Bandeau de la page sur Jean Bouteiller
Voici un court témoignage : celui de Jean Bouteiller relatant brièvement les combats de Loivre et de Villers-Franqueux, extrait du
Bulletin n°64 de l'amicale des anciens du 28e RI.

"Le très intéressant compte-rendu du court séjour du 28e à Loivre en Septembre 14, inséré dans le Bulletin 63 de notre Amicale, n’aura pas manqué d’intéresser la plupart de nos adhérents. Toutefois il semblerait utile d’en compléter ou d’en modifier certains passages, en soulignant notamment parmi les victime de l’intense bombardement de Loivre (le 14 ou 15 septembre, je ne me souviens plus de la date exacte) figuraient le très sympathique et regretté Capitaine Potin atteint à la tête par des schrapnels sous le porche de l’hôtel du Cheval blanc et des deux frères Piot, tués dans l’immeuble qui abritait les sapeurs de notre régiment. (Quelle douloureuse épreuve pour les parents).

La tombe du capitaine Potin à Hermonville Les deux frères Piot tués à Loivre en septembre 1914
Le capitaine Gaston Potin
est enterré dans le cimetière communal d'Hermonville, situé à quelques kilomètres de Loivre.
Photo : Stéphan Agosto.
Voici les deux fiches "Mort pour la France"
d'André et Max Piot.
Ils étaient tous les deux parisiens.
Photo : Vincent Le Calvez

Je puis parler en connaissance de cause de ces tragiques événements, car en qualité de chef de section de la 8e Compagnie, nous étions cantonnés moi et mes hommes, dans le bâtiment des P.T.T. de Loivre qui, par miracle, fut épargné par les obus. (J’ouvre une parenthèse en passant pour expliquer la raison pour laquelle j’assurais à l’époque que le commandement d’une section comme simple sergent et cela depuis la bataille du 28 Août à Guise, c’est que comble d’ironie, étant persuadé que la guerre serait de courte durée, le général de notre division ne voulait absolument pas qu’il soit promu des sous-officiers de l’active au grade de sous-lieutenant et ce n’est qu’en Janvier 1915, que je fus nommé Adjudant au bois de la Chapelle à Cormicy. Ce fut mon « bâton  de Maréchal » car grièvement blessé en Artois en 15, je fus, par la suite, reconnu inapte à l’infanterie.

L'encadrement de la 5e Compagnie en mai 1915
Voici l'encadrement de la 5e Compagnie du 28e RI en mai 1915.
Jean Bouteiller a dû changer de compagnie au printemps 1915. La 5e était la compagnie d'Albert Thierry.

Je profite de cet exposé pour raconter une anecdote qui eût  pour cadre la position du canal que je fus, par ordre, l’un des tout derniers à quitter. Après avoir traversé à la queue leu leu sur des madriers branlants le canal encore rempli d’eau, j’avais reçu pour mission de tenir « coûte que coûte » la position, qui en réalité, n’existait que par notre seule présence car nous n’avions pour tout abri que le mur, percé de créneaux, du parc d’un château situé en face de nous. Dans ma section existait encore quelques « titis » parisiens qui s’apercevant que pas mal de soldats ennemis - fins saouls – la cave du château devant contenir sans doute beaucoup de champagne, s’aventuraient imprudemment vers la partie gauche du bâtiment à découvert, se mirent à faire des « cartons » sur ces cibles mouvantes et il me fallut user de mon autorité pour faire cesser cette peu glorieuse tuerie.

Plan détaillé de Loivre. Auteur : Stéphan Agosto
Plan détaillé de Loivre et localisation des bâtiments : le château, la sucrerie et la gare.
Le sergent Bouteiller et ses hommes devaient probablement se trouver le long du canal face au château.
Montage de Stéphan Agosto.

Puis, nous nous repliâmes, par ordre, non sans avoir subi de lourdes pertes, sur le petit bourg de Villers-Franqueux, distant de quelques kilomètres où certains privilégiés cantonnèrent chez l’habitant, mais la plus grande partie du Bataillon à la belle étoile dans les jardins, car il n’existait aucun abri.

