Bandeau de la page concernant l'offensive de la Folie en 1915

L'offensive du bois de la Folie vue par un fantassin du 3e bataillon du 28e RI
Prodrome   -   Montée en ligne   -  Veillée d'armes  -   25 septembre   -   26 septembre    -   27 septembre   -   28 septembre 1915


Article extrait de la revue L’Officier de réserve, recueil mensuel d’études et de renseignements militaires, n°3, 15e année,
Édition des écoles de perfectionnement, mars 1936, p. 97.


 
Cet article dont l'auteur est anonyme, retrace les combats menés par le 3e bataillon et plus particulièrement des soldats de la 12e Compagnie. 
- C’était en 1915, dit-il.
- La plus sale année de la guerre.
Georges Gaudy : les galons noirs

I. Prodromes
A la fin d’août 1915, le 3e Bataillon du 28e régiment d’infanterie est au repos à Petit-Houvin (Pas-de-Calais). Si l’on en croit de vagues rumeurs, une grande offensive est en préparation. Quelques officiers, retour de Saint-Pol, affirment que le « grand coup » est proche. Dans les boutiques les mieux achalandées de cette localité, siège du Q.G. de la Xe Armée, d’aimables vendeuses ont fait des confidences assez troublantes… Ces bruits d’une vaste opération prochaine reçoivent vite confirmation. Tout d’abord, le 31, après une brève prise d’armes, le général Joffre, à Mézières (1), s’est fait présenter les officiers de la division. Le général commandant en chef, qu’accompagnent de nombreux généraux dont le général Foch, a posé mille questions et cette curiosité n’a pas été sans intriguer. Certaines conversations ont été entendues et rapportées.
Tandis que sur le front des troupes le généralissime interroge et que le temps passe, un vif dialogue s’engage entre le colonel P…, commandant la 12e Brigade, et le colonel L…, commandant le 5e régiment d’infanterie. « L’objectif de ma Brigade est la cote 140 ! », dira le colonel P… – La Cote 140 ! c’est la fameuse cote au sud de Givenchy-en-Gohelle. Toutes les troupes qui combattent en Artois depuis mai connaissent ce môle puissant, devant lequel tant d’efforts sont demeurés vains. Une nouvelle fois, la crête Vimy-la-Folie va faire l’objet d’une offensive de grand style. Il n’est plus possible de douter des intentions du Haut Commandement.
De nouveaux indices viennent vite d’ailleurs confirmer les desseins du GQG.
Au lendemain de la revue de Mézières, le commandant du bataillon, le commandant H… [Hislaire] reçoit un nombre anormal de cartes et de plans directeurs qui portent tous une inscription fatidique : Neuville-Saint-Vaast. Bien que le destinataire de ces documents révélateurs se tient volontairement à l’écart et ne souffle mot, il est surpris, à plusieurs reprises, en train d’examiner avec attention des photos d’avions et croquis. Le commandant est un chef unanimement aimé et obéit. Aucune question indiscrète ne lui est posée ; commandants de compagnie et chefs de section n’en sont pas moins fixés. L’heure de la bataille est proche.

Le 5 septembre, un des coins du voile se lève. Le commandant remet à l’un des officiers du bataillon un plan des cinq-chemins, avec ordre de représenter sur le terrain les organisations allemandes qui ont fait de ce lieu un centre de résistance redoutable.
« Nous pourrions, ajoute-t-il sans commentaire, être appelés à attaquer sur ce point du front ».
Trois jours après, aux lisières de Petit-Houvin, au milieu des luzernes et des champs de betteraves, le bataillon pouvait aborder les Cinq-Chemins, la baïonnette haute… Inutile de dire que, malgré tous les mètres cube de terre remués, il avait été impossible de représenter en de si courts délais ce dédale compliqué de tranchées, de boyaux à demi obstrués, de barricades éventrées, ni surtout de donner une idée exacte de cette vaste étoile de chemins naturellement profonds, que les Allemands avaient creusés comme des carrières, pour y accumuler mille défenses. Seule l’imagination pouvait meubler de réseaux de fil de fer, de chevaux de frise, de trous d’obus ce paysage charmant d’Artois épargné par la guerre… Quoi qu’il en soit, tout le régiment, bataillon par bataillon, vint « répéter » l’attaque des Cinq-Chemins. Le 24e régiment d’infanterie, cantonné à Sibiville, pris également part à ces séances. Le général B… [Boulangé], commandant la Brigade, fit aux troupes l’honneur de sa présence.


Détail du monument aux morts de Neuville-Saint-Vaast
Détail du monument aux morts de Neuville-Saint-Vaast.
Il montre la composition des Corps engagés dans le secteur de Neuville.
Le 28e RI et le 24e RI appartiennent à la 6e Division commandée par le général Jacquot.
Photo : V. Le Calvez

