Bandeau de la page concernant l'offensive de la Folie en 1915

L'offensive du bois de la Folie vue par un fantassin du 3e bataillon du 28e RI
Prodrome   -   Montée en ligne   -  Veillée d'armes  -   25 septembre   -   26 septembre    -   27 septembre   -   28 septembre 1915

 

Article extrait de la revue L’Officier de réserve, recueil mensuel d’études et de renseignements militaires, n°3, 15e année,
Édition des écoles de perfectionnement, mars 1936, p. 97.


 
Cet article dont l'auteur est anonyme, retrace les combats menés par le 3e bataillon et plus particulièrement des soldats de la 12e Compagnie. 
II. Montée en ligne

Le 21 septembre, le bataillon est lent à s’éveiller.
Pourtant de nombreux préparatifs restent à achever. On y met la dernière main dans un ordre parfait.

A 10 heures, l’escadron divisionnaire, en tenue de campagne complète, passe au grand trot dans le village. Décidément, la cavalerie sera bien de la fête, comme on l’a annoncé. A 15 heures, le bataillon s’embarque  en camions, tandis qu’au loin la canonnade, qui ne cesse depuis dix jours, fait trembler le sol. Les cœurs sont ragaillardis, la troupe est admirable de confiance et d’allant. En avant !

A 18 heures, le bataillon débarque à la sortie Ouest de Mont-Saint-Éloy. Les compagnies, couvertes de poussière, se jettent dans un enclos où broutent quelques chevaux d’artillerie. Il faut attendre la nuit pour songer à se rapprocher des lignes. Dans les bois tout proches règne une grande animation. De lourds canons, dissimulés dans les buissons, ne cessent de tirer. Le vacarme est assourdissant. Vers l’Est, de nombreuses fusées s’allument dans le ciel de Neuville-Saint-Vaast ; mais le bruit des « départs » et des colonnes de ravitaillement qui passent à toute allure couvre la respiration puissante du front. Comme toujours, les hommes profitent de cet arrêt pour « casser la courte ». L’obscurité la plus complète règne bientôt. Un coup de corne retentit. Dociles, les sections courent aux faisceaux et le bataillon s’ébranle lourdement, en colonne par un, dans un bruit étouffé de faux pas et de campement mal arrimé. Pour la dernière fois, le commandant H… [Hislaire] prend la tête de son magnifique bataillon.

Le poste de secours, Mont-Saint-Éloy
Le poste de secours, Mont-Saint-Éloy, juin 1915. François Flameng.
Le fils de François Flameng était caporal au 28e RI.

La traversée de Mont-Saint-Éloy ne se fait pas sans à coups. La rue centrale monte. Elle est parcourue en tout sens par de nombreux camions, se déplaçant sans crier gare, tous feux éteints. Point n’est besoin des quelques lueurs qui filtrent au fond des caves pour se rendre compte qu’une activité intense règne en ces lieux depuis la chute du jour. A chaque arrêt forcé —et Dieu sait s’il y en a – de brefs commandements font serrer la colonne. Des isolés, bonnet de police sur la tête, appartenant à toutes ces formations diverses qui meublent les arrières du champ de bataille, arrêtés sur le seuil des maisons, pour la plupart meurtriers, du village, regardent en silence ces ombres pesantes qui cheminent. C’est l’infanterie qui monte.
Un peu de lune paraît. Les faibles lueurs qu’elle projette éclairent un instant les fameuses tours déjà si mutilées. Mais si ce n’est pas le moment de s’apitoyer sur ces dévastations ; le bataillon pointe vers Berthonval, oblique vers le sud par un chemin de terre défoncé et poussiéreux, s’arrête, s’ébranle à nouveau, stoppe encore. Ordre est donné à voix basse de mettre sac à terre, les hommes s’allongent sur les bas-côtés. On attend, attentif au moindre mouvement… D’autres troupes sans doute doivent précéder le régiment.
Un grand silence s’est fait. D’une part, Mont-Saint-Eloy et ses encombrements sont dépassés ; d’autre part, les lignes ennemies sont à plus de 4 kilomètres. A cette heure, enfin, comme sur un signal d’un invisible chef d’orchestre, les artilleurs se sont tues. C’est à peine si, de temps en temps, quelques éclairs bruyants animent la nuit vers Souchez. Seules, d’éternelles fusées piquent dans le ciel et jalonnent le front.
Le carrefour 800 mètres Sud-Ouest de Berthonval marque l’origine d’un des boyaux desservant le secteur de Neuville-Saint-Vaast. Le bataillon, qui a repris le mouvement, y pénètre homme par homme. La masse vivante des compagnies est aspirée lentement par ce conduit filiforme, sinueux et noir, qui éventre la plaine. Cette fois, le boyau des Ponts, que le 28e avait laissé en août, étroit et impraticable, est maintenant une voie d’accès élargie et confortable. Des écriteaux ont été placés à chaque carrefour, les puisards sont soigneusement creusés. Les troupiers enregistrent ces détails avec satisfaction et en déduisent que l’offensive a été bien préparée.
Tout à coup, une violente fusillade éclate vers Écurie. Mille fusées multicolores jaillissent de terre.  En se haussant sur les caillebotis, les plus grands peuvent à la dérobée jour d’un spectacle féérique. Barrage ! Allongez le tir ! Toutes ces demandes, exprimées en langage de feu par les deux adversaires au contact, provoquent sans délai l’intervention rageuse des artilleries. Les 75, dissimulés entre Mont-Saint-Éloy et La Targette, donnent de la voix et illuminent la plaine, tandis que l’incendie gagne peu à peu vers Neuville-Saint-Vaast et Souchez. Tout se calmera bientôt ; une fausse alerte de plus, sans doute !
Cependant, les Allemands bombardent avec leur artillerie lourde de la route de Béthune, si reconnaissable à sa belle rangée d’arbres, et le bataillon doit s’arrêter encore. Il lui faut attendre une vingtaine de minutes la fin du tir… La colonne repart ; mais cette fois c’est la course. Homme par homme, les compagnies franchissent au galop la fameuse route, qu’une herbe rare recouvre. L’air est encore saturé d’explosifs et de poussière roussie. Pas de pertes, mais la troupe commence à peiner. Il est près de minuit quand le bataillon, après une marche épuisante à travers mille tranchées et boyaux, arrive enfin en ligne. Les premières lueurs du jour paraissent bientôt derrière la Folie. Il a fallu toute une nuit pour parcourir moins de 6 kilomètres !


La suite :
Veillée d'armes

En savoir plus :
Lire le JMO du 28e RI : août  - septembre 1915

Remerciements chalheureux à Alain Chaupin pour avoir découvert ce texte.
Cette page est dédiée à mon ami Frédéric de Mont-Saint-Éloy.


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