Bandeau de la page concernant l'offensive de la Folie en 1915

L'offensive du bois de la Folie vue par un fantassin du 3e bataillon du 28e RI
Prodrome   -   Montée en ligne   -  Veillée d'armes  -   25 septembre   -   26 septembre    -   27 septembre   -   28 septembre 1915


Article extrait de la revue L’Officier de réserve, recueil mensuel d’études et de renseignements militaires, n°3, 15e année,
Édition des écoles de perfectionnement, mars 1936, p. 97.


 
Cet article dont l'auteur est anonyme, retrace les combats menés par le 3e bataillon et plus particulièrement des soldats de la 12e Compagnie. 
III. Veillée d’armes

Le secteur des Cinq-Chemins – cote 123 n’est inconnu pour le bataillon, qui l’a occupé de longues semaines le mois précédent. Cependant, officiers, sous-officiers et soldats, une fois franchi le chemin des Pylones  (1), éprouvent quelque difficulté à se reconnaître. La physionomie des lignes françaises est, en effet, profondément modifiée. Au départ du 28e, la première ligne passait à plusieurs centaines de mètres des tranchées allemandes ; cette fois, à la suite des travaux entrepris par la 130e division, les deux adversaires sont au contact. De nombreuses sapes, reliées entre elles par des parallèles portant les désignations suivantes : P. 60, P. 40 et précédées elles-mêmes d’antennes creusées en sape russe, ont été construites. L’ancienne première ligne (P.4) fait figure de ligne de soutien. Les vagues d’assaut devront jaillir de ces différentes parallèles. Le dispositif d’attaque est inscrit sur le terrain.

Carte du secteur des Cinq-Chemins
Carte du secteur des Cinq-Chemins, refaite selon les cartes du JMO du 28e RI.
Sur cette carte, on peut répérer les différentes lignes de tranchées : P.4, P.40 et P.60.
Cliquez pour agrandir. Carte : V. Le Calvez


Une rapide reconnaissance des lieux permet à chacun de s’orienter. Le bataillon est dans P. 40. En avant de lui et sous sa protection immédiate, les hommes du 24e creusent des sapes russes avec ardeur. Il y a là, en avant de l’ancienne première ligne, une accumulation d’hommes vraiment extraordinaire et il est impossible que les Allemands, dont les créneaux sont à quelques mètres, ne se doutent pas de ces préparatifs. L’ennemi se charge d’ailleurs de rappeler sa présence. De temps en temps, un coup de fusil bien ajusté ébrèche un sac à terre ou fracasse la tête d’un imprudent.

A 6 heures, il fait tout à fait jour ; le temps est heureusement au beau. Tandis que quelques guetteurs veillent, le reste du bataillon s’efforce de réparer les fatigues de la nuit.  Hélas ! P. 40 n’offre pas les commodités de l’ancienne première ligne ; aucune niche n’y a été aménagée, il est impossible de s’étendre et l’on doit dormir assis, en dépit des allées et venues incessantes des corvées.

A midi, tout le monde est réveillé. L’artillerie française exécute des tirs massifs sur les organisations allemandes. Le bois de la Folie brûle. Cependant, le bombardement semble négliger la première ligne ennemie. Comment d’ailleurs notre artillerie pourrait-elle tirer sur cet objectif sans atteindre l’infanterie amie qui creuse dans des sapes ? Les Allemands semblent profiter d’ailleurs largement de cette situation pour refaire tout à leur aise leurs tranchées les plus avancées. Par dessus la bigarrure de leurs sacs de terre, on voit de larges pelletées de terre sauter en l’air.

A 16 heures, le chef d’escadron D…, du 11e d’Artillerie, qu’accompagnent un sous-lieutenant et un aspirant, passe dans le secteur et se fait préciser, entre deux observations, la situation des éléments en contact. Sa présence réconforte. Elle prouve que l’infanterie ne sera pas lancée à l’attaque sans appui.

A la nuit, quelques mouvements de remise en ordre s’effectuent dans le bataillon. Certaines compagnies sans doute à cause des abris inutilisables, sont reportées vers P.4, l’ancienne première ligne. Ces déplacements ont-ils été aperçus ? toujours est-il que quelques 150 bien ajustés tombent dans P. 60. Plusieurs hommes sont blessés.

A minuit, brusque réveil pour la compagnie de réserve du bataillon. Cette unité reçoit l’ordre d’aller enlever les fils de fer entre P.4 et P. 60. Il faut alerter les hommes qui ronflent dans les gourbis. A voix basse, chacun est mis au courant de la tâche à accomplir ; puis, le parapet vite enjambé, les cisailles fonctionnent sans bruit. La lune, heureusement voilée par des nuages de plus en plus nombreux, éclaire par instant la scène. Des balles siffles, des fusées indiscrètes s’élèvent. Il faut sans cesse se figer en un interminable garde à vous ou se jeter au sol, la face contre terre. Malgré toutes les précautions prises, le sous-lieutenant G… [Galtier] de la 10e Compagnie et le caporal B… [Bignet], de la 12e, sont mortellement frappés. Vers deux heures du matin, la mission étant terminée, les abris sont réoccupés. La troupe se rendort.

Jean Galtier, sous-lieutenant au 28e RI
Jean Galtier est arrivé au 28e RI en tant qu'aspirant en avril 1915.
Tué ce 23 septembre, il est enterré dans le cimetière d'Écoivre. Voir sa sépulture.


Fiche "Mort pour la France" du caporal Bignet
Voici la fiche "Mort pour la France" du caporal Bignet.
Auguste Bignet avait 24 ans. Il appartenait à la 12e Compagnie.

Le 23 septembre, le bombardement des lignes allemandes reprend, dès le jour, avec vigueur. La canonnade durera toute la journée. Cette fois, l’artillerie de tranchée est de la partie. Les hommes suivent avec curiosité la trajectoire basculante des torpilles. Le tir paraît bien ajusté. De nombreux avions français patrouillent dans le ciel. Dans P.4, P. 60 et P. 40, c’est toujours l’entassement de la veille. Voici même de nouveaux visages. Ce sont d’abord des hommes du génie qui, après avoir pris possession des sapes russes, glissent sous les fils de fer ennemis des charges de cheddite. Les explosions commenceront à la nuit. P.4, où pleuvent à verse des débris de toute sorte et des blocs de terre, est abandonné un instant. Le vacarme est assourdissant : les nerfs sont soumis à une rude épreuve. Voici, enfin, les équipes spéciales chargées de projeter sur l’ennemi des liquides enflammés. La mise en place de leur matériel paraît bien compliquée. Ce renfort de choix n’a guère de chance.

Vers minuit, un orage éclate. Tandis que le bombardement continue, des éclairs sillonnent le ciel, la pluie tombe, les tranchées sont pleines d’eau. A une heure du matin (24 septembre), brève accalmie. Le bataillon essaye de dormir. Cette attente de l’heure H éprouve singulièrement la troupe.

A 13 heures, ordre est reçu d’évacuer non seulement la première ligne, mais encore P. 60 et P. 4. L’artillerie lourde va enfin prendre à partie la première ligne ennemie et le carrefour des Cinq-Chemins. Les compagnies se réfugient dans les places d’armes. En peu d’instants, tout le front allemand n’est qu’une succession de volcans. Les éclatements succèdent aux éclatements ; c’est à peine si, dans la fumée et la poussière, on peut distinguer les formidables défenses de l’adversaire.

A 16 heures, le bombardement augmente soudain d’intensité ; de nombreux éclats, chauds comme des braises, percutent en deça de P.4 ; des sacs de terre, des pieux sont projetés dans tous les sens. Serait-ce l’attaque ? Le bataillon n’a pas d’ordre ; les Allemands par contre déclenchent le barrage. Un obus de gros calibre anéantit toute une section dans un abri. Vers 17 heures, tout se tait, la première ligne est réoccupée. De nombreux coups courts l’ont frappée et de gros travaux sont nécessaires pour la remettre en état. En face, les Allemands ripostent toujours à coups de fusil et de mitrailleuse. On espérait le silence…

A 18 heures, il pleut. A 19 heures, le personnel des équipes de lance-flammes fait à nouveau son apparition. A 22 heures, le 24e RI, relève le 28e I.
Le 25 septembre sera donc le jour J.

Note :
1. Chemin reliant Neuville-Saint-Vaast au Cabaret rouge.


La suite : l'attaque, le
25 septembre

En savoir plus :
Lire le JMO du 28e RI : août  - septembre 1915

Remerciements chalheureux à Alain Chaupin pour avoir découvert ce texte.


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