Le 12 septembre, les officiers du régiment, sont convoqués au château d’Houvin-Houvigneul, quartier général de la division, pour être présentés au général d’Urbal, commandant l’armée. Tous les officiers de la division sont là, rassemblés dans les vastes salons du château. La tenue est brillante, digne du cadre. Si ce n’était la présence insolite d’une carte fixée au mur ou d’un téléphone garé sur une cheminée, entre deux ravissants bibelots, on se croirait loin de la guerre, à quelques réception officielle.
Vers 15 heures, l’auto du général d’Urbal s’arrête devant le perron du château. À peine entré, le commandant de l’armée, qu’accompagne le général commandant le 3e Corps d’armée, se fait présenter un à un les officiers de la division. Cette prise de contact achevée, le général d’Urbal donne l’ordre de fermer les portes, puis prend la parole :
« J’attends de vous, dit-il en substance, un gros effort. La Xe armée va attaquer sur un front de 40 kilomètres, en liaison au Nord avec l’armée britannique… Vous allez disposer de moyens formidables. L’opération projetée en Artois ne sera toutefois pas la principale ; une autre plus importante encore sera exécutée sur un autre point du front… Je compte spécialement sur votre énergie, sur celle des officiers du 3e Corps à qui encombrera une des tâches les plus délicates. Je vous invite à soigner l’entraînement de vos hommes, à les préparer à la grande poussée en avant qui va se déclencher, sans toutefois les mettre au courant des opérations envisagées, afin de garder sur tous ces projets le secret le plus absolu… Vous saurez, en temps utile, la date du grand événement..»
Sur ces mots, le général d’Urbal congédia l’assistance.

Le 15 septembre, une nouvelle réunion des officiers du régiment, plus intime cette fois, a lieu à Nuncq, au P.C.  du colonel. Le général B…[Boulangé], commandant la 11e Brigade, et le général J… [Jacquot] sont présents. Les officiers reçoivent de la bouche même du commandant de la 6e Division certaines indications complémentaires. La 11e brigade attaquera par régiments successifs, le 24e RI en tête. Chaque régiment formera deux vagues d’assaut. Les quatre vagues de la brigade, disposées préalablement dans des parallèles de départ situées le plus près possible de la première ligne ennemie et en cours d’aménagement, s’élanceront à l’attaque à la même heure. Des liquides enflammés seront projetés quelques instants avant l’assaut. L’artillerie appuiera le mouvement en avant de l’infanterie par un tir d’obus incendiaires et asphyxiants. Des concentrations particulièrement violentes s’abattront sur le château et les bois de la Folie. Des unités de cavalerie, accompagnées de batteries volantes, suivront la progression de l’infanterie en marche vers la cote 140.

Plan du secteur de Neuville-saint-Vaast, août 1915
Le 28e RI connait bien le secteur car il a tenu le village (complétement détruit) en juillet et en août 1915.
Cliquez sur le plan pour l'agrandir.
Plan : V. Le Calvez


Dans les bataillons, un intense travail de réparation commence, que vient alimenter une masse énorme de cartes et de plans de toute espèce généreusement envoyés par l’autorité supérieure. La passionnante brochure du capitaine Laffargue   sur l’attaque est l’objet d’une étude des plus attentives. Commandants de compagnie et chefs de section puisent dans le remarquable ouvrage de cet officier l’espérance des succès futurs.

Le 19 septembre, le général Foch arrive en automobile à Petit-Houvin, accompagné des généraux J… [Jacquot] et B… [Boulangé] L’ancien commandant de la 9e armée n’est guère connu des troupes du 3e corps. En cette année 1915, sa réputation n’est pas encore parvenue jusqu’à elles.
Le général Foch longe d’un pas rapide le front du bataillon et, s’adressant à quelques commandants de compagnie, pose diverses questions. L’extrême vivacité de sa parole surprend. La troupe mise au repos, le général appelle à lui les officiers, évoque à son tour l’offensive prochaine. Il parle avec de tels éclats de voix qu’à n’en pas douter tous les hommes du bataillon doivent l’entendre ; peut-être est-ce là son secret désir : « Il va falloir, s’écrie-t-il, agir par submersion, ne pas s’arrêter, inonder les tranchées allemandes d’une mer de baïonnettes, ne s’attarder devant aucune résistance, pousser à fond droit devant soi. »
Ce discours achevé, le général Foch quitte Petit-Houvin à toute vitesse, comme il est venu. Son « dynamisme » a laissé chacun sous le coup d’une impression considérable.

Ce même jour, parviennent au bureau du chef de corps des instructions détaillées concernant la tenue, le matériel à emporter. Rien n’est oublié : matériel de protection contre les gaz, panneaux de jalonnement, fanions-signaux pour correspondre avec l’artillerie, etc. Le 20 au soir, arrive l’ordre de mise en route. Une revue de départ est passée. Armes, campement, outils sont inspectés avec soin. Pour la première fois, date historique pour le régiment, le bataillon reçoit des casques, ce qui donne lieu à des divertissants essayages. Les hommes, qui maintenant savent à quelle grosse action ils vont prendre part, ne cachent pas un certain enthousiasme. L’espérance d’en finir est réelle. Pourtant, les officiers sont graves.
Le commandant H… [Hislaire] passe devant chaque compagnie et, en quelques paroles bien frappées, annonce ce que l’on attend du soldat. Quand la nuit arrive, une fois ces préparatifs terminés dans une atmosphère qui rappelle la mobilisation, le bataillon cherche en vain le sommeil. La fièvre longtemps empêche de fermer les yeux.

Achille Hislaire, commandant du 3e bataillon du 28e RI
Achille Hislaire, commandant du 3e bataillon du 28e RI.
Hislaire sera tué le 25 septembre 1915.


Notes :
1. 11e brigade, 6e division, 3e corps d’armée.
2. 13 kilomètres sud-est de Saint-Pol.
3. Étude adressée au général Foch.


La suite : la montée en ligne

Remerciements chalheureux à Alain Chaupin pour avoir découvert ce texte.


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