oscar Frank

P
résentation d'Oscar Frank, publiée dans le Livre d'or du barreau de Paris.

Un officier du 274e RI, une amitié avec Maurice Maréchal
Avant la Guerre, Oscar Frank était avocat parisien et passionné de musique. En juin 1915, Frank est affecté au 28e RI, venant du 274e RI où il dirigeait une section au 5e bataillon (17e compagnie).

Couverture de l'ouvrage "Deux musiciens dans la Grande Guerre"

Maurice Maréchal, violoncelliste exceptionnel était brancardier au 274e RI. Il partage avec Oscar Frank une amitié très profonde. Voici ce qu'il écrit dans ce remarquable ouvrage. Ce son des extraits choisis en rapport avec notre sujet :

Dimanche 23 mai 1915
"Passé une bonne soirée avec Oscar dans un petit chemin creux qui se détache de la route de Saulty à gauche en sortant de Barly."

Dimanche 27 mai 1915
"Avons fait courte promenade le soir Oscar et moi."

Vendredi 28 mai 1915
"Oscar a une bien grosse peine : il rencontre hier en marche le 160e, le régiment de son frère Georges. Tout de suite, il demande la 9e compagnie ; il en reste cinq, lui répond-on. Il les trouve dans une petite chambre avec deux sergents et un caporal qui forment le reste de la compagnie. Le 3e bataillon du 160e a attaqué le 22 mai, paraît-il, et la moitié de la 9e, prise de flanc dans un chemin creux par une colonne par quatre, allemande, a été faite prisonnière. Les autres ! Toutes les hypothèses, hélas !"

Mercredi 2 juin 1915
"Hier, j'ai acheté à Doullens deux petits chaussons de laine blanche avec rubans bleus pour la petite fille de Frank. Je les ai envoyés avec quelques marguerites et quelques boutons d'or. Nous avons passé la soirée ensemble sur la route de Coullemont, et c'est fini ; ç'aura été notre dernière soirée. Il est désigné pour partir dans un régiment d'active, au 28e, je crois. Treize officiers du régiment s'en vont ainsi à 2 heures. Contenir mon émotion, ne rien laisser paraître, porter avec résignation sur les épaules le fardeau chaque jour un peu plus lourd : voilà ce qu'il me reste."

Dans le Journal des marches et des opérations (JMO) du 274e RI, on peut lire au 2 juin : "… les mutations suivantes sont prononcées : Passent au 24e Régiment d'infanterie : les lieutenants Delapierre, Collin, les sous-lieutenants Nicolas, Fauquet, Lefebvre et Lecuyot. Passent au 28e régiment d'infanterie, les lieutenants Berlhe et Varin, les sous-lieutenants Franck, Istria, Macqueron, Bazin et Le Bras."

Jeudi 3 juin 1915
"[…] Et je voudrais tant le revoir, bientôt ! Il me semble que, en ce moment peut-être, le 28e s'apprête à partir, que je ne le reverrai plus. Il y a des moments où on ne peut rien faire. Hier je n'ai été capable de rien, à peine de pleurer, mais un malaise infini me comprimait le cœur. Penser que je ne l'ai plus là, à côté de moi, penser qu'il est parti pour toujours. J'ai perdu sa tendresse que je sentais toujours à mes côtés, nos bonnes soirées de chaque jour, son regard franc et bon. Cette sensation d'avoir ici même quelqu'un à qui tout dire, à qui confier absolument tout, ses peines, ses joies et ses douleurs."

Jeudi 3 juin 1915
"Ce matin à 5h30, j'ai eu en me réveillant la sensation de revoir encore une chose déjà vécue. Voilà : il y a un village avec plusieurs routes. Par l'une d'elles, il est parti et je reste seul et je mourrai dans deux mois. […]".

Lundi 7 juin 1915
"Bonnes après-midi passées Frank à Fosseux hier et aujourd'hui. Sommes allés à l'ombre d'une meule à la sortie du village, du côté de Gouy-en-Artois. Contraste extraordinaire entre le calme des prairies ensoleillées qui nous environnaient et la vision des grosses marmites qui arrivaient au loin, et dont la fumée blanche ou noire s'élevait sans interruption sur un point de la plaine. Vu toute une série de photos d'Alice [Note de l'ouvrage : Alice, fille d'Oscar Frank, alors âgée de quelques mois.]"

Samedi 19 juin 1915
"J'ai vu Oscar une petite heure à Fresnicourt, il m'a joué notre Panis angelicus."

Samedi 26 juin 1915
"Ai revu Frank à Frémicourt. Il a reçu devant moi la nouvelle de la mort à peu près certaine de Georges."

Fiche "Mort pour la France " de Georges Frank
Fiche "Mort pour la France" de Georges Frank. Georges était simple soldat au 160e Régiment d'infanterie.
En deux mois, les deux frères Frank vont être tués dans le secteur de Neuville-Saint-Vaast.

Le 6 juillet 1915, le jeune musicien échappe à la mort lors d'un bombardement. Au même moment, un autre obus détruit le PC de la 6e compagnie du 28e RI où Oscar joue aux cartes avec les autres officiers. Oscar est tué.

Samedi 10 juillet 1915
"On me le disait et je ne le croyais pas. Razet, Delpy me l'avaient pourtant affirmé. Jeudi, j'ai été renouveler les pansements à l'arrière. Des soldats du 28e traversaient le terrain. J'ai vu son ordonnance et j'ai vu les tombes ; il est le premier, le capitaine Chamerot à côté, Godes [Gide] le troisième et le quatrième c'est Amiot. Depuis trois jours, je n'ai pu trouver cette faiblesse du cœur malade qui amène les larmes. Je suis presque insensible, je me suis agenouillé sur cette tombe : il était là, me regardant peut-être, et j'ai gratté un peu la terre, et j'ai pris dans un petit bout de papier une fleur de chèvrefeuille séchée que j'avais emportée de Sombrin en souvenir de lui. Le papier et la fleur sont dans la terre, et j'ai égalisé la tombe. Puis je suis reparti. Mon Frank, que te dire, je voudrais te parler. Je ne te verrai plus ! Finis les rendez-vous. Ah ! c'est une page tournée et je t'entends me dire qu'on peut y revenir souvent. C'est cela. Les beaux soirs, par les couchers de soleil, qui demandent le silence, tu seras là et, si je veux, nous resterons tout près l'un de l'autre, la main dans la main. Comme il avait prévu sa mort. Pour moi, en tout cas, elle était certaine. Cher Oscar, adieu les chères promenades à Paris, je n'irai jamais vous prendre au palais et jamais nous ne reviendrons par les quais ensoleillés. Si pourtant. Votre foi proteste. Vous serez là tant que je voudrai. Comme vous êtes ici, à l'instant… et moi aussi, je vous embrasse. M."

Vendredi 23 juillet 1915
"On s'en va aux tranchées demain dans la nuit. Et en permission près de sa petite maman chérie, quand s'en va-ton ? Ai reçu des lettres nombreuses (madame Frank, Jean, Marguerite, Camille). Pendant cette période, j'ai été très peu sur la tombe d'Oscar. Je n'y trouve nulle consolation. Dans la journée on n'est pas seul et le soir j'ai peur : c'est lugubre cette file de croix blanche."

Maurice Maréchal est décédé en 1964. N'hésitez pas à vous procurer cet ouvrage, c'est l'un des meilleurs témoignages de combattants de la Première Guerre mondiale.

La sépulture d'Oscar Frank (Écoivres)
Oscar Frank est enterré au cimetière militaire d'Écoivres (Pas-de-Calais). Photo : Jean-Claude Poncet


Sources :
JMO du 28e RI, JMO du 274e RI.

Remerciements à Stéphan Agosto, Jean-Claude Poncet et Frédéric Videlaine

À lire
- Maréchal (Maurice), Durosoir (Lucien), Deux musiciens dans la Grande Guerre, préface de Jean-Pierre Guéno, présentation par Luc Dorosoir, Tallandier, Paris, 2005. On pourra le commander ici.
- Olivier (Gaston), Afin de ne jamais oublier. Vie et mort d'un poilu héroïquement ordinaire, soldat au 274e RI, commenté par Aalin Chaupin, préface de Stéphan Agosto, Collection "Histoire intime", Éditions Anovi, Parçay-sur-Vienne, 2008.

Liens sur ce site
Raymond Chamerot, tué le 6 juillet 1915
Le JMO du 28e RI en juillet 1915

Et d'autres liens
Maurice Maréchal : photos sur le site de la BNF

Des musiciens dans la Grande Guerre


  accueil