Bandeau de la page concernant l'offensive de la Folie en 1915

L'offensive du bois de la Folie vue par un fantassin du 3e bataillon du 28e RI
Prodrome   -   Montée en ligne   -  Veillée d'armes  -   25 septembre   -   26 septembre    -   27 septembre   -   28 septembre 1915


Article extrait de la revue L’Officier de réserve, recueil mensuel d’études et de renseignements militaires, n°3, 15e année,
Édition des écoles de perfectionnement, mars 1936, p. 97.


 
Cet article dont l'auteur est anonyme, retrace les combats menés par le 3e bataillon et plus particulièrement des soldats de la 12e Compagnie. 
Le 27 septembre

0 heure – Voici le capitaine F… [Frémont] Depuis la mort du commandant H…[Hislaire], c’est lui qui a pris le commandement du bataillon. Il annonce qu’un coureur vient de lui apporter l’ordre d’attaquer. Le capitaine F… [Frémont] est un officier dont la force de caractère et le coup d’œil sur le terrain sont légendaires au régiment. Il jouit de la confiance de tous.
« Attaquer, soit, mais où sommes-nous et où l’ennemi ? » murmure-il.
Plusieurs commandants de compagnie l’entourent. Chacun s’efforce de scruter les ténèbres. Par malheur, le ciel est complètement voilé, et les fusées allemandes lancées d’on ne sait où, se font de plus en plus rares.
« L’ennemi est là, dit le capitaine F… [Frémont], le bras tendu dans la direction du Nord-Est. Nous allons prendre notre position de départ et démarrer ensuite. »
L’ordre est immédiatement exécuté. Les compagnies, depuis longtemps immobiles, escaladent les parapets, sortent de la tranchée, se déploient en terrain libre.
« Baïonnette au canon ! » Dans le plus grand silence, les sections s’ébranlent, progressent, enjambant morts et blessés. Combien de mètres ont été ainsi parcourus ? Nul ne le saura jamais… ! Soudain la première vague hésite et s’arrête. Un immense fossé noir barre la progression du bataillon. C’est un chemin creux (1). Le capitaine F… [Frémont] ne veut pas engager son unité dans ce gouffre sans l’avoir fait reconnaître.
Une patrouille envoyée aussitôt signale que le chemin est inoccupé. D’un bloc, le bataillon s’y porte et se déploie le long du rebord opposé. On remet de l’ordre dans les unités ; les serre-files reprennent leur place. Après ce court répit, toute la ligne va surgir de cette base de départ et s’avancer au coude à coude sur l’ennemi.
Pendant que ces mouvements préparatoires s’exécutent, le capitaine F… [Frémont] et le lieutenant C… [Chéron], commandant la 12e Compagnie, que cette situation extraordinaire inquiète, se sont détachés résolument en avant et écoutent. Des balles sifflent ; des fusées allemandes s’élèvent. Chose curieuse, ces fusées ne sont pas dirigées vers l’est, vers le bataillon, mais vers l’ouest ; de plus, les balles qui passent ne font pas le bruit caractéristique des projectiles allemands.
Aucun doute n’est possible : l’ennemi, bien qu’aux trois quarts encerclé, tient toujours la partie Nord des Cinq-Chemins. En l’abordant par l’arrière, le bataillon va tomber sous le feu du 24e qui, dans l’obscurité de la nuit, ne manquera pas de prendre le bataillon pour une contre-attaque. Le capitaine F… décide que pour l’instant, le bataillon ne tentera aucun assaut. Une méprise sanglantes est à nouveau évitée.

Photo du lieutenant Chéron du 28e RI
Photo d'Henri Chéron.
Le lieutenant Chéron commande la 12e compagnie depuis le 31 mai 1915.


