Bandeau de la page consacrée à Albert Jérôme et à Frédéric Ponselle

Le 25 octobre 1915, Albert Jérôme, capitaine de la 2e compagnie du 28e RI, écrit à l'un de ses sous-lieutenants, Frédéric Ponselle. Celui-ci, malade, a échappé à l'offensive du bois de la Folie. Dans cette lettre, son capitaine lui relate les terribles journées de fin septembre 1915...
Albert Jérôme, capitaine en 28e RI. Photo : famille Capitant
Albert Jérôme est un ancien
du régiment,
il fait partie des derniers officiers
d'août 1914.

Il a connu la Belgique,
la Retraite, Berry-au-Bac
et la peu glorieuse journée
du 26 mai 1915 où sa compagnie
fut décimée dans le Bois carré,
près de Notre-Dame-de-Lorette.
La lettre du capitaine Jérôme. Fond documentaire de Jacques Ponselle Frédéric Ponselle du 28e RI. Photo : Jacques Ponselle

Frédéric Ponselle vivait
à New York en 1914.

Il décida d'abandonner son entreprise et incorpora le 28e RI
en septembre 1914 :
en ferry jusqu'à Southampton
puis en voilier de pêche
jusqu'en France.
Il est sous-lieutenant
depuis juin 1915.
 

Ce remarquable document nous a été communiqué par monsieur Ponselle, fils de Frédéric Ponselle.

25 octobre

Piccaddilly Grill Fith Street
New York  1

Mon cher Ponselle
Tout de suite je suis heureux de vous dire : la 2e est restée digne de la 2e du 26 Mai  2.

Vous connaissez le terrain…  Les quelques heures qui précédèrent l’assaut ce ne fut qu’un roulement effroyable : obus de tous calibres, torpilles sillonnant l’air et explosant avec un bruit terrible. Nous étions 5e vague, quelle ne fut ma surprise de me trouver 1re vague à l’assaut partant de P40 et de voir encore devant nous les fils de fer boches non bouleversés…
Impossible de déboucher : 24e, 3e bataillon, 3e Cie restés dans les sapes 7 – 8 – 9 – 10 – 11 et P’40. 3

Par contre au sud de notre objectif je voyais nos braves troupiers progresser et monter vers l’objectif final. A ce moment le commandant de Montluc à la gauche du bataillon voyant que ses autres compagnies n’avançaient pas sortit du boyau et fut blessé assez grièvement d’une balle au ventre
4.

Détail d'une photo, bois de la Folie, septembre 1915. Photo : Stéphan Agosto

L’attaque de droite étant impossible. [L’ordre ?] fut donné d’aller attaquer la position à revers… par le boyau d’Armagnac après bien des difficultés pour traverser une zone de gaz plus ou moins asphyxiant, je déployais tout le bataillon sur un rang et à 23 heures je réussissais (c’était une veine) dans l’obscurité et en arrière des lignes boches) à cerner la position et à aboutir juste au point prescrit.
Le 26 au soir, Hamelin 5 (en remplacement) de Hiou 6 perdu.. dans q.q. trous d’obus, avec la 1re section, Daufresne avec la 2e donnèrent brillamment l’assaut. .. Hamelin décoré de la Croix de guerre sur le champ de bataille, nommé adjudant, malheureusement ce pauvre Daufresne y est resté.
D’après les derniers renseignements, son corps serait retrouvé 7.
La position conquise, la marche vers l’Est fut reprise, en plaine, le bataillon en colonne en compagnie, les compagnies déployées distance à 40 m environ. Marche sur 500 m sans un blessé, sans un tué !!!
Arrêté par la tranchée des tirailleurs, seul avec la 2e je restais dans le secteur de la 5e division 8. Plus en arrière face aux Boches pendant 3 jours…

[Dessin de la tranchée].

… dans la tranchée construite par nous, d’où mon nom qui lui est donné. Je prenais un dispositif d’attaque, tous ayant la conviction de pouvoir forcer la ligne boche.
Je demandais des grenades, une section en renfort pour me protéger sur ma droite pendant l’opération… Je dus suspendre cette opération et relevé le 3 octobre à 18h l’ordre de faire mon attaque était envoyé lorsque j’étais sur le chemin du retour à La Targette et après ma relève.
Depuis je crois ma tranchée est toujours en tranchée de1re ligne.
Pendant toute ces journées, je n’ai pas eu trop de pertes à déplorer. 15 tués, 16 blessés pas grièvement (Daufresne, Nicourt, Vincent, Olard). 9
Détail d'une photo, bois de la Folie, septembre 1915. Photo : Stéphan Agosto

