Bandeau de la page concernant l'offensive de la Folie en 1915

L'offensive du bois de la Folie vue par un fantassin du 3e bataillon du 28e RI
Prodrome   -   Montée en ligne   -  Veillée d'armes  -   25 septembre   -   26 septembre    -   27 septembre   -   28 septembre 1915


Article extrait de la revue L’Officier de réserve, recueil mensuel d’études et de renseignements militaires, n°3, 15e année,
Édition des écoles de perfectionnement, mars 1936, p. 97.


 
Cet article dont l'auteur est anonyme, retrace les combats menés par le 3e bataillon et plus particulièrement des soldats de la 12e Compagnie. 
Le 25 septembre

Le 25 septembre, dès l’aurore, une animation extraordinaire règne dans le secteur. Ce ne sont qu’allées et venues incessantes : officiers des 24e et 28e en reconnaissance, corvées de territoriaux apportant des grandes ou du matériel sanitaire, etc. Le bataillon effectue vers le Nord, vers la cote 123, un glissement de quelques centaines de mètres. Le 24e régiment d’infanterie occupe P. 60 et P. 40. Le 28e se masse dans P. 4. Selon les apparences, l’attaque ne saurait tarder, mais personne ne sait au juste quand la brigade va se ruer sur l’ennemi. Pour l’instant, le bombardement des lignes allemandes continue avec une grande violence. L’artillerie de tranchée donne à plein. Les hommes essayent de manger, mais ces déplacements latéraux, destinés sans doute à mettre les unités face à leurs objectifs, empêchent d’ouvrir la moindre boîte de conserve. L’air, assourdi par le vacarme des explosions, chargés de terre et de soufre, est irrespirable.

Voici le commandant de M…[de Montluc ?], du 24e. Beaucoup d’officiers du 28e où il a, voici quelques mois, exercé un commandement, le connaissent et vont à lui. « L’attaque, dit-il, aura lieu à 12h25. » Il est 11h35. (1)

Le bataillon n’a pas encore envoyé d’ordres. Les compagnies vont-elles déboucher de P.4 ou bien, après la sortie du 24e, vont-elles prendre leur départ dans P. 60 ? Il est à craindre que le passage de P.4 en P.60 par des sapes étroites ne ralentisse le mouvement en avant. C’est pourtant ce qui semble se réaliser. Une poussée venue on ne sait d’où entraîne la compagnie vers la première ligne, par des boyaux desservant P. 60.

Le dispositif d'attaque du 25 septembre 1915
Voici une proposition de schéma du dispositif d'attaque du 25 septembre 1915.
Les bataillons du 28e RI se trouvent derrière le 24e RI.
Cliquez sur l'image pour agrandir. Schéma : V. Le Calvez

Pour l’instant, au sein même des unités, toute liaison est devenue impossible. Officiers, sous-officiers, caporaux et soldats, tout est confondu. Les hommes genoux contre genoux. Le fusil entre les jambes, sont accroupis sur leur sac. L’encombrement est à son comble. Aucun commandement n’est possible. Dans ce dédale inextricable de tranchées, sous ces trajectoires sifflantes où chacun est enterré vivant, comment voir sa troupe et être entendu d’elle ? Cependant l’enthousiasme est grand. Le bruit court que les Anglais ont pris l’offensive et occupé Loos. Cette nouvelle exalte le moral.

12h25. Avec un bruit de jet d’eau un liquide jaune s’élève de P.40. Les lance-flammes entrent en action. Tous les trente mètres environ, des morceaux d’amadon incandescents, projetés en l’air par d’invisibles bras, voltigent en direction des tranchées allemandes.
Vers Neuville et au delà – le terrain légèrement en pente permet d’observer cette partie du secteur – c’est le même spectacle. Une forte odeur de goudron saisit la gorge.
Bien que par endroits, en avant de la première ligne, d’énormes flammes jaillissent et soulèvent d’épaisses colonnes de fumée noire. Il semble que l’incendie ne s’est pas propagé partout, notamment devant les Cinq-Chemins.
Du côté allemand, une fusillade nourrie s’élève. Sa violence surprend. De nombreuses balles ricochent. Même au fond des sapes, il faut se faire tout petit. Les minutes passent sans que faiblisse le feu ennemi. Tous en déduisent instinctivement que le mouvement vers P. 60 est arrêté. De fait, les compagnies sont toujours embouteillées en colonne par un dans les sapes. Serait-ce l’échec ? Personne n’ose le dire, mais il suffit de regarder les visages pour voir l’incertitude atroce qui les crispe.
Soudain une forme humaine venant de la plaine s’abat au-dessus même de la sape 10. Quelques mitrailleurs témoins de cette chute tirent le blessé par les pans de sa capote et le font glisser au fond du boyau. C’est le commandant de M…
Sans doute cet officier, voyant que les premières vagues ne débouchaient pas, bien que marchant en 2e ligne, s’est-il élancé en avant, en tête de son bataillon. Il est là, blême, grièvement frappé d’une balle au ventre. On s’empresse autour de lui. Son maréchal des logis accourt, un infirmier l’accompagne. Avec d’infinies précautions, le blessé est tiré par les pieds vers P.4. Sa canne et sa gourde demeurent sur le sol…
Cependant la sape 10 ne se décongestionne toujours pas et le mouvement vers l’avant semble à jamais enrayé. Un cri venant de l’avant circule de bouche en bouche : « Des cartouches ! Des cartouches ! » Les hommes angoissés transmettent le message comme des automates. Que se passe-t-il ? Qui lance cette demande incompréhensible ? Impossible de savoir ni même de voir. Un commandant de compagnie décide de prélever quelques paquets de cartouches sur les dotations individuelles. Maintenant ce sont des grenades que l’on réclame… On entend, de fait, des explosions en première ligne. Quelques caisses envoyées de P.4 passent de main en main.
« Des renforts allemands arrivent dans la plaine ! », crie-t-on tout à coup. Les plus calmes s’opposent à la propagation d’une telle nouvelle. Sans d’énergiques interventions, le désordre pourrait dégénérer en panique.
La fusillade s’est un peu calmée. Ordre est transmis de reculer. Les compagnies refluent dans P.4. Elles y trouvent le maréchal des logis B…, agent de liaison du chef de bataillon H… [Hislaire] Le visage décomposé, le sous-officier réclame avec une grande force le capitaine F… [Frémont], commandant la 10e Compagnie [la 12e Compagnie ?] :
« Le commandant vient d’être tué » s’écrie-t-il.
A l’annonce de cette nouvelle, plusieurs hommes sanglotent… La disparition du commandant H… pèsera sur le bataillon pendant toute la campagne.

Achille Hislaire à Berry-au-Bac
Une photo originale : Achille Hislaire à Berry-au-Bac.
Le capitaine Roch sera également blessé lors de l'offensive du bois de la Folie.
Photo : collection de la famille Capitant


Un obus de gros calibre percute P.4. Le sergent M. est enseveli. On le dégage, le malheureux a perdu l’usage de la parole. Un silence étrange règne maintenant sur ce coin du champ de bataille. Les hommes, résignés, ce sont affalés dans la tranchée ; beaucoup ferment les yeux. Un caporal se précipite :  « Nous avançons à droite, regardez », s’écrie-t-il. De fait, au sud-est des Cinq-Chemins, à 8 ou 900 mètres, on distingue nettement quelques fantassins amis, qui baïonnette au canon, enjambent des tranchées et filent au pas gymnastique en direction de la Folie. On suit ces braves. On voudrait les appuyer, les rejoindre, se jeter dans la brèche d’autant qu’un renfort ne paraît les suivre.
Vers la Folie, des fanions rouges, mus par des mains françaises se balancent d’un mouvement lent et régulier. A n’en pas douter, nos éléments avancés réclament de l’aide et le bataillon est toujours dans P.4, bloqué, inutilisé, sans chef !


Plan du secteur du Bois de la Folie, le 25 septembre 1915 à 16h
Plan du secteur du Bois de la Folie, le 25 septembre 1915 à 16 heures.
Les soldats agitant des fanions rouges appartiennent peut-être aux 9e et 10e compagnies du 28e RI
qui ont réussi à percer les premières lignes allemandes.
Plan : V. Le Calvez

Tandis que le jour s’achève sur cette tragédie, la pluie commence à tomber. Les tranchées se transforment en ruisseaux, il n’est plus possible de demeurer assis. Quelques blessés, d’une pâleur effrayante, passent : à les croire, P.40 est pleine de sang.
L’explosion d’un obus lacrymogène est le seul indicent de cette fin de journée. De nombreux hommes, non encore habitués à ce genre de projectile, s’échappent en criant. Il faut menacer pour être obéi. Ordre est reçu de passer la nuit sur place. Chacun s’organise et se case dans P.4, tandis que reprend le bombardement des lignes allemandes.

Note personnelle :
1.
 S'agit-il du commandant Charles de Tassy de Montluc appartient au 28e RI et non pas au 24e RI. Il dirige le 1er bataillon depuis le 19 juillet 1915.


La suite : 26 septembre

En savoir plus :
Lire le JMO du 28e RI : août  - septembre 1915

Remerciements chalheureux à Alain Chaupin pour avoir découvert ce texte.


Cliquez sur le drapeau pour aller à la page consacrée au 28e RI   accueil