Ces événements confus ont occupé la nuit. Voici les premières lueurs du jour. Par une chance prodigieuse, cette partie du chemin creux a été si approfondie par l’ennemi, quand il occupait la position, qu’elle est défilée aux vues d’un observateur situé sur la crête de Vimy et à la cote 140. On y jouit d’une sécurité relative. Ordre est néanmoins donné d’entamer les parois avec les outils portatifs, pour y aménager des abris individuels. Les hommes se mettent au travail avec ardeur. Plusieurs entrées de sapes sont dégagées ; de nombreux cadavres de soldats allemands, des armes, des caisses de munitions sont exhumés. L’artillerie française a fait là du bon travail.
Le capitaine F… [Frémont] décide de se donner de l’air. A gauche, une première patrouille tente en vain de rechercher la liaison avec  le 24e. A droite du bataillon, c’est-à-dire en suivant le chemin creux vers l’est, vers K., le terrain paraît libre. Il faut en profiter. Quelques officiers partent en reconnaissance. Le chemin dont le fond s’élève à mesure qu’on monte vers la cote 140, est truffé d’abris pulvérisés. De nombreux paniers d’obus couvrent le sol. Voici à n’en pas douter, l’emplacement d’une pièce d’artillerie avancée. Le canon a été retiré ; les appareils de pointage son demeurés sur le sol. Dans une alvéole ménagée au flanc de la paroi, deux minenwerfer de 305 millimètres, abandonné, tournent vers le ciel leur gueule puissante. L’un deux est encore chargé.
Au fur et au mesure que la patrouille progresse, elle découvre avec quel luxe les Allemands s’étaient installés dans ce secteur. Ici, ce sont des abris spacieux équipés de lits confortables, là des dépôts de vivres contenant du pain, des confitures, des conserves, des flacons d’eau de vie. Tout dénote que les maîtres de ces lieux ont fui avec la plus grande hâte, sans avoir eu le temps d’emporter ou de détruire quoi que ce soir. Le P.C. du commandant des minen est découvert. Lui-même est là (2), dans un abri au plafond crevé, enfoncé dans un fauteuil, un pied sur un banc, la jambe raide, le téléphone à portée de la main : le malheureux bien que mort semble vivant. Un peu de sang a giclé de ses narines. Au-delà de ce P.C., de nombreux éboulis laissent deviner d’autres abris effondrés et enfouis sous les terres. Plus loin, des tombes avec inscription allemande en lettres gothiques : « Ici reposent six héros du 133e régiment d’infanterie… », rappellent que l’armée française sait aussi donner de rudes coups.
Cependant la patrouille ne peut s’attarder à dresser l’inventaire de ces découvertes. Il lui faut poursuivre. Le chemin creux monte, de moins en moins encaissé. Encore quelques mètres, et les hommes étonnés se trouveront en terrain libre.
Le soleil s’est levé, radieux. Une brume légère s’échappe pourtant des bois de la Folie et, à un kilomètre, masque la crête de Vimy. Le canon s’est tenu ; la fusillade a cessé. La nature s’éveille, indifférente au drame de la nuit. A n’en pas douter, Français et Allemands, épuisés par la lutte, remettent de l’ordre dans leur dispositif et reconstituent leurs forces.
Le capitaine F…[Frémont], toujours désireux d’éparpiller son monde, pour le soustraire le plus possible aux coups de l’artillerie, étire le bataillon vers le nord-est. Sur son ordre, une barricade est dressée au point d’extrême atteint par la patrouille. La détente est générale. Jusqu’à midi, chacun s’ingénie à découvrir les abris utilisables et à les dégager. Les conserves allemandes trouvent de nombreux preneurs. Le bruit court que le commandant de bataillon a reçu des félicitations pour sa manœuvre de la nuit. Saura-t-on jamais à quel massacre fratricide ont échappé le 24e et le 28e ? Grâce à du matériel allemand récupéré, une ligne téléphonique est hâtivement posée entre le P.C. du bataillon et celui du colonel. Les quelques encourageantes paroles que peut adresser le colonel R… [Roller] réconfortent les cœurs.

