En août 1914, les frères Lecœur sont dans le même bataillon du 28e RI.
Le 28 août, la bataille de Guise va les séparer.
Voici un témoignage
inédit : deux frères servent ensemble dans le 3e
bataillon du 28e RI.
À la déclaration de la Guerre, André, fait son service militaire à la
caserne d'Évreux. Le 3 août, il sera rejoint par Jacques de la classe
1909.
Les deux soldats vont échapper à la
mort lors de la bataille de Charleroi du 22 août. La suite est
plus
tragique : Jacques, l'aîné, sera tué à Guise.
Voici l'article retranscrit, publié dans Le bulletin de l’Amicale des anciens du 28e RI. 4e trimestre 1978.
"Pour donner une suite à cette rubrique (Cf Bulletin n°97)
nous avons retenu le nom d’un camarade peu connu à
l’Amicale (nous ne l’avons jamais rencontré à
nos réunions) bien qu’il figure parmi les premiers
adhérents de notre association.
André Lecoeur, classe
12, caporal à la 11e compagnie, dont la famille résidait
à Evreux au 72 bis rue de Pannette, puis, plus tard 42, rue
Emile-Landrin à Paris 7e et, depuis quelques années notre
camarade s’est installé à Saint-Etienne-du-Vauvray
27400 Saint-Pierre-du-Vauvray.
Notre ami avait un frère,
Jacques, de la classe 09,
également caporal ; il fut affecté comme
réserviste au 28e RI et, à la mobilisation, versé
dans une autre compagnie.
Tous les deux sont partis d’Evreux au début
d’août 14 pour débarquer à Rethel avec le 3e
bataillon avant de rejoindre le régiment à Amagne dans
les Ardennes.
Les « anciens » se souviennent de ce que fut leur sort au
cours de ces premières semaines, l’entraînement
à la marche qui devait faire de ces jeunes fantassins des hommes
déjà aguerris.
Le 21 août, après une longue marche de nuit, le
régiment prend position en avant de
Fontaine-L’Evêque Belgique, pour couvrir le repli de la
Division de Cavalerie qui nous précédait. Ce n’est
pas encore le contact, mais on le sent proche.
Le 22 au matin, nouvelles missions : défendre un front sur la
Sambre et, après une nouvelle longue étape, le
régiment prend position en avant de
Leernes ; l’ennemi est
signalé et c’est là que nos deux frères
recevront le baptême du feu avec le 3e bataillon seul
engagé et ce premier combat fait apparaître la puissance
de feu et l’importance des effectifs de l’ennemi.
Malgré des pertes sévères nos deux frères
sont épargnés et vont connaître le calvaire de la
retraite, véritable chemin de croix du fantassin, avec ses
longues marches de jour, de nuit, les combats d’arrière
garde, sans repos, sans ravitaillement et toujours reculer.
Le 28 août le régiment change de direction, il fait partie
du groupe d’armées du général Lanrezac et
prend part au combat de
Guise, très discuté par la suite
mais où, pour la première fois l’allemand doit
reculer.
Le choc a été terrible de part et d’autre ; notre
camarade est sauf mais son frère est porté disparu.
La fiche "Mort pour la France" du frère.
Jacques avait fait son service militaire au 155e Régiment d'infanterie.

La famille Lecœur fera paraître la photo de Jacques
dans la revue La recherche des disparus pour tenter d'avoir de ses nouvelles.
Et la retraite continue, impitoyable ; notre ami Raymond Moulin, classe
12, qui appartenait à la 6e, nous a conté ce que furent
ces étapes et l’arrêt avant la Seine, l’ordre
du général Joffre et la remontée vers le Nord.
La victoire de la Marne devait s’arrêter sur l’Aisne
; le 13 septembre, le régiment, avant-garde de la division,
arrive à Loivre, le bataillon de pointe a franchi le canal de
l’Aisne et progresse vers Bermericourt, mais il doit se replier
en toute hâte pour organiser la défense de Loivre
où, pendant cinq jours, il est écrasé par
l’artillerie allemande avant de recevoir l’ordre de se
replier dans la plaine en avant de Villers-Franqueux ; nos amis Chenaud
et Rosier nous ont conté leurs aventures personnelles.
Notre camarade Lecoeur qui a participé à toutes ces
opérations
est gravement blessé par éclats
d’obus dans le
bois de Chauffour [près de Reims] le 28 septembre, il a pu
rejoindre un autre blessé et tous deux atteignent la route 44 ;
il a bien voulu nous conter la suite :
« Je suis resté sur la route 44 pendant six jours, avec la
petite visite d’une patrouille allemande qui s’est
contentée de casser nos fusils sur les arbres.
Avec ce camarade blessé dont je n’ai jamais connu le nom, nous avons pu gagner une maisonnette de cantonnier.

Le bois de Chauffour borde la route nationale 44 au nord-ouest de Reims.
Le cinquième jour mon camarade est mort ; presque inconscient,
j’ai entendu un beau matin parler français,
c’était les brancardiers ; je n’étais pas
sauvé pour autant.
Après bien des transferts, point de chute Périgueux, avec
une gangrène gazeuse, 42° sous le bras. Résultat :
amputation du col du fémur, quatorze centimètres de
raccourcissement, ankylose de la hanche et du genou, scoliose, etc.
Je suis resté neuf mois en traitement avant de rentrer à
Evreux dans ma famille ; mariage en 1919. Si Dieu le veut on arrosera
l’année prochaine nos soixante années de mariage.
Résultat : six arrières petits enfants."
Merci cher ami et compliments ; c’est un beau résultat
pour un fantassin dont, comme tu le dis toi-même, la « peau
» fin septembre 1914, ne valait pas cher.
Ton récit va éveiller bien des souvenirs à nos
anciens de 14 et, parmi eux, ceux qui étaient encore
suffisamment valides pour faire le pèlerinage de Loivre en
septembre 76, nos camarades Chenaud, classe 11, Joyeux, classe 10,
Lemaitre, classe 10, Moulin, classe 11, Rosier, classe 13, Roussel,
classe 13 et madame Domont dont le frère, Maurice Huette, figure
parmi les disparus au cours de ces combats de septembre 14, sans
oublier nos deux amis du RID J.L. Martin, notre nouveau
secrétaire et F. Quadrubli notre jeune porte drapeau et madame
Marcel Boulay qui avait bien voulu nous accompagner."
Certains soldats tués fin
septembre 1914 sont enterrés à la nécropole
nationale de la Maison bleue à Cormicy. Voir la liste ici.
Pour en savoir plus
Remerciement
À la famille Capitant pour la mise à disposition des bulletins de l'amicale du 28e RI.