Saint-Mleu 10 le 26 a eu le poignet, partie superficiele, traversé par une balle, blessure heureuse avec… sourire !
Ce qui a été le plus dur, ce fut la pluie et le froid. 8 jours dans des trous d’obus, mouillés, couverts de boue.
A la suite de ces opérations, Dherse 11 fut décoré de la Légion d’Honneur pour la bonne conduite du 1er bataillon.
Moi même, j’ai demandé au Colonel et à la brigade même distinction pour Obry 12, ce bon vieux (pacifique peut-être) est le seul avec moi, de tout le régiment à avoir su conserver, amener sa compagnie entière partout où on devait se trouver… la croix sera une juste récompense… après 10 mois de campagne toujours au poste…
« Naturellement », votre serviteur a eu les félicitations de la brigade, de la division et est proposé pour une 2e citation… 13
J’espère qu’à ma 3e, vous serez à mes côtés pour obtenir la vôtre car vous êtes l’officier de combat par excellence.
Après 3 jours nécessaires pour réorganisation, nous sommes allés à l’Est d’Arras – puis embarquement-débarquement dans « ma région » 14  pour trouver « Piccaddilly Grill » le paradis de la guerre. En 1re ligne, abris chauffés pour tous, tranchée, boyaux pavés, 2 m de profondeur (fait par des Français !) pas un obus, quelques rares coups de fusil .. !! Le sourire de la 2e s’épanouit plus que jamais. Combien cela durera-t-il ? Au revoir mon cher Ponselle, tous mes vœux pour votre rétablissement définitif et bien cordialement à vous

Jerome.



Voici une carte qui se propose de localiser les différentes étapes du parcours de la 2e compagnie. Les lettres A à E sont les moments importants décrits dans ce témoignage.

La 2e compagnie du 28e RI, bois de la Folie, septembre 1915

Carte réalisée selon la lettre du capitaine Jérôme et le JMO du 28e RI.
Réalisation : V. Le Calvez


À 12h, les hommes de la 2e compagnie (premier bataillon : Ie/28e) sont massés dans la tranchée P3.
Il pleut depuis quelques jours. Les hommes vivent dans la boue.
L'offensive est lancée à 12h20. Au nord des Cinq-Chemins, les premières vagues vont se heurter aux fortins allemands non détruits par l'artillerie.
C'est dans le secteur de la sape 10 que Charles de Tassy de Montluc est blessé.
Le 27 septembre, la 2e compagnie attaque le nord des cinq chemins où des Allemands sont retranchés. La majorité des pertes enregistrées par la compagnie aura lieu à ce moment.
Le 28 septembre, le 1er bataillon lance une attaque vers le bois de la Folie. "Marche sur 500 m sans un blessé, sans un tué !!!"
Voici la localisation de la fameuse tranchée Jérôme. La compagnie va tenir ce secteur durant plusieurs jours.



Décryptage de la lettre


Piccaddilly Grill 1. À cette date, le 28e RI occupe le secteur d’Herleville dans la Somme. Les boyaux menant aux tranchées y ont été baptisées "Ire rue", "IIe rue", ... "Ve rue". Jérôme fait probablement alors un clin d'œil à son adjoint en parlant de "Fith street, Cinquième rue" car il sait probablement qu'il a vécu aux États-Unis. Mai que vaut dire "Piccaddilly Gril" ?
 
la 2e du 26 Mai 2. Le 26 mai 1915, la 2e compagnie est la seule unité qui a pu franchir les lignes allemandes mais a dû revenir à sa tranchée de départ en abandonnant bon nombre de tués, blessés et prisonniers.
Voir le lien ici.
   
sapes 7 – 8 – 9 – 10 – 11 et P’40 3. Il s'agit de l’offensive générale d’Artois d'automne 1915  : une offensive décidée par Joffre pour percer le front.
Le 1er Bataillon (1re, 2e, 3e, 4e compagnies) se trouvait avec le 3e Bataillon derrière le 24e RI. Les tranchées des deux belligérants étaient très proches et l’artillerie n’a pas détruit les premières lignes épargnant plusieurs fortins allemands qui ont alors stoppé la progression du 24e RI.
une balle au ventre 4. Charles de Tassy de Montluc fut effectivement blessé au ventre. Voilà ce qu’écrivait un soldat du 3e bataillon du 28e RI :
« Soudain une forme humaine venant de la plaine s’abat au-dessus même de la sape 10. Quelques mitrailleurs témoins de cette chute tirent le blessé par les pans de sa capote et le font glisser au fond du boyau. C’est le commandant de M…
Sans doute cet officier, voyant que les premières vagues ne débouchaient pas, bien que marchant en 2e ligne, s’est-il élancé en avant, en tête de son bataillon. Il est là, blême, grièvement frappé d’une balle au ventre. On s’empresse autour de lui. Son maréchal des logis accourt, un infirmier l’accompagne. Avec d’infinies précautions, le blessé est tiré par les pieds vers P.4. Sa canne et sa gourde demeurent sur le sol… »
 
