Cet article signé "Un ancien jeune" relate le dernier combat du 19 octobre 1918 dans le camp de Sissonne (département de l'Aisne). Il concerne surtout la 2e compagnie du 28e RI (1er bataillon). |
Quatrième partie : Retrait et contre-attaque "Nous reprenons notre récit alors que, au milieu de l’après-midi, l’adjudant Bourdet et des brancardiers sont venus chercher les blessés pour les transporter au poste de secours. Bourdet, nous l’avons dit, était sorti de la carrière en brandissant le drapeau de la Croix Rouge attaché à sa canne et les Allemands avaient alors interrompu leurs tirs. L’ayant vu repartir avec sa sanglante escorte, ont-ils pensé que les survivants étaient peu nombreux et à leur merci ? C’est probable, car c’est plus violemment encore que 105, 150 et « minnen » reprennent « l’arrosage » de la carrière et de ses abords. Un adjudant mitrailleur du 119e RI arrive jusqu’à nous, blessé au pied ; il a perdu tous ses hommes, tués ou blessés, et ses deux pièces sont restées sur place ; nous tenterons d’aller les chercher à la faveur de la nuit car le jour décline déjà. Soudain une chenille apparaît dans l’air, à notre droite, puis deux, puis trois, qui se rapprochent de nous en pendillant : c’est la demande de barrage d’artillerie, c’est la contre-attaque ennemie. Débouchant d’un petit bois, les Allemands avancent en colonne par un.. Notre Maxim tire jusqu’à ce qu’ils atteignent l’angle mord qui les dérobent à notre vue ; quand au barrage, il n’en a que le nom. Que se passe-t-il à notre droite et à notre gauche ? Que fait le 119è ? Où est la 3ième Cie ? La menace d’encerclement est si grande qu’il faut revenir vers la section restée en soutien, collée au talus d’un petit chemin de terre. Le sergent Vite, qui la commande, signale que les mitrailleurs ennemis qui prennent le chemin d’enfilade et ont fait déjà plusieurs victimes (dont le commandant de Compagnie) rendent la position intenable. Il nous faut revenir à notre position de départ, à la lisière nord du bois de Mont-Simon-le-Grand. Nous y sommes à peine arrivés que des bruits insolites nous parviennent ; halte-là « -France ». C’est le sous-lieutenant Garaud qui rentre avec sa section de mitrailleuses ; il a failli être pris, tandis que la 3ième a perdu cinq hommes faits prisonniers. L'encadrement du 1er Bataillon du 28e RI en octobre 1918. On peut y lire le nom du sous-lieutenant Garreau (Garaud) de la CM1 (mitrailleurs). Devant nous, sur la crête dont nous venons, rien n’indique la présence de l’ennemi et le calme semblait revenu quand des obus passent au-dessus de nos têtes et éclatent sèchement, très près : ce sont des 75 ! Nous lançons des fusées rouges qui signifient : « Artillerie amie tire trop court », mais sans succès. Un mitrailleur est grièvement blessé, sa pièce est détruite. Pendant de longues minutes ses cris traverseront la nuit, nous faisant maudire ceux qui tuent les nôtres au lieu de les protéger : le supplicié mourra avant l’arrivée des brancardiers. Mais pourquoi ce barrage est-il revenu sur notre ligne de départ ? L’historique du régiment en donne peut-être la raison car il mentionne, en effet, que « la ligne se replie en combattant jusqu’à la lisière sud du Mont-Simon-le-Grand. Les unités sont reprises en main ; sous l’impulsion énergique des capitaines D… et B…, toute la ligne se porte en avant, rejette l’ennemi et réoccupe ses positions ». C’est ce qu’a cru notre brave colonel qui ne pouvait qu’ajouter foi aux comptes rendus de ses chefs de bataillon. Extrait de l'historique du 28e RI : 19 octobre 1918. Les capitaines D... et B... sont les officiers Duchénois et Barbaud. Et voilà comment on écrit l’histoire ! Que l’on pardonne à un ancien jeune ces réflexions amères. Elles lui viennent souvent à l’esprit quand il pense à ses camardes de combat dont il garde fidèlement le souvenir, un souvenir que 60 années n’ont pu obscurcir. Un ancien jeune." |