Cet
article dont l'auteur est anonyme, retrace les combats menés par
le 3e bataillon et plus particulièrement des soldats de la 12e
Compagnie.
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- C’était en 1915, dit-il.
- La plus sale année de la guerre.
Georges Gaudy : les galons noirs
I. Prodromes
A la fin d’août 1915, le 3e Bataillon du
28e régiment d’infanterie est au repos à
Petit-Houvin (Pas-de-Calais). Si l’on en croit de vagues rumeurs,
une grande offensive est en préparation. Quelques officiers,
retour de Saint-Pol, affirment que le « grand coup » est
proche. Dans les boutiques les mieux achalandées de cette
localité, siège du Q.G. de la Xe Armée,
d’aimables vendeuses ont fait des confidences assez
troublantes… Ces bruits d’une vaste opération
prochaine reçoivent vite confirmation. Tout d’abord, le
31, après une brève prise d’armes, le
général Joffre, à Mézières (1),
s’est fait présenter les officiers de la division. Le
général commandant en chef, qu’accompagnent de
nombreux généraux dont le général Foch, a
posé mille questions et cette curiosité n’a pas
été sans intriguer. Certaines conversations ont
été entendues et rapportées.
Tandis que sur le front des troupes le généralissime
interroge et que le temps passe, un vif dialogue s’engage entre
le colonel P…, commandant la 12e Brigade, et le colonel
L…, commandant le 5e régiment d’infanterie. « L’objectif de ma Brigade est la cote 140 ! »,
dira le colonel P… – La Cote 140 ! c’est la fameuse
cote au sud de Givenchy-en-Gohelle. Toutes les troupes qui combattent
en Artois depuis mai connaissent ce môle puissant, devant lequel
tant d’efforts sont demeurés vains. Une nouvelle fois, la
crête Vimy-la-Folie va faire l’objet d’une offensive
de grand style. Il n’est plus possible de douter des intentions
du Haut Commandement.
De nouveaux indices viennent vite d’ailleurs confirmer les desseins du GQG.
Au lendemain de la revue de Mézières, le commandant du bataillon, le commandant H… [Hislaire]
reçoit un nombre anormal de cartes et de plans directeurs qui
portent tous une inscription fatidique : Neuville-Saint-Vaast. Bien que
le destinataire de ces documents révélateurs se tient
volontairement à l’écart et ne souffle mot, il est
surpris, à plusieurs reprises, en train d’examiner avec
attention des photos d’avions et croquis. Le commandant est un
chef unanimement aimé et obéit. Aucune question
indiscrète ne lui est posée ; commandants de compagnie et
chefs de section n’en sont pas moins fixés. L’heure
de la bataille est proche.
Le 5 septembre, un des coins du voile se lève. Le commandant
remet à l’un des officiers du bataillon un plan des
cinq-chemins, avec ordre de représenter sur le terrain les
organisations allemandes qui ont fait de ce lieu un centre de
résistance redoutable.
« Nous pourrions, ajoute-t-il sans commentaire, être appelés à attaquer sur ce point du front ».
Trois jours après, aux lisières de Petit-Houvin, au
milieu des luzernes et des champs de betteraves, le bataillon pouvait
aborder les Cinq-Chemins, la baïonnette haute… Inutile de
dire que, malgré tous les mètres cube de terre
remués, il avait été impossible de
représenter en de si courts délais ce dédale
compliqué de tranchées, de boyaux à demi
obstrués, de barricades éventrées, ni surtout de
donner une idée exacte de cette vaste étoile de chemins
naturellement profonds, que les Allemands avaient creusés comme
des carrières, pour y accumuler mille défenses. Seule
l’imagination pouvait meubler de réseaux de fil de fer, de
chevaux de frise, de trous d’obus ce paysage charmant
d’Artois épargné par la guerre… Quoi
qu’il en soit, tout le régiment, bataillon par bataillon,
vint « répéter » l’attaque des
Cinq-Chemins. Le 24e régiment d’infanterie,
cantonné à Sibiville, pris également part à
ces séances. Le général B… [Boulangé], commandant la Brigade, fit aux troupes l’honneur de sa présence.
Détail du monument aux morts de Neuville-Saint-Vaast.
Il montre la composition des Corps engagés dans le secteur de Neuville.
Le 28e RI et le 24e RI appartiennent à la 6e Division commandée par le général Jacquot.
Photo : V. Le Calvez
Le 12 septembre, les officiers du régiment, sont
convoqués au château d’Houvin-Houvigneul, quartier
général de la division, pour être
présentés au général d’Urbal,
commandant l’armée. Tous les officiers de la division sont
là, rassemblés dans les vastes salons du château.
La tenue est brillante, digne du cadre. Si ce n’était la
présence insolite d’une carte fixée au mur ou
d’un téléphone garé sur une cheminée,
entre deux ravissants bibelots, on se croirait loin de la guerre,
à quelques réception officielle.
