Bandeau de la page concernant le dernier combat du 28e RI

19 octobre 1918
Le dernier combat du 28e RI raconté par André Garanger, 2e compagnie
Quelques jours avant   -  
19 octobre, 10 h   -  Maxim et brancardiers  -   Retrait et contre-attaque

Articles extraits de Fantassins du 28e, Bulletin de l'amicale des anciens combattants des 28e RI,
228e RI et 18e RIT, numéros 95 à 98, 1978.

 


Cet article signé "Un ancien jeune"
relate le dernier combat
du 19 octobre 1918
dans le camp de Sissonne
(département de l'Aisne).
Il concerne surtout la 2e compagnie
du 28e RI (1er bataillon).
Troisième partie : Maxim et brancardiers

"Nous avons interrompu notre récit alors que les 2ième et 3ième Compagnies étaient parvenues à mi-chemin de leur objectif final (la route de Sissonne-la selve) en dépit de pertes cruelles causées par des mitrailleuses qui les prenaient dé flanc.

Les sections de tête de la 2ième compagnie occupent la petite carrière qu'elles ont prise, mais il s'avère rapidement qu'elles ne pourront aller au-delà car des angles morts les isolent de leurs voisins. Où est le 119ième RI à leur droite et la 3ième Cie à leur gauche ? Notre artillerie est devenue étrangement silencieuse ; après avoir « arrosé » les fantassins bleu horizon, elle ne semble pas vouloir déranger ceux d'en face. Alors?

Alors il faut demeurer sur place, à l'abri des balles et s'installer défensivement. Les mitrailleurs qui se sont rendus nous ont laissé un des leurs, blessé au pied. Leur léger abri est rapidement fouillé, mais les « souvenirs » à emporter sont rares ; qui a fait main-basse sur les jumelles à prismes de l'adjudant et les lunettes Zeiss des mitrailleuses ? Près du jeune allemand, le caporal Louvel 1 (blessé alors qu'il portait secours au sergent Epinette) est étendu très pâle, une lettre de sa femme entre les mains. D'autres blessés se sont blottis dans un trou où ils attendent résignés.

1. Gaston Louvel sera cité à l'ordre de la Division le 3 novembre 1918 ainsi qu'Albert Épinette, tué ce 19 octobre.

Les deux mitrailleuses ont fait demi-tour et sont maintenant en batterie face au nord. Un rapide examen montre qu'elles sont intactes et l’une d’elles va le prouver en vidant plusieurs bandes sur l’une de ses « sœurs » qui protège la ferme Macquigny, objectif du 119ième R.I.

plan de la ferme Macquigny
Plan du secteur datant du 24 octobre 1918. On voit la localisation de la ferme Macquigny.
Merci à Jean-François Martin.

L’artillerie ennemie n’a pas tardé à régler son tir […] bombardera sans arrêt avec des 105 et des 150, ne s’arrêtant que […] les pièces. A ce concert viendront bientôt se mêler les minenverfer, avec […] dont les sinistres « roucoulements » annoncent l’arrivée.
Pour se protéger, les hommes creusent la paroi tandis que la Maxim s’en prend de nouveau à une de ses anciennes camarades. C’est alors qu’arrive le capitaine Emo qui commande la compagnie. Demeuré avec le soutien, et le bruit ayant couru que son seul officier a été tué, il vient  se rendre compte, sur place, de la situation de ses sections de première ligne : sa stupéfaction est grande d’apercevoir son sous-lieutenant aux « commandes » de la mitrailleuse allemande. Émouvante rencontre ! Sans se soucier du bombardement, il décongestionne l’endroit en disposant deux ou trois groupes de combat sur le terre-plein, dans des trous d’obus ; puis il profite d’une accalmie pour repartir, emportant sur son dos le caporal Louvel.