Dans la nuit du 25 au 26 septembre, ma compagnie reçu l’ordre d’établir des positions au-delà de la fameuse route 44 à un boqueteau occupé par les Allemands. Dès l’aube, plusieurs éléments de tranchées ayant été creusés par nous au cours de la nuit, l’ennemi à la faveur du brouillard et d’un soleil qui dardait ses rayons dans nos yeux, débouche en force du boqueteau en question et se rue littéralement sur nous par surprise, débordant aux deux ailes nos positions. Le combat fut acharné jusque dans la soirée et ma compagnie perdit ce jour là une grande partie de ses effectifs sur la route 44 et dans les champs environnants avant de se replier à nouveau et par ordre sur Villers-Franqueux. Détail piquant : dans la nuit du 26 au 27 Septembre l’ennemi, bien que tenu en respect, crût devoir détacher une patrouille d’une trentaine d’hommes dans nos lignes qui furent fais prisonniers, sans un coup de feu, dans l’église le lendemain matin.

Le cycliste Lavalade du 28e RI
Le cycliste Lavalade du 28e RI
Lisez ici le récit concernant la capture des soldats allemands dans l'église de Villers-Franqueux

 
En terminant, je signalerai que j’ai vu littéralement "sauter" comme fétu de paille sous le feu nourri d’obus de gros calibre du fort de Brimont, le fameux Moulin à vent  dont il est fait mention dans le Bulletin n°63 de notre Amicale… ce qui me donna à réfléchir sur la puissance de nos adversaires."

Signé : Jean Bouteiller

Le monument de Loivre (51)
Le moulin dont parle Jean Bouteiller est certainement le moulin à vent qui dominait Loivre.
À cet endroit fut construit un monument dédié au 133e RI
et aux soldats de la 11e Brigade : les 24e et 28e RI.
 

Bandeau consacré au poème de Jean Bouteiller
En octobre 1967, Jean Bouteiller, un pantalon rouge de la classe 1912, retrouve à Évreux des anciens combattants du 28e RI et cotise à l'amicale. De retour à Saint-Germain-en-Laye, il compose un poème à la mémoire de ceux qui sont tombés.
Ces quelques lignes, véritable condensé de l'historique, sont particulièrement teintées de l'esprit patriotique de l'après-guerre :


      Retrouvailles

Je vous revois encore, le havresac au dos
Quitter le fort de l'Est, harnachés pour la guerre.
Tous "gonflés" et joyeux, nous les futurs "héros"
Traverser Saint Denis, clamant "faut pas s'en faire".

Par des marches forcées, ahanant sous la charge,
Gâs Bretons et Normands, "Titis" remplis de gouaille,
Têtus et décidés, évitant la décharge,
D'un magnifique élan, partîmes vers la Bataille.

Leernes et Anderlues, Lobbes, Guise, Dormans,
Loivre, Villers-Franqueux, Cormicy, Sapigneul,
Malgré le feu sacré, furent de durs moments,
Surtout pour les froussards, craignant de rester seuls.

Quittant Berry-au-Bac pour monter en Artois,
Où nos ardents stratèges voulaient tailler en pièces
Le Teuton retranché… l'amener aux abois…
Le sortir de ses trous et lui botter les fesses.

Au lieu des lauriers, impossibles à cueillir,
Promis par des planqués pour se couvrir de gloire,
Nous fûmes décimés, sans pour autant gémir,
Et c'est là que, blessé, je partis sans déchoir.

Ensuite, le Santerre, Vic-sur-Aisne, Verdun,
Rouvrois, encore Verdun, puis le Chemin des Dames,
Bovelle, la Champagne et tous les lendemains…
On a besoin de vous…  partout l'on vous réclame.

Enfin Neuvy, Gournay, la Bataille de l'Aisne,
Terminèrent pour vous le douloureux Calvaire.
Honneur à vous, martyrs, qui dormez dans la plaine
Et reposez en paix sous les beaux matins clairs.
photos de soldats du 28e RI. Photo : Yann Thomas.
 
Jean Bouteiller (le Poilu) dit Jean Darmaz (l'écrivain)

Composé pour les Camarades du 28e RI à l'occasion de la réunion annuelle de notre Amicale et à la mémoire de nos chers Disparus.
Évreux, le 1er octobre 1967

Suite à cette première rencontre, le poilu-écrivain décida d'organiser un rassemblement parisien des anciens combattants avec la section normande d'Évreux. Cette réunion aura lieu le 6 avril 1968 lors d'un repas fraternel à la brasserie parisienne de La Pépinière *, lieu de l'ancienne caserne du régiment.

à suivre...


En savoir plus :
Le Journal des marches et des opérations du 28e RI : septembre - octobre 1914

Remerciements à Stéphan Agosto pour le superbe montage de Loivre.

* Je recommande cette brasserie à deux pas de la gare Saint-Lazare. Vous pourrez y découvrir les fresques inspirées de l'histoire militaire du lieu tout en dégustant un verre de colombelle... bien frais...


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