Photo d'E. Capitant et de L. Roller
Voici les photos des deux lieutenants-colonels du 28e RI de 1915.
E. Capitant a été blessé le 26 mai 1915.
Son fils, Jean, est présent au 28e RI et assiste aux combats du Bois de la Folie...


18 heures. Il fait presque nuit. De gros nuages obscurcissent le ciel. Des allées et venues mystérieuses sont signalées dans le chemin creux vers N’. On se porte aux nouvelles. Deux compagnies du régiment appartenant à un autre bataillon arrivent, sous le commandement du capitaine D…[Dherse], avec ordre de réduire la résistance allemande qui s’obstine au nord du carrefour des Cinq-Chemins. Les officiers chargés de mener l’opération se concertent. L’affaire est délicate. Comme l’avait constaté le capitaine F… [Frémont] durant la nuit, toute action par le feu risque de causer des pertes au 24e, toujours dans P.40. Pourtant l’honneur exige d’en finir avec cette poignée d’hommes qui, depuis près de 48 heures, arrête la 11e brigade.
Il est décidé que la compagnie D…[Dherse], progressant dans la plaine, abordera l’ennemi par derrière, tandis que l’autre compagnie s’infiltrant par le chemin creux, agira à la grenade.
Au signal, les hommes de la compagnie D…[Dherse], qu’une vive fusillade accueille, démarrent, puis refluent bientôt. Ils racontent que les Allemands, bien abrités dans une tranchée intacte, ont eu l’audace de leur crier de se rendre. Bien que tout le monde ait fait son devoir et que plusieurs officiers soient tombés, c’est l’échec. Comment, sans artillerie, espérer venir à bout d’un adversaire encastré dans le sol et invisible derrière ses parapets ? A gauche, la compagnie qui opère a semblé hésiter. Des jurons, des cris de « En avant ! En avant ! » retentissent. Un clairon sonne le refrain du 28e ; puis celui du 24e. Seuls les plus courageux s’élancent sans succès à l’assaut de la barricade. Ici encore on ne peut lutter sans canon.
Avec le jour s’achève l’affligeant spectacle de notre impuissance. La pluie tombe. Les hommes n’ont d’autre ressource que de se figer dans la boue, la toile de tente sur la tête, pareils à des pleureuses funèbres. A la nuit, dans le chemin creux, les allées et venues reprennent ; le désordre s’accuse.

A 21 heures, ordre est donné à un officier du bataillon de prendre la tête d’une forte reconnaissance, pour s’assurer si la tranchée Nietzche est oui ou non occupée par l’ennemi. Il est complété presque aussitôt : le bataillon tout entier ira se déployer devant la fameuse tranchée. Sous la pluie, dans une impénétrable obscurité, les compagnies se rassemblent. Les hommes, malgré la lassitude et le sommeil, se groupent sans un bruit derrière leurs chefs. Le lieutenant C…[Chéron], couvert par quelques éclaireurs, prend la tête du mouvement. Bien conduite, la colonne cheminant avec sage lenteur au fond du chemin creux, suit l’itinéraire de la patrouille envoyée le matin même par le capitaine F… [Frémont] La barricade est franchie. Voici la plaine. Ordre est donné à mi-voix de se déployer de part et d’autre du sentier. Le mouvement s’exécute. Les hommes se couchent dans l’herbe trempée face au nord-est. Personne ne sait où est l’ennemi. Quelques rares fusées s’élèvent vers la Folie.

Notes :
1. On s’apercevra au jour que ce chemin creux n’était pas autre chose que le prolongement du chemin des Carrières. Le bataillon se trouvait alors vers le point M’.
2. Et M’’.

Plan du secteur de la Folie
Plan publié dans l'article.


La suite : 28 septembre 1915

En savoir plus :
Lire le JMO du 28e RI : août  - septembre 1915

Remerciements chalheureux à Alain Chaupin pour avoir découvert ce texte.


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