Vers 15 heures, l’auto du général d’Urbal
s’arrête devant le perron du château. À peine
entré, le commandant de l’armée,
qu’accompagne le général commandant le 3e Corps
d’armée, se fait présenter un à un les
officiers de la division. Cette prise de contact achevée, le
général d’Urbal donne l’ordre de fermer les
portes, puis prend la parole :
« J’attends de
vous, dit-il en substance, un gros effort. La Xe armée va
attaquer sur un front de 40 kilomètres, en liaison au Nord avec
l’armée britannique… Vous allez disposer de moyens
formidables. L’opération projetée en Artois ne sera
toutefois pas la principale ; une autre plus importante encore sera
exécutée sur un autre point du front… Je compte
spécialement sur votre énergie, sur celle des officiers
du 3e Corps à qui encombrera une des tâches les plus
délicates. Je vous invite à soigner
l’entraînement de vos hommes, à les préparer
à la grande poussée en avant qui va se déclencher,
sans toutefois les mettre au courant des opérations
envisagées, afin de garder sur tous ces projets le secret le
plus absolu… Vous saurez, en temps utile, la date du grand
événement..»
Sur ces mots, le général d’Urbal congédia l’assistance.
Le 15 septembre, une nouvelle réunion des officiers du
régiment, plus intime cette fois, a lieu à Nuncq, au
P.C. du colonel. Le général B…[Boulangé], commandant la 11e Brigade, et le général J… [Jacquot] sont
présents. Les officiers reçoivent de la bouche même
du commandant de la 6e Division certaines indications
complémentaires. La 11e brigade attaquera par régiments
successifs, le 24e RI en tête. Chaque régiment formera
deux vagues d’assaut. Les quatre vagues de la brigade,
disposées préalablement dans des parallèles de
départ situées le plus près possible de la
première ligne ennemie et en cours d’aménagement,
s’élanceront à l’attaque à la
même heure. Des liquides enflammés seront projetés
quelques instants avant l’assaut. L’artillerie appuiera le
mouvement en avant de l’infanterie par un tir d’obus
incendiaires et asphyxiants. Des concentrations particulièrement
violentes s’abattront sur le château et les bois de la
Folie. Des unités de cavalerie, accompagnées de batteries
volantes, suivront la progression de l’infanterie en marche vers
la cote 140.
Le 28e RI connait bien le
secteur car il a tenu le village (complétement détruit)
en juillet et en août 1915.
Cliquez sur le plan pour l'agrandir.
Plan : V. Le Calvez
Dans les bataillons, un intense travail de réparation commence,
que vient alimenter une masse énorme de cartes et de plans de
toute espèce généreusement envoyés par
l’autorité supérieure. La passionnante brochure du
capitaine Laffargue sur l’attaque est l’objet
d’une étude des plus attentives. Commandants de compagnie
et chefs de section puisent dans le remarquable ouvrage de cet officier
l’espérance des succès futurs.
Le 19 septembre, le général Foch arrive en automobile
à Petit-Houvin, accompagné des généraux
J… [Jacquot] et B… [Boulangé] L’ancien
commandant de la 9e armée n’est guère connu des
troupes du 3e corps. En cette année 1915, sa réputation
n’est pas encore parvenue jusqu’à elles.
Le général Foch longe d’un pas rapide le front du
bataillon et, s’adressant à quelques commandants de
compagnie, pose diverses questions. L’extrême
vivacité de sa parole surprend. La troupe mise au repos, le
général appelle à lui les officiers, évoque
à son tour l’offensive prochaine. Il parle avec de tels
éclats de voix qu’à n’en pas douter tous les
hommes du bataillon doivent l’entendre ; peut-être est-ce
là son secret désir :
« Il va falloir, s’écrie-t-il, agir par submersion,
ne pas s’arrêter, inonder les tranchées allemandes
d’une mer de baïonnettes, ne s’attarder devant aucune
résistance, pousser à fond droit devant soi. »
Ce discours achevé, le général Foch quitte
Petit-Houvin à toute vitesse, comme il est venu. Son «
dynamisme » a laissé chacun sous le coup d’une
impression considérable.
Ce même jour, parviennent au bureau du chef de corps des
instructions détaillées concernant la tenue, le
matériel à emporter. Rien n’est oublié :
matériel de protection contre les gaz, panneaux de jalonnement,
fanions-signaux pour correspondre avec l’artillerie, etc. Le 20
au soir, arrive l’ordre de mise en route. Une revue de
départ est passée. Armes, campement, outils sont
inspectés avec soin. Pour la première fois, date
historique pour le régiment, le bataillon reçoit des
casques, ce qui donne lieu à des divertissants essayages. Les
hommes, qui maintenant savent à quelle grosse action ils vont
prendre part, ne cachent pas un certain enthousiasme.
L’espérance d’en finir est réelle. Pourtant,
les officiers sont graves.
Le commandant H… [Hislaire] passe
devant chaque compagnie et, en quelques paroles bien frappées,
annonce ce que l’on attend du soldat. Quand la nuit arrive, une
fois ces préparatifs terminés dans une atmosphère
qui rappelle la mobilisation, le bataillon cherche en vain le sommeil.
La fièvre longtemps empêche de fermer les yeux.
Achille Hislaire, commandant du 3e bataillon du 28e RI.
Hislaire sera tué le 25 septembre 1915.
Notes :
1. 11e brigade, 6e division, 3e corps d’armée.
2. 13 kilomètres sud-est de Saint-Pol.
3. Étude adressée au général Foch. |