Hamelin 5. Ernest Hamelin : un adjudant de la 2e compagnie. Il sera blessé à Verdun le 1er juin 1916.
 
Hiou 6. Lors de cette offensive, beaucoup de soldats se sont perdus et sont restés dans les trous d’obus ne savant pas où étaient les Allemands ou les Français ! On s’imagine alors la détresse des blessés.
Adrien Hiou est  un autre adjudant de la 2e compagnie. Il passera à la compagnie de mitrailleurs n°3 au printemps 1916. Il sera fait prisonnier le 1er juin 1916 à Verdun. 
     
son corps serait retrouvé 7. Tédéard Daufrêne repose dans la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette (tombe 8558, carré 47). Voici sa fiche "Mort pour la France".
 
la 5e division 8. Dès le début de l'offensive, les unités se sont mélangées. Ainsi, dès le 25 septembre au soir, il y avait des groupements de soldats de plusieurs régiments : 28e RI, 24e RI, 74e RI, 36e RI et 129e RI. Tous ces régiments sont composés essentiellement de Normands et de Parisiens.
 
Daufresne, Nicourt, Vincent, Olard 9. Il s'agit des soldats suivant : Tédéard Daufresne, Èmile Nicourd, Georges Vincent et Octave Olard.
Albert Jérôme a-t-il donné uniquement les noms des soldats de la section de Frédéric Ponselle ?
Selon le JMO du 28e RI, la 2e compagnie compta 15 tués, 7 disparus (dont deux vont renter d'un hôpital) et 40 blessés (dont deux vont décéder des suites de leurs blessures).
 
Saint-Mleu 10.  Henri Saint-Mleux est sous-lieutenant depuis le 2 juin 1915. Blessé en avril 1916 à Verdun, il reviendra en octobre 1917 pour commander la 9e compagnie. Dans les années soixante, il sera le futur président d'honneur de l'amicale du 28e RI.
   
Dherse 11. Henri Dherse est un ancien du régiment où il commandait la 1re section de mitrailleuses en août 1914.
Il sera fait prisonnier le 31 juillet 1917 sur le Chemin des Dames. Il reviendra au régiment en 1919.
   
Obry 12. Marie Obry est arrivé au 28e le 16 novembre 1914, où, lieutenant, il dirige la 4e compagnie. Passé capitaine le 13 février 1915, il sera mis à la disposition du ministère en février 1916 pour un emploi à l'intérieur. Suite à l'offensive du bois de la Folie, il recevra la Légion d'honneur le 14 octobre 1915.
  
une 2e citation 13. Albert Jérôme sera cité à l'ordre de l'armée.
 
ma région 14. L'auteur de la lettre est originaire de la Somme. Il est né le 5 mars 1878 au Bosquel, commune située en Beauvais et Amiens.

Frédéric Ponselle avec sa chienne Rita
Frédéric Ponselle en 1917 avec sa chienne Rita.
Photo : collection Jacques Ponselle.


Le lieutenant Ponselle retrouvera sa compagnie et le capitaine Jérôme...

à suivre...


Remerciements :
- Jacques Ponselle pour ces documents mais aussi pour sa gentillesse, sa cordialité et sa disponibilité.
- Stéphan Agosto, passionné par le destin des hommes du 74e RI, régiment normand qui a tant donné devant le bois de la Folie. Le cliché utilisé pour cette page provient du fond documentaire de Stéphan Agosto. Il a été pris à Neuville-Saint-Vaast en septembre 1915 et montre toute l'horreur de cette guerre.

Pour en savoir plus :
- le JMO du 28e RI, septembre 1915
- l'offensive du bois de la Folie par un combattant du 3e bataillon du 28e RI
- les pertes du bois de la Folie : la troupe - les officiers


Historique du 28e RI  accueil