
Dans
les années vingt, un père écrit à l’association des
amis de Notre-Dame-de-Lorette au sujet de son fils, Marius, disparu le 25
septembre 1915 lors de l'offensive d'Artois du bois de la Folie.
Ce jeune homme appartenait à la 9e compagnie, une des rares unités qui
purent franchir les lignes allemandes. Comme de nombreux autres soldats
laissés sur le terrain, il a été
déclaré "disparu" dans le Journal des marches et des opérations du 28e.
Désespéré, monsieur Defond fait parvenir à l'association des documents
permettant l'identification
du corps de son fils. Même après plusieurs années, la douleur est encore très vive, celle
de la perte du fils mais aussi l'incompréhension de la non
reconnaissance officielle de sa bravoure. Chaque témoignage glâné réouvre la blessure du deuil.
Afin de retrouver la dépouille de Marius, il n'hésite pas à
rencontrer les officiers qui l'avaient connu pour connaître le lieu et
les circonstances de sa mort. Voici en exemple la copie de la lettre rédigée
par Charles de Bragelongne, sous-lieutenant de la 9e compagnie.
La lettre de
son sous-lieutenant
Cette lettre signée du sous-lieutenant Charles de
Bragelongne
donne des informations sur les circonstances de la mort
de Marius. Il explique également l'impossibilité de le déclarer mort
officiellement, faute de plusieurs témoins.
"Je connaissais très
bien votre fils
qui était sergent dans la section que je commandais lors de l'attaque
du 25 septembre. Il m'est impossible de vous donner des renseignements
détaillées sur sa disparition.
Je me souviens très
bien qu'après la
relève du régiment, il a été établi un tableau des pertes et un seul
homme [Gustave Robin], tué le 21 février par les gaz asphyxiants dans la région de
Lihons, m'a dit avoir vu tomber votre fils au début de l'attaque à
quelques mètres des tranchées françaises. Il serait d'abord tombé sur
les genoux et aurait aussitôt étendu sur le ventre.
Ce soldat suppose que
votre fils
était mort, n'ayant pu trouver d'autres témoins, on a dû le déclaré
disparu, un acte de décès ne pouvant être dressé qu'avec la signature
de deux témoins.
Aucune section de la
9e Cie n'a été
faite prisonnière, 4 ou 5 hommes au plus de la 3e section ont été pris
à 1500 mètres plus en avant, ils ont d'ailleurs donné de leurs
nouvelles indiquant les noms des camarades faits prisonniers en même
temps qu'eux.
Votre fils commandait
la 2e demi-section de la 4e section.
Je regrette, Monsieur,
que ma lettre
ne vous laisse peu d'espoir, mais je préfère vous dire tout ce que je
savais malgré les ordres qui nous interdisent de répondre directement
aux parents, en souvenir des bonnes relations de camaraderie qui
existaient entre votre fils et moi depuis Berry-au-Bac.
Recevez, Monsieur, mes
salutations les plus sincères.
Charles
de Bragelongne."

Char
En médaillon : photo de Charles de Bragelongne.
Collection : Cyril de Bragelongne.
Le père rencontre l'officier de son fils : "il m'a dit que le soldat Robin,
dont la famille habite Villepreux, Seine-et-Oise, avait vu tomber son
fils et que d'après ses renseignements, celui-ci avait dû être frappé
d'abord à la tête par une ou plusieurs balles de mitrailleuses et que
s'étant affaissé sur les genoux avait dû en recevoir en même temps une
ou plusieurs dans le ventre surlequel il est tombé aussitôt. Ce soldat
a parfaitement compris que mon fils était mort, mais il restait le seul
témoin et en le portant Disparu, c'était légal, je ne dis pas non ;
mais on a fait supporter, à moi-même, comme à sa mère, trois fois la
mort."
Le seul témoin, Gustave Robin sera emporté par les gaz le 21 février 1916 à Maucourt dans la Somme.
Il
n'hésite pas à rencontrer aussi le
lieutenant Virolleau qui commandait la 9e compagnie en janvier 1915 : "Votre
fils est un des braves qui fait très courageusement son devoir, qui
s'est
offert en maintes circonstances pour rempli des missions difficiles et
périlleuses et il est un des rares qui ait gagné ses galons sur le
champ de bataille par son courage et son dévouement. Vous pouvez être
fier de votre fils, il a toujours fait bravement son devoir même à
l'époque de cette fameuse retraite où nous avons tous eu à souffrir et
où nos courages s'amolissaient."
Monsieur Defond arrive ainsi à localiser le lieu où est tombé son fils
et dresse deux plans d'une grande précision :

Localisation du lieu de décès de Marius Defond, 25 septembre 1915.
La croix noire indique le lieu supposé.
La 4e section (de Bragelongne) était commandée par les sergents
Déchelle et Defond.
Comme Gustave Robin, le sergent Déchelle décédera des suites de l'attaque aux gaz du 21
février 1916.
Il joint également un inventaire de ses
affaires et un descriptif presque anthropométrique de Marius permettant une identification formelle du corps. Cette liste est
probablement l'un des documents les plus émouvants de ce fond : le
détail de ses dents, les initiales M.D. brodées sur un mouchoir, un classique de Corneille...

Cliquez sur l'image pour agrandir.
La colère
Dans l'un des courriers adressés à l'association, il fait part de sa colère.
"[…] Et bien, je ne sais si je dois être franc, mon fils n'a obtenu ni
croix de guerre, ni autre, ni médaille militaire, ni diplôme pour la
famille. Toutefois, il m'a été délivré, par complaisance, d'octobre
1920 à avril 1921 un acte déclaratif de décès. Il y a deux ans que j'ai
fait, me trouvant dans le cas prévu, ma demande à titre posthume, de
médaille militaire pour mon fils et de diplôme pour sa famille, il ne
m'a rien été répondu. Cependant une personne de Paris à laquelle
j'avais demandé de voulloir bien s'informer des suites qui avaient été
données à ma demande, vient de m'écrire que l'administration lui avait
répondu que mes demandes "étaient en bonne voie mais comme toutes
choses administratives il faut compter longtemps !" et elle me prie de
ne pas perdre courage. Oui ! mais l'ad-mi-nis-tra-tion ne pense pas que
les vieux pères ne sont pas éternels ici bas. Le peu de cheveux qui
leurs restent blanchissent et leurs forces diminuent de jour en jour
jusqu'à ce qu'ils ferment l'œil. C'est vrai que je ne suis ni député,
ni docteur en médecine et que mon fils travaillait simplement en
qualité de commis à la Banque de France Paris avant son appel sous les
drapeaux d'où il n'a pu me revenir. Comme vous le comprenez par les
détails que je vous ai donnés, il était de la classe qui devait rentrer à
la déclarartion de guerre. Je n'ai pu le revoir que quelques jours
après la Marne. Il avait été en Belqique d'où ils ne sont revenus que
cinq cents environ du 28e Régiment. Il a vu ne revenir que 12 à 15 sur
la compagnie et ses camarades lui ont toujours juré de le suivre
partout il voudrait passer.
Et il nous a dit : " Si je tombe, vous aurez un diplôme. Laissez-moi où je tomberai."
En octobre 1915, Marius fut cité à l'ordre de la 11e brigade. Voici un extrait de cette citation publié dans le JMO du régiment.

Son père recevra cette distinction en avril 1920.
Marius Defond en quelques lignes
Né le 15 février 1891 à Neuville-aux-Bois (Loiret).
Classe 1911. Recrutement de Versailles, n°3850.
Commis à la Banque de France. Habite Versailles (Seine-et-Oise).
Décès déclaré le 28 octobre 1920 en mairie de Versailles.
Son nom figure sur le monument aux morts de Versailles.
Sources
Archives départementales du Pas-de-Calais, cote 42J/150.
Archives départementales des Yvelines, fiche registre matricule de Marius Defond.
En savoir plus
Le JMO du 28e RI en septembre 1915
Les pertes du 28e RI en septembre 1915
Un officier de la 9e compagnie : Charles de Bragelongne
Un énorme remerciements à Alain Chaupin et à Cyril de Bragelongne.