Un obus de 130 éclate si près des deux mitrailleuses qu’il en renverse une en crevant son radiateur, la rendant ainsi inutilisable. La seconde, intacte, reprendra le tir à son compte. Cependant, le bombardement s’intensifie. L’abri des mitrailleurs allemands est démoli. Un obus éclate tout près du creux où sont blottis les blessés, les épargnant tous. Des obus à gaz intoxiquent quelques hommes ; bien que déconseillés, le sergent Paynel 2 part vers le poste de secours ; à peine a-t-il franchi quelques dizaines de mètres qu’il tombe mortellement blessé. Un agent de liaison Hauguel, est grièvement atteint au bras en tentant d’arriver jusqu’à nous.


La fiche "Mort pour la France" du sergent Paynel
2. Fiche "Mort pour la France" du sergent Paynel.
Désiré Paynel est décédé à l'ambulance de Beaurieux le 20 octobre.


Soudain, un 130 éclate dans le trou dans lequel se trouve le sergent Girard 3 avec une équipe de FM.
On a la conviction que les quatre occupants sont tués quand surgissent trois formes jaunes, hurlant de douleur et aveuglées. On les appelle et elles viennent à nous, comme des fous, l’un à cloche-pied, tirant sa jambe ensanglantée ; parmi eux : Neveu et Ozenne. Le sergent n’est pas là ; il a dû être tué sur le coup car aucune plainte ne nous parvient. Deux hommes : Vergé et Givernaud sont chargés de porter un bref compte rendu avec demande d’envoi de brancardiers. Ils remplissent leur dangereuse mission avec bonheur car à peine une demi-heure s’est elle écoulée qu’apparaît un singulier cortège : en tête, l’adjudant Bourdet brandissant le drapeau de la Croix-Rouge ; derrière, une colonne de brancardiers avec Dupont, agent de liaison de la compagnie, qui nous apprend que le capitaine Émo vient d’être blessé par les mitrailleurs qui nous firent tant de mal le matin et qui sont revenus dans leur « nid » sans être inquiétés ni par la 3ième compagnie, ni par le 3ième bataillon : ils tuèrent Lemonnier et firent d’autres blessés dont le brancardier Chesnier.

La fiche "Mort pour la France" de Jules Lemonnier
La fiche "Mort pour la France" du sergent Girard
3. Fiche "Mort pour la France" de Jules Lemonnier.
3. Fiche "Mort pour la France" du sergent Girard.
Il
sera cité à l'ordre de la Division le 3 novembre 1918.


Pendant que les grands blessés sont placés sur les civières, Bourdet 4 veut s’assurer qu’il n’oublie personne. Brandissant de nouveau le drapeau de la Croix-Rouge, il sort de la carrière et, debout, à découvert, regarde autour de lui : l’ennemi ne tire pas. Il appelle et avance de quelques mètres pour apercevoir le cadavre de Girard et revient. Les brancardiers ne sont pas assez nombreux ; deux hommes sont désignés pour les accompagnés qui emporteront deux blessés sur leur dos, dont le jeune Allemand à qui deux questions avaient été posées : son âge (18 ans) et la signification des fusées que l’on apercevait dans les lignes ennemies, de plus en plus fréquemment. Est-ce parce qu’il apparaissait plus jeune encore qu’un poilu (peut-être celui qui voulu l’achever) lui avait apporté dans l’après-midi un morceau de pain et à boire ?

4. Augustin Bourdet est né le 26 août 1886 à Bosc-Roger (Eure). Il recevra cinq citations en 1914-1918 dont une citation à l'ordre de l'Armée. Habitant Bécon-les-Bruyères (Hauts-de-Seine), il décédera le 26 avril 1961.

Et le douloureux convoi s’en va, sous la protection de la Croix-Rouge, tandis que parmi ceux qui restent certains pensent sûrement : « Les veinards, la guerre est finie pour eux ».

Un ancien jeune."


La suite :
Retrait et contre-attaque

En savoir plus :
Le Journal des marches et des opérations du 28e RI : octobre 1918
L'encadrement du 28e RI : octobre 1918
Les souvenirs d'André Garanger : août 1918

Remerciements chalheureux à la famille Capitant, Brigitte Gouesse et à Jean-François